Pour les startups, déployer leurs ailes à l’international apparaît comme un impératif pour maintenir une dynamique de croissance sur le long terme et étendre leur marché. Mais encore faut-il en avoir les moyens… Or la pandémie de Covid-19, puis le contexte économique difficile à l’heure actuelle, amplifié par une situation géopolitique explosive, constituent des barrières à surmonter pour les entreprises, au point parfois de ralentir voire de repousser leurs ambitions au-delà de leur marché domestique.

Selon le baromètre de l’activité internationale des entreprises, publié en pleine crise sanitaire en 2020 par Business France et réalisé auprès de 2 200 sociétés exportatrices, 45 % d’entre elles avaient alors totalement arrêté leurs activités internationales. Et pour cause : 37 % manquaient de visibilité pour opérer sereinement. Mais ce coup de pompe n’a été que passager et cette période particulière a encouragé de nombreuses jeunes pousses à mieux se structurer pour partir à la conquête de nouveaux territoires avec encore plus d’appétit. De plus, des zones géographiques traditionnellement difficiles à pénétrer pour les entreprises françaises, comme l’Amérique et l’Asie, se sont ouvertes sous l’effet de la crise.

«44 % des startups se sont déjà lancées à l’international»

A chaque crise, il y a des opportunités, et c’est également vrai en cette année 2023 loin d’être de tout repos tant au niveau économique que sur le plan géopolitique. Aux yeux d’Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, chargé du Commerce extérieur, de l’Attractivité et des Français de l’étranger, le tableau actuel est loin d’être apocalyptique pour l’internationalisation des startups tricolores. «Je ne constate pas de baisse. La plupart des startups sont dans une logique d’internationalisation. 44 % d’entre elles se sont déjà lancées à l’international. Cependant, je constate un certain nombre de résistances sur certains secteurs précis, comme la fintech, la deeptech et la greentech. Il y a certains obstacles pour rentrer sur ces marchés car il faut s’adapter aux réglementations locales. Mais globalement, je ne suis pas inquiet», assure-t-il. Avant d’ajouter : «La jeune génération qui porte ces startups, ce sont des enfants de la mondialisation. Ce n’est pas gagné pour autant. Toutes les startups n’ont pas forcément les moyens de se déployer à l’international.»

Si le gouvernement est optimiste, c’est parce que le label French Tech est désormais connu à l’international, notamment sur les grands salons comme le CES de Las Vegas, mais aussi car la dimension internationale est désormais intégrée d’entrée de jeu dans la majorité des startups. «Une startup sans une stratégie internationale, c’est compliqué. Pour la plupart, c’est dans leur ADN. Et il ne faut pas oublier qu’elles ont vocation à devenir des PME et ETI. La startup d’aujourd’hui, c’est la PME ou l’ETI de demain», relève Olivier Becht. De plus, la taille du marché français paraît bien modeste face à des pays-continents comme les États-Unis, l’Inde ou la Chine. «La France est un terrain de jeu qui est petit. Les produits qu’on développe ont généralement une portée mondiale», renchérit ainsi Jérôme Faul, président du directoire d’Innovacom.

Un plan de 125 millions d’euros lancé par le gouvernement

Mais si l’importance du volet international est bien intégrée par les startups, celles-ci se retrouvent parfois limitées en raison de financements insuffisants. «Nous n’avons pas de fonds secondaires dans le venture, il n’y a que des cessions industrielles qui sont possibles. Donc il faut que des grands groupes rachètent des entreprises. C’est la seule sortie possible. Actuellement, il y a une absence de volonté de payer au bon prix les bonnes technologies», observe Jérôme Faul. «Nous faisons face à une situation géopolitique difficile. Un chiffre circule et inquiète particulièrement ces dernières semaines : au premier semestre 2023, les investissements ont reculé de moitié par rapport à l’année dernière. Mais il y a aussi des nouvelles rassurantes à souligner : la France demeure en 2023 le premier pays européen en termes de levées de fonds, avec 4,2 milliards d’euros au premier semestre. Nous avons même enregistré quatre opérations de plus de 100 millions d’euros au deuxième trimestre !», tempère de son côté Olivier Becht.

Dans ce contexte, pour donner un coup de pouce aux entreprises tricolores, et notamment aux startups, le gouvernement a lancé cet été le plan «Osez l’export». Dotée d’une enveloppe de 125 millions d’euros, cette initiative vise à atteindre la barre des 200 000 entreprises françaises exportatrices d’ici 2030, contre 150 000 à l’heure actuelle. «Dans le cadre de ce plan, nous mettons en place un certain nombre d’outils pour aider les startups à réussir à l’international. Il y a notamment une enveloppe de 50 millions d’euros pour accompagner les entreprises qui sont lauréates de France 2030, ainsi que celles de French Tech 2030. C’est un programme particulier d’accompagnement pouvant durer jusqu’à 30 mois vers l’internationalisation. C’est un accompagnement spécialisé et long, pris en charge à 50 % par l’État pour faire décoller nos startups vers l’international», détaille le ministre délégué au Commerce extérieur. «Le Next 40 et le French Tech 120 sont aussi tournés vers l’international», ajoute-t-il.

«Le monde est en train de se refermer un peu partout»

Si des initiatives existent à l’échelle politique pour faciliter le déploiement à l’international des startups, ces dernières se retrouvent parfois freinées par des législations européennes de plus en plus nombreuses au nom de la souveraineté. «Le monde est en train de se refermer un peu partout, les États veulent protéger leurs technologies et leurs ressortissants. Il y a donc une contradiction qui existe entre le besoin de souveraineté et le besoin de développer ces technologies. Il faut réussir à jongler entre les deux. C’est un exercice d’équilibriste pour trouver un nouveau compromis dans un monde qui était très ouvert et qui l’est de moins en moins», résume Jérôme Faul. «Les règles en vigueur sont basées sur le monde ancien, mais ce n’est plus possible aujourd’hui. Ce n’est pas applicable à des domaines comme la cybersécurité ou l’intelligence artificielle. Il faut que ceux qui régulent s’adaptent à ceux qui innovent. Il est normal que l’État régule ce qu’il y a à réguler, mais qu’il le fasse en bonne intelligence», ajoute-t-il.

Dans ce cadre, les discussions qui entourent l’AI Act à Bruxelles seront particulièrement suivies par les acteurs de l’écosystème qui s’inquiètent d’une innovation bridée pouvant laisser le champ libre, une fois de plus, aux Américains et aux Chinois. Car si l’Europe veut défendre sa souveraineté numérique, elle ne doit pas tomber dans le piège d’un protectionnisme démesuré qui pourrait nuire à l’expansion à l’international des startups du Vieux Continent. Ce serait d’autant plus dommage que la France est à la pointe dans plusieurs secteurs, à l’image de la deeptech qui bénéficie d’un soutien accru depuis quelques temps.

Pour rappel, Emmanuel Macron souhaite la création de 500 startups par an dans le secteur d'ici 2030. Un chiffre ambitieux, alors qu’il n’y a que 2 500 startups dans ce secteur en France, soit 8 % du nombre total de jeunes pousses tricolores, selon le décompte du gouvernement. Preuve de l’intérêt de l’État pour la deeptech, un plan de 2,5 milliards d’euros a été présenté en 2019 et une nouvelle enveloppe de 500 millions d’euros a été annoncée en début d’année. «Il faut pousser les Français à investir dans la deeptech pour contrer les étrangers», estime d’ailleurs Jérôme Faul. Dans ce sens, les incitations fiscales préconisées dans le rapport du député Paul Midy et intégrées au projet de loi de finances pour 2024 pourraient jouer un rôle clé.