La ménopause serait-elle l'un des derniers tabous encore inexplorés de la FemTech, le surnom donné à l'industrie des nouvelles technologies dédiées à la santé des femmes ? Les startups qui s'intéressent au sujet semblent en tout cas en France se compter sur les doigts d'une seule main... Et ce n'est pas uniquement le cas dans l'Hexagone. Si le Royaume-Uni et les Etats-Unis commencent à prendre le sujet au sérieux, ailleurs dans le monde, les initiatives restent rares.
C'est pourtant un sujet qui touche de (très) nombreuses femmes. On compte 14 millions de françaises ménopausées, et 94% d'entre elles souffriraient d'au moins un symptôme. Le marché est là, donc, mais reste largement à conquérir. Nous sommes allés à la rencontre de deux spécialistes pour en savoir plus : Mathilde Nême, cofondatrice d'Omena, et Thaddée Caron, qui a créé Athana.
Omena, une application pour mieux suivre les symptômes de la ménopause
Lorsque nous lui parlons au téléphone, Mathilde Nême nous annonce que son équipe vient tout juste de boucler une nouvelle levée de fonds, d'un montant de 800 000 euros. Thaddée Caron, de son côté, nous répond depuis le CES de Las Vegas, où il compte bien présenter son innovation et mettre en avant lui aussi sa dernière levée de fonds, qui a atteint 700 000 euros à la fin de l'été dernier.
Chacun à leur façon, ces deux entrepreneurs ont tenté de combler le vide béant en matière de tech, pour aider les femmes ménopausées.
Avec deux autres étudiantes de son master à HEC, Hahyeon Park et Jane Douat, Mathilde Nême a de son côté imaginé Omena, une application ultra-complète qui permet de suivre ses variations d'humeur, de traquer ses soucis de santé liés à la ménopause... et de tenter d'en venir à bout. Avec l'aide de professionnels et professionnelles, les trois entrepreneuses ont mis au point toute une série d'articles, de bons conseils et d'exercices pratiques à suivre, personnalisés en fonction de ses besoins propres. Sur la partie payante, on retrouve aussi la possibilité de contacter et d'échanger avec des médecins, gynécologues, psychologues, diététicien(ne)s et psychologues. L'idée de cette appli leur est venue de leur "engagement féministe" déjà, mais surtout, d'un constat. "Dans l'industrie de la FemTech, on trouvait beaucoup de produits autour de la maternité ou de la fertilité... mais la ménopause restait la grande oubliée", raconte Mathilde Nême, avant d'ajouter : "Peut-être parce que la plupart des startups sont lancées par des personnes de moins de 35 ans..."
En en discutant avec leurs propres mères, elles s'aperçoivent que ces dernières sont toutes gênées au quotidien par les symptômes de la ménopause - qui peut se traduire par des effets comme les bouffées de chaleur, maux de tête, troubles du sommeil mais aussi des troubles psychologiques tels que l'anxiété ou l'irritabilité, ou encore l'augmentation du risque d'ostéoporose ou de maladies cardio-vasculaires. "Même pour ma mère qui est pourtant médecin, ce n'était pas évident de trouver des solutions : elles étaient seules avec leurs symptômes." Mathilde Nême se souvient d'un sentiment d'injustice. Ces femmes qui n'avaient pas pu bénéficier des applis de suivi de menstruations ou des recherches diverses sur la dépression post-partum, par exemple, allaient-elles être laissées pour compte tout au long de leur vie ?
Bien que très loin de l'âge de la ménopause, les trois étudiantes se sont lancées dans ce projet pour l'éviter.
Une cryothérapie de poche contre les bouffées de chaleur
Quant à Thaddée Caron... lui aussi, a puisé l'inspiration directement dans sa propre famille. "J'avais 19 ans quand j'ai eu cette idée, partage-t-il. J'étais étudiant et ma mère, qui avait alors la cinquantaine, souffrait de bouffées de chaleurs liées à sa ménopause. Je la regardais tous les jours s'appliquer des pains de glace surgelés sur la peau pour soulager ses symptômes, mais ce n'était évidemment pas pratique..."
Aidé par quelques amis ingénieurs, il met au point pour sa mère un petit appareil, "pas plus gros qu'un smartphone", qui ressemble à une petite station de cryothérapie portable. Deux ans de recherche et développement sont nécessaires pour trouver la technologie parfaite, mais il s'accroche. Et au bout du compte, sa mère est ravie. Elle n'a qu'à presser l'appareil sur une zone thermosensible de son corps, comme le cou ou les poignets, et le soulagement est immédiat. Elle en parle à ses amies, qui sont elles aussi intéressées... Et de fil en aiguille, Thaddée Caron songe à commercialiser son produit, sous le nom d'Athana. Avant même qu'il ne monte sa société, il a déjà recueilli 100 000 euros, auprès de personnes qui croient à son projet.
La France, en retard sur le sujet ?
Derrière ces deux success stories à la française, il y a pourtant bien des obstacles qu'il a fallu surmonter... Si Thaddée Caron a tenu à faire fabriquer tous ses Athana en France, dans les pays de la Loire, lui, a déménagé à Londres. La raison : "là-bas, la FemTech est bien plus développée !"
Un avis partagé par Mathilde Nême. "Le Royaume-Uni a dix ans d'avance en matière de suivi sur la ménopause, précise-t-elle. Il doit y avoir 5 à 10 startups spécialisées qui y ont levé plusieurs millions, et ils ont également imaginé un label pour les entreprises qui sont 'ménopause-friendly'... On peut voir que le sujet est véritablement pris en compte." En France, nous dit-elle, on serait "à mille lieux de cela". "C'est encore très tabou : une étude montrait que seulement 4% des startups de la FemTech s'intéressent à la ménopause, contre 30% pour le sujet de la maternité. Les premières ne représentent qu'1,5% des levées de fonds."
Lors de leurs levées de fonds successives, les créatrices d'Omena ont du faire face à des investisseurs masculins qui ne semblaient pas toujours percevoir le potentiel de leur idée. "Pas étonnant quand on sait que 70% des femmes qui souffrent de leur ménopause n'en parlent même pas à leur conjoint tant le tabou est important", soulève Thaddée Caron. Heureusement, l'équipe d'Omena a fini par trouver des oreilles attentives, "surtout des femmes et des hommes féministes, déjà très alertes sur ce type de sujets". La FemTech, rappelle pourtant Mathilde Nême, "n'est pas un marché de niche".
"J'ai du m'accrocher coûte que coûte et persévérer parce que j'avais mis toutes mes économies dans ce projet, soutient Thadée Caron d'Athana, mais ça n'a pas non plus été simple au début de convaincre de mon projet. Ce n'est qu'avec le premier prototype que tout le monde a commencé à m'écouter." "On a pris beaucoup de retard, nous dit-il, mais on est là pour le rattraper."