Un duo imaginaire entre les artistes Drake et The Weeknd, un album d’Oasis créé par des fans... les exemples de créations musicales produites par les toujours plus impressionnantes capacités de l’intelligence artificielle se multiplient, et avec elles, l’épineuse question des droits d’auteur. D’autant qu’après les textes, l’instrumentation et même désormais la voix, chaque nouvelle version apporte son lot de prouesses technologiques qui rend très difficile l’identification de l’apport humain dans le processus créatif.
Selon David El Sayegh, directeur général adjoint de la Sacem, « autrefois, pour composer de la musique, il fallait savoir l'écrire ou jouer d'un instrument. Aujourd'hui, de nombreux artistes utilisent des logiciels pour leur création. Comme toute avancée technologique majeure, l'intelligence artificielle cristallise de nombreuses interrogations mais n’altère en rien le statut de créateur. La réflexion est claire sur le sujet : la création reste le fait de l’homme ». Pourtant beaucoup s’inquiètent des dérives possibles de l’IA comme The Human Artistry Campaign, qui regroupe une quarantaine d'organisations d'artistes pour une IA responsable et éthique.
S’il n’y pas d’être humain, il n’y a pas de créateur
De nombreuses questions se posent donc, notamment sur la création d’une œuvre. « Elle n’est protégeable par le droit d’auteur que si elle reflète la personnalité de son auteur, donc une personne humaine », explique Mathilde Carle, avocate aux barreaux de Paris et de New York opérant chez Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP. Il y aussi la question de la concurrence déloyale ou du parasitisme, s’il y a un risque de confusion avec un artiste, du droit à l’image éventuellement, ou encore de l’atteinte aux données personnelles, dans le cas par exemple de la reprise du style d’une voix.
Autre sujet polémique : l’intelligence artificielle se nourrit d’un vaste corpus de données pour développer ses capacités. « En France, un texte de loi autorise ce qu’on appelle le data mining ou fouille de textes et de données dans un but uniquement d’apprentissage pour les outils numériques, y compris les algorithmes d’IA, sauf si l’auteur ou les ayants droit s’y opposent », précise Mathilde Carle. C’est ce principe de l’opt-out qu’a très récemment annoncé exercer la Sacem au profit de ses membres : les activités de data mining devront désormais faire l’objet d’une autorisation préalable. « Ça ne veut pas dire qu’on s’oppose à l’intelligence artificielle, mais qu’on souhaite encadrer les modalités d’utilisation des œuvres de notre répertoire par les intelligences artificielles afin d’assurer une juste rémunération des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique que nous représentons » plaide David El Sayegh.
200 millions d’euros de manque à gagner
Encore faut il réussir à déceler le faux du vrai et ceux qui ne respectent pas les règles. « Il y a malheureusement énormément de trous dans la raquette et de nombreux auteurs sont spoliés, par exemple dans le cas des reprises que les plateformes de diffusion ont du mal à détecter », souligne Philippe Guillaud, cofondateur et CEO de MatchTune. La startup française crée en 2017, avec notamment le compositeur et producteur André Manoukian, a développé CoverNet, une technologie basée sur l’intelligence artificielle pour aider l’industrie musicale à mieux détecter et monétiser ses œuvres et ainsi récupérer « les quelques 200 millions d’euros de manque à gagner par an ».
En attendant l’IA Act qui encadrera prochainement l’usage et la commercialisation des intelligences artificielles au sein de l’Union européenne, Philippe Guillaud se veut aussi rassurant sur le fait que « beaucoup de problèmes seront résolus par un système de licence qui commence à se mettre en place ». « On peut imaginer aussi des systèmes de notification où l’on peut porter réclamation auprès d’un éditeur pour notifier une violation de droit, selon les pays et les droits applicables » ajoute Mathilde Carle. Les grands acteurs du secteur ont d’ailleurs commencé à réagir comme Microsoft ou Google qui s’est récemment engagé à défendre les utilisateurs des systèmes d’intelligence artificielle générative de ses plateformes.