La bombe a été lâchée la semaine passée : WeWork est tout proche du dépôt de bilan. Incapable de rembourser ses créanciers, le géant américain du coworking, asphyxié par une dette de près de 3 milliards de dollars, devrait ainsi se placer sous la protection du Chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites dans le New Jersey, selon le Wall Street Journal.
Cette décision sonne quasiment comme le clap de fin d’une chute interminable entamée en 2019, avec une IPO avortée en raison de la publication des chiffres financiers désastreux de l’entreprise qui avait mis en lumière les frasques de son fantasque créateur Adam Neumann. Valorisé à 47 milliards de dollars à son apogée, WeWork vaut désormais moins de 45 millions de dollars au Nasdaq.
Avec l’effondrement annoncé de ce colosse aux pieds d’argile, c’est une page qui s’apprête se tourner sur le marché du coworking. Et pour cause, WeWork était le leader mondial du secteur et, de par son statut de pionnier du coworking, a largement contribué à évangéliser le marché. La France n’a pas échappé au phénomène, où le groupe américain propose la plus grande surface cumulée du pays (près de 150 000 m2) devant ses concurrents locaux que sont Morning, Mojo, Spaces ou encore Comet.
Au total, WeWork propose 15 établissements en France, tous situés à Paris, parmi les 3 420 lieux de coworking recensés dans l’Hexagone en 2022 par Ubiq. Par conséquent, le poids de l’entreprise new-yorkaise peut paraître faible sur le marché français, mais son arrivée dans l’Hexagone a marqué un tournant. Avant même la pandémie de Covid-19, elle a ainsi commencé à répondre aux mutations du monde du travail sous le prisme de la flexibilité. «Je trouve assez particulier l’énorme impact qu’a eu WeWork en arrivant sur le marché il y a une dizaine d’années. C’est l’acteur qui a permis de structurer le marché, en envoyant du vent dans les voiles», relève Victor Carreau, co-fondateur de Comet, société qui a vu le jour en 2016 pour dépoussiérer les réunions et les séminaires d’entreprise.
Des startups domicilient leur siège social dans les espaces de coworking
Dans le sillage de WeWork, de nouveaux acteurs se sont positionnés sur ce créneau porteur. Et si la crise sanitaire a mis un brutal coup d’arrêt à l’essor de ce marché, son envol a repris de plus belle dans la foulée en raison de la démocratisation du télétravail. Accélérée en coup d’œil par la pandémie, celle-ci a profondément bouleversé le monde du travail, au point d’obliger les employeurs à accélérer leur réflexion immobilière pour redéfinir l’usage des bureaux. Par conséquent, la demande pour le coworking ne cesse d’exploser et le marché mondial devrait ainsi atteindre 120 milliards de dollars en 2025, contre seulement 30 milliards en 2018, selon Welkin & Meraki.
Dans ce contexte, de nombreuses startups, comme Qonto, ont fait le choix de domicilier leur siège social dans des espaces de coworking. Une tendance accentuée depuis la crise du Covid-19. Preuve en est, Contentsquare, par exemple, a sauté le pas en juin 2021. La startup, qui comptait alors 1 500 salariés, dont 500 à Paris, avait ainsi décidé d’installer son siège social sur deux étages au sein d’un bâtiment WeWork, au cœur du VIIIème arrondissement de la capitale. «Lors de mon arrivée chez Contentsquare il y a sept ans, le bail classique de 3, 6 et 9 ans était encore la référence. Ce n’était pas du tout adapté à notre trajectoire d’hypercroissance», expliquait alors Nicolas Fritz, directeur des opérations de la société.
«Une faillite n’aurait pas d’impact sur le marché»
En effet, WeWork a eu le mérite de rebattre les cartes sur le marché de l’immobilier de bureau. Pour autant, faut-il s’attendre à un impact important sur le marché français du coworking si le groupe américain disparaît alors que plusieurs acteurs lui ont emboîté le pas ? «Je ne pense pas que l’impact sera dingue», estime ainsi Clément Alteresco, CEO de Morning. Avant d’ajouter : «Globalement, le modèle du coworking n’est pas remis en cause. WeWork, c’est un phénomène à part. Il y a eu une mauvaise gestion de départ d’une licorne qui croît à toute vitesse, en ne faisant absolument pas attention à son modèle économique de base. Quand on fait n’importe quoi, cela ne marche pas.» Même son de cloche du côté de Victor Carreau, co-fondateur et CEO de Comet. «Une faillite n’aurait pas d’impact sur le marché. Celui-ci est très sain. De façon irréfutable, le besoin de flexibité est là pour durer», assure-t-il.
Aux yeux du patron de Comet, les opportunités vont même se multiplier alors que le marché de l’immobilier de bureau entre dans une nouvelle phase de maturité. «WeWork ou pas, le marché va vers plus de flexibilité. Certes, WeWork a évangélisé ce marché, mais il y a désormais une maturité nouvelle sur celui-ci. L’évolution du marché, ce n’est pas forcément du coworking et du bail classique. Une nouvelle approche émerge pour bénéficier du meilleur de ces deux mondes. Je pense qu’il faut amener différentes briques dans les immeubles pour faire un choix nuancé», explique Victor Carreau.
«C’est plutôt une mauvaise publicité dans le paysage du coworking qu’une bonne publicité pour nous»
Dans ce sens, Comet a d’ailleurs déployé plusieurs offres au fil du temps pour s’adapter aux mutations du monde du travail et aux nouvelles envies des entreprises (Meetings, Workplaces, Teamwork, Hospitality…). «Plus que jamais, le bureau est un lieu de collaboration et de socialisation. Mais dans les espaces de coworking, il n’y a pas forcément beaucoup d’espaces de collaboration. Avec Workplaces, notre ambition est de mettre 10 fois plus d’espaces de collaboration par rapport aux autres acteurs du coworking», indique le CEO du spécialiste des bureaux opérés. Les séminaires d’entreprise sont également dans le viseur des acteurs du coworking alors que de plus en plus de sociétés françaises en organisent désormais dans l’Hexagone, plutôt qu’à l’étranger. «Ils ont lieu de plus en plus en ville car il y a moins de temps et d’argent. De plus, avec l’envol du télétravail, les entreprises réalisent que l’éloignement des employés conduit à une loyauté plus faible. Pour recréer ce lien d’intimité, il faut recréer des moments tous ensemble plus fréquemment qu’avant et avec des prix bon marché. Ce qui fait la différence, c’est la culture d’entreprise», explique-t-il.
Ce ne sont donc pas les opportunités qui manquent avec une demande pour le coworking qui ne cesse de grandir et les perspectives prometteuses engendrées par le Future of Work. C’est peut-être aussi l’occasion pour les spécialistes français du secteur de récupérer les parts de marché lâchées par WeWork dans un futur plus ou moins proche ? «C’est plutôt une mauvaise publicité dans le paysage du coworking qu’une bonne publicité pour nous. Ça nous fait plus de mal que de bien. C’est peut-être une opportunité à moyen-long terme qui est difficile à mesurer aujourd’hui», estime Clément Alteresco. «Une partie des actifs pourrait être reprise par des opérateurs déjà sur le marché. On peut aussi imaginer qu’un WeWork hors des États-Unis puisse continuer de vivre», indique de son côté Victor Carreau. Et de conclure : «Le marché de l’immobilier de bureau fait face à deux crises : la crise des usages, avec le besoin de flexibilité, et la crise des valorisations. Avec la hausse des taux, la valeur des actifs de bureau a été divisée par deux. C’est donc une opportunité incroyable. Cette double crise est passionnante car les usages de bureau n’ont jamais été autant nécessaires.»
Par conséquent, l’optimisme est plutôt de rigueur chez les acteurs français du coworking, même s’ils ne manqueront pas de suivre avec attention les prochains développements du dossier WeWork. Car si des espaces du groupe américain venaient à fermer à Paris, ce sont autant de surfaces immobilières qui pourraient les intéresser pour se renforcer.