Dans le monde de l'entrepreneuriat, les femmes restent encore trop souvent minoritaires. En 2022, les femmes ne représentaient que 10% des dirigeants de startups selon le baromètre annuel sur l’égalité des sexes dans l’écosystème des startups corédigé par BCG et SISTA.
Ce chiffre est de 25% chez Entrepreneur First, dont le modèle d’investissement "révèle les talents", en les aidant à trouver un cofondateur/une cofondatrice et une idée, et ainsi concrétiser un projet de startup. "Ce constat nous interpelle et nous pousse à agir, déclare Coralie Chaufour, fondatrice de la branche française d'Entrepreneur First, d’autant plus que nous intervenons en amont des incubateurs, accélérateurs et investisseurs classiques. Nous avons donc une responsabilité supplémentaire à encourager des vocations auprès de jeunes femmes talentueuses et ambitieuses", explique-t-elle.
Mais alors, comment inverser la tendance ? Quelles mesures pourrait-on mettre en place pour mieux encourager les femmes à entreprendre et à se lancer ? Coralie Chaufour a accepté de nous livrer quelques clés.
Pourquoi une si faible représentation ?
Plusieurs raisons peuvent expliquer la sous-représentation des femmes parmi les entrepreneurs. Coralie Chaufour identifie deux freins majeurs. Le premier, véritable "cheval de bataille", est un frein lié à l’enseignement et la formation. "Il n'y a toujours pas assez de femmes qui suivent des études techniques et scientifiques, explique-t-elle. En dehors des filières de biologie et de santé, il y a systématiquement moins de 20% de femmes dans les filières scientifiques de l’enseignement supérieur, y compris dans des secteurs clés pour l’innovation technologique (et donc la création de startups), comme l’intelligence artificielle. Pour y remédier, il est primordial d'encourager dès le plus jeune âge les jeunes filles à poursuivre l’étude des matières scientifiques."
Le second frein majeur identifié par notre interlocutrice, plus difficile encore peut-être à lever, est celui des limites que s'imposent elles-mêmes - et malgré elles - les femmes. Ce problème est détaillé ainsi par Sheryl Sandberg, ancienne numéro 2 de Meta, dans son essai “Lean In” (“En avant toutes”) : “les femmes assimilent les messages négatifs qu’elles reçoivent tout au long de leur vie et limitent leurs ambitions par rapport à ce qu’elles pourraient atteindre”.
"Dès le plus jeune âge, les femmes sont invitées à prendre moins de risques, constate Coralie Chaufour. Elles vont notamment internaliser le fait de privilégier l'impact à l'ambition, et opter pour des carrières souvent moins risquées. Le manque de “role models” de femmes qui ont réussi en tant qu’entrepreneures dans la tech ne fait que renforcer ce schéma."
A ceci, s’ajoutent évidemment des biais conscients ou inconscients, qui se cristallisent notamment dans des difficultés plus importantes à lever des fonds. Une étude publiée par des chercheurs du MIT, d’Harvard et de Wharton montrait que, pour un même pitch présenté par une voix masculine et une voix féminine, 68% des investisseurs accordaient leur financement à la voix masculine, contre 31% pour la voix féminine. “Les mêmes questions ne sont pas posées aux hommes et aux femmes lors des séances de pitchs, et ces questions différentes conduisent à des décisions d'investissement différentes, notamment sur les levées de fonds”, complète Marie Millet, directrice des opérations chez SISTA.
Réconcilier impact et ambition
Mais alors, comment y remédier ? Ce type de changement prendra certainement du temps et nécessitera des solutions structurelles.
Coralie Chaufour insiste ainsi sur la nécessité d’encourager les femmes à voir plus grand. "Il est notamment important pour les femmes de faire le lien entre impact et ambition, nous dit-elle. Beaucoup de femmes veulent avoir de l’impact. Mais aujourd’hui, pour avoir un impact important, il est nécessaire d'être ambitieux. Les deux types de ressources dont toute startup a besoin pour se développer sont le talent et le capital, qui ont en commun d’être fortement attirées par l'ambition. Il est crucial pour les femmes entrepreneures qui veulent avoir de l’impact de définir clairement leur mission, et d’incarner un niveau d’ambition qui va leur permettre de mobiliser les ressources nécessaires pour servir cette mission.
Les femmes ont parfois également besoin d’encouragements pour oser davantage. “On les voit encore trop se limiter, par exemple quand il s’agit de demander du soutien ou des services. Même dans la façon dont elles pitchent, elles ont tendance à rester très, voire trop pragmatiques. Elles n'osent pas raconter une belle histoire, en faire un peu plus, par peur d'en faire trop. Par ailleurs, comme beaucoup d’entrepreneurs, les femmes cherchent souvent à s’associer à des personnes qui leur ressemblent, et donc à privilégier l’association avec d’autres femmes plutôt qu’avec des partenaires masculins, pourtant parfois plus qualifiés.”
Encourager des vocations
Au sein d’Entrepreneur First Partis, plusieurs initiatives concrètes ont été mises en place pour accélérer le processus et encourager davantage de vocations.
Coralie Chaufour a notamment imaginé et lancé le Young Female Leaders Fellowship, un programme de mentorat pour encourager une dizaine d’étudiantes et jeunes professionnelles ambitieuses, notamment issues de filières scientifiques, à envisager l’entrepreneuriat comme choix de carrière potentiel. L’objectif : "faire tomber les barrières" que certaines peuvent se mettre. "Le but, c'est de réfléchir ensemble aux freins éventuels que ces jeunes femmes perçoivent, et d'essayer de les déconstruire", précise Coralie Chaufour.
Le bootcamp Female FIND, qui a connu un franc succès pour sa première édition en juin 2023, est également organisé pour la seconde fois les 19 et 20 janvier prochains (les candidatures sont ouvertes jusqu’au 9 janvier). L'objectif affiché ? Susciter des vocations. “L’idée est d’accueillir une trentaine de jeunes femmes brillantes et ambitieuses pour démystifier l'entrepreneuriat, tout en leur donnant des outils pour réfléchir à leurs propres compétences, et comment mettre en pratique ces compétences pour identifier un problème à résoudre et générer une idée de startup. Les participantes reçoivent également une bonne dose d’inspiration grâce aux témoignages de femmes entrepreneures inspirantes.”
La directrice générale d'Entrepreneur First rappelle enfin que l’enjeu n’est pas uniquement ponctuel ou local, mais touche la souveraineté technologique française et européenne. "Si l'on veut un jour pouvoir concurrencer des géants américains de la tech, il faut que l'on puisse s'appuyer sur tous nos talents disponibles... Donc aussi sur les femmes. "