Dans une série d’entretiens menés auprès d’acteurs clés de l’écosystème financier, une certaine prudence transparaît quant aux perspectives de cette évolution. Mais malgré les défis rencontrés dans les levées de fonds, un nouvel optimisme se fait aussi sentir, nourri par la conviction que des secteurs comme l'IA et la durabilité pourraient jouer un rôle crucial dans la reprise à venir…

2022, et surtout 2023, ont été marquées par un net ralentissement des investissements en capital-risque. L’an dernier, les entreprises innovantes de 10 ans ou moins ont en effet levé 5 milliards de moins qu'en 2022 et 2 milliards de moins qu'en 2021, d’après les données analysées par Maddyness (recensement des levées de fonds annoncées par l'écosystème tricolore en 2023).

La cause de ce renversement de situation ? La hausse rapide des taux d’intérêt par les banques centrales, pour tenter de contenir l’inflation. Ce changement de contexte macro-économique a amené les investisseurs à se détourner des investissements les plus risqués, VC en tête. « La hausse des taux oriente les investisseurs vers la dette et les détourne des autres actifs comme l’immobilier et le private equity, dont le VC », résume ainsi Thierry Vandewalle, créateur du fonds Wind Capital.

« Les très bonnes entreprises parviennent toujours à lever des fonds »

Dans le capital-risque, l’impact de cette hausse des taux se fait sentir à deux niveaux : pour les fonds d’investissement, qui ont bien plus de difficultés que par le passé à convaincre les “LPs” de leur confier de l’argent, et, par ricochet, pour les startups en levée de fonds, qui ne peuvent plus se financer dans les mêmes conditions - exceptionnelles - des années précédentes.

« Mais les très bonnes boîtes arrivent à lever des fonds. Ce sont les mauvaises qui ont du mal à lever, surtout si leurs valorisations sont restées délirantes », nuance toutefois Wolfgang Kraus, qui dirige le bureau allemand du fonds Hi Inov. Malgré le retournement de cycle, ce fonds a annoncé un premier closing de 75 millions d’euros en octobre 2023 pour son troisième fonds et se montre confiant pour l’atteinte de l’objectif de 150 millions d’euros.

« Il y a des family office et des entrepreneurs nouvelle génération qui ont de l’argent et qui peuvent investir. La prise de décision est plus lente, mais les interlocuteurs sont motivés », explique l’investisseur. Celui-ci se montre néanmoins moins optimiste pour les fonds institutionnels, « qui doivent reconstituer leurs fonds, alors qu’il y a une tendance à l’attentisme ».

Pour Thierry Vandewalle, cette situation va nécessairement conduire des fonds existants “à disparaître” ou à annoncer des fonds successeurs plus petits que le précédent. Même si, dans le même temps, « de nouveaux fonds vont naître, mais moins qu’il y a 4 ou 5 ans ».

“Poudre sèche”

Quoi qu’il en soit, le niveau d’exigence des LPs envers les fonds s’est largement relevé ces dernières années. « Jusqu’à présent et depuis toujours, les fonds qui réussissent leurs levées insistent sur les performances des fonds précédents ou sur leur track record. Ça reste l’élément fondamental. Depuis quelques années, face à la concurrence accrue, ils ont dû travailler leur marketing, leur communication et leur positionnement. Ainsi, ils structurent un discours plus percutant, plus impactant et plus aligné avec qui ils sont et ce qu'ils veulent faire », constate notamment Marine Jouet, cofondatrice de HM2K.

Du côté de Bpifrance, justement, Véronique Jacq, qui dirige le fonds Digital Venture (Mistral AI, Openclassrooms, Memo Bank…), insiste sur le “dry powder”, qui permet aux fonds de poursuivre leurs investissements en attendant une baisse des taux et l’arrivée d’argent frais. « En juin 2023, cette ‘poudre sèche’ s’élevait à 14 milliards d’euros pour les fonds VC souscrits par Bpifrance, qui investissent majoritairement dans des startups françaises. Cela permet de rester très confiant sur la résilience du marché VC en France », explique-t-elle.

Mais toutes les startups ne bénéficieront pas de ce “dry powder” : « dans un contexte économique incertain, les propositions de valeur doivent être très robustes. Par exemple, des projets à fort contenu technologique, apportant une vraie différenciation par rapport aux solutions existantes, et des projets qui apportent des solutions à des enjeux majeurs pour nos sociétés comme l’éducation, la santé, ou encore le changement climatique », explique-t-elle.

« On commence à voir la lumière au bout du tunnel »

La baisse des taux d’intérêt anticipée par les analystes pour les prochains mois sera-t-elle de nature à inverser la tendance ? « Une baisse des taux a nécessairement un effet inverse, mais l’impact sera tellement lissé et progressif que cela prendra pas mal de temps. On n’en verra pas tout de suite clairement l’effet, le temps que les LPs remettent davantage dans les fonds de VC, et qu’eux-même injectent plus dans les startups », estime Thierry Vandewalle.

Néanmoins, « on commence à voir la lumière au bout du tunnel économique », estime pour sa part Nicolas Rose, Managing Partner chez XAnge (Lydia, Ledger, Believe, Odoo, Greenly, 360 Learning…). Dans son scénario, ce fonds anticipe une baisse des taux au second semestre 2024, en commençant par les Etats-Unis, « puis en Europe, avec quand même une incertitude macroéconomique qui va perdurer toute l’année, avec en novembre, le point culminant des élections américaines ».

Après avoir levé 220 millions pour son fonds 4 en 2021 - au meilleur moment - XAnge travaille actuellement sur un processus de levée de son nouveau fonds. « Les LPs subissent actuellement un effet de ciseau et il y a une vraie défiance sur le marché, mais le sous-jacent est phénoménal : nous vivons des années historiques avec des innovations technologiques et scientifiques majeures dans la transformation digitale, dans le monde du vivant… »

IA, Deeptech, Climat, Circularité…

Ce constat amène donc l’investisseur d’XAnge à rester optimiste : « l’innovation nous porte et nous rend très confiants dans la levée », estime-t-il, en décrivant l’entrée dans un nouveau cycle de dix ans, dont les mots-clés seront “Deeptech”, “IA”, “Climat” et “Sustainability”.

Un enthousiasme que partage également Thierry Vandewalle : « aujourd’hui l’IA est sur le point de rebattre les cartes dans beaucoup de domaines. La nécessaire transition écologique est porteuse d’innombrables innovations majeures. L’économie circulaire va devenir majeure. La réindustrialisation ne va pas se faire avec les technologies d’hier. De l’agriculture à l’assiette, des innovations vont venir transformer un modèle aujourd’hui à bout de souffle !»