26 septembre 2023
26 septembre 2023
Temps de lecture : 1 minute
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Cédric O : «Tesla a fait beaucoup plus pour la transition énergétique que beaucoup de politiques publiques»

EXCLU - L'an passé, Cédric O a quitté le gouvernement en marge de la réélection d'Emmanuel Macron. Depuis, l'ex-secrétaire d'État au Numérique s'est retiré du monde politique pour retourner dans le secteur privé... et il n'est pas resté loin de l'écosystème tech. Entretien.
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Polo de l’Agence spatiale européenne (ESA) sur les épaules, Cédric O a bel et bien quitté son costume de ministre l’an passé après l’élection présidentielle. Fidèle lieutenant de la première heure d’Emmanuel Macron, il s’était distingué pendant le premier mandat du président de la République en esquissant les orientations de l’exécutif dans l’économie numérique : d’abord dans l’ombre en étant l’interlocuteur privilégié des big techs et en organisant des événements comme le sommet «Tech for Good» avec Mark Zuckerberg (Meta), Satya Nadella (Microsoft) ou encore Dara Khosrowshahi (Uber), puis sous le feu des projecteurs en succédant à Mounir Mahjoubi au poste de secrétaire d’État au Numérique en 2019.

Personnage apprécié dans la French Tech, Cédric O est depuis retourné dans le secteur privé. Mais pas question pour lui de rester loin des entrepreneurs. Il a d’ailleurs conseillé les fondateurs de Mistral AI, pépite tricolore dans l’IA générative qui a bouclé un tour de table de 105 millions d’euros en juin dernier. Celui qui est à l’initiative des indices Next 40 et French Tech 120 reste également un observateur avisé de l’écosystème français, qu’il n’hésite d’ailleurs pas à défendre sur les réseaux sociaux et dans la presse. Il y a quelques jours, l'ancien membre du gouvernement a même été choisi par Matignon, aux côtés de Luc Julia et Yann Le Cun, pour intégrer un comité d'experts sur l'intelligence artificielle.

Plus d’un an après son départ de Bercy, Maddyness a rencontré Cédric O pour faire le point sur ses projets personnels et évoquer les défis à surmonter pour la tech française.

MADDYNESS – Cela fait maintenant plus d’un an que vous avez quitté le gouvernement. A quoi ressemble votre nouvelle vie ?

CÉDRIC O – Je savais depuis longtemps que je quitterais mes fonctions à la fin du mandat. Ma décision était prise depuis un an, je l'avais annoncée au président en février 2021. Elle est le fruit de beaucoup de raisons. La première, c'est que je pense qu'il y a très peu de choses qui sont aussi excitantes qu'être au service de l'État, mais, qu'à l'inverse, il est très sain pour l'État et pour la société civile qu'il y ait des allers-retours entre ces deux milieux. C’était, du reste, la promesse d’Emmanuel Macron : la politique doit majoritairement être un engagement, pas un métier. C’est une très bonne chose qu'un certain nombre de ceux qui ont participé à la création d'En Marche se soient appliqués cette règle, en décidant de retourner à la vie civile.

En partant, j'avais prévu de me laisser 12 à 18 mois pour déterminer ce que je voulais faire. Je suis encore dans cette période. J'ai beaucoup travaillé sur un projet de fonds, mais je crois que travailler avec des entrepreneurs m'a donné envie de creuser la dimension entrepreneuriale.

Au fond de moi, que ce soit du côté investisseur ou du côté entrepreneur, j'ai envie de continuer dans la même dynamique que celle des cinq dernières années, c'est-à-dire d'essayer de faire partie de cette génération d'entrepreneurs et d'entreprises qui, à mon sens, construisent l'Europe et la France de demain. Je trouve qu'il n'y a rien de plus excitant que de faire partie de cette aventure-là. J'ai donc envie de continuer à en faire partie.

Notamment dans l'IA avec Mistral AI ou êtes-vous attiré par d'autres secteurs ?

J'ai un intérêt pour les secteurs stratégiques au sens large. Il est clair que ce qui se passe actuellement dans l'intelligence artificielle en France est extrêmement enthousiasmant.

A mon niveau, j'ai la chance de vivre en partie l'aventure Mistral AI, même si c'est d'abord celle des trois fondateurs, Arthur, Guillaume et Timothée. La suite pourrait être dans l'IA, mais je suis encore dans cette phase où je regarde beaucoup de choses et discute avec beaucoup de monde. Je n'ai pas envie de me précipiter non plus.

«Nous sommes dans une période de transition technologique comme il n’en existe que rarement dans l’histoire»

Est-ce que vous avez gardé des contacts avec Emmanuel Macron ou avec votre successeur, Jean-Noël Barrot ?

Ce qui est certain, c'est que l'aventure En Marche, avec Emmanuel Macron, reste une aventure humaine et politique comme il n'y en aura probablement pas d'autres dans ma vie. La première fois que nous avons discuté de la création d'En Marche avec Emmanuel Macron, nous étions cinq dans son bureau à Bercy. C'est dire si c'était vraiment le début...

Je reste proche de cette équipe, et il m'arrive d'avoir des échanges avec plusieurs de ses membres. Je n'ai qu'un seul souhait, c'est qu'ils réussissent encore mieux que mes équipes et moi quand j'étais là. Parce que je pense qu'il en va en partie de l'avenir du pays.

Je suis persuadé que l'État a un rôle décisif à jouer. Ça a été le cas avec la French Tech ces cinq dernières années, mais il y a encore énormément à faire. Que ce soit du point de vue du soutien de l'écosystème ou de celui de la régulation, leur rôle va être crucial dans les années qui viennent.

Ces derniers mois, on vous a vu assez actif sur LinkedIn pour défendre la French Tech. Quel est votre regard sur la situation actuelle de l'écosystème ?

Nous sommes dans une période de transition technologique comme il n’en existe que rarement dans l’histoire – qui fait écho à la transition technologique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle.

Si on fait le parallèle avec cette période, les empires technologiques qui dominaient l'époque, par exemple les draperies du Nord de l'Europe, ont été balayées en quelques années par une nouvelle génération d'entreprises. Ce sont les champions du rail, de la vapeur, de la chimie ou de l'aéronautique, parce qu’ils maîtrisaient mieux les nouvelles technologies et leurs organisations, qui ont remplacé les anciens géants économiques.

Ce qui se passe dans le monde depuis dix ans, y compris en Europe, c'est exactement cela. Oui, il y a des difficultés de financement en ce moment mais le sous-jacent n'a pas changé : le logiciel va continuer de dévorer le monde. La transition numérique, au sens large, est une question d’efficacité et de productivité. Les startups, et les nouvelles entreprises en règle générale, sont nativement numériques et beaucoup mieux préparées à déployer ces technologies et à fonctionner avec ces gains de productivité. Donc elles gagnent des parts de marché et de valeur ajoutée.

Selon moi, la crise actuelle ne fera qu’accélérer les choses, de manière très similaire à ce qui s'est passé en 2008. Les grandes entreprises technologiques d'internet, notamment les Gafam, ont largement bâti leur puissance à la suite de la crise des subprimes. Alors que leurs concurrents traditionnels sortaient diminués dans leurs capacités d'investissement et handicapés par leurs sujets sociaux, elles ont profité de cette période pour se restructurer et améliorer leur efficacité, ce qui leur a permis de rapidement creuser l’écart.

Mon sentiment, c'est que le mouvement de remplacement, en tout cas le mouvement de bascule économique dans lequel nous sommes entrés depuis quinze ans dans le monde, et plutôt depuis cinq ans en Europe, ne va pas s'arrêter. Il risque même d'être accéléré par l'arrivée d'une technologie comme l'intelligence artificielle générative, qui va apporter des gains de productivité très significatifs dans un certain nombre de secteurs. Et il est évident que les startups déploieront ces technologies plus rapidement que les autres entreprises.

«L'écosystème, paradoxalement, va plutôt bien»

La tech américaine a déjà connu plusieurs crises, tandis c'est la première vraie crise, voire double crise majeure pour la French Tech si on ajoute la pandémie...

La French Tech est dans une situation qui n'a rien à voir avec 2001 (éclatement de la bulle internet, ndlr) ou 2008 (crise des subprimes, ndlr). Les crises avaient alors percuté un écosystème peu mature, qu’elles avaient largement envoyé au tapis, détournant les investisseurs pour longtemps. 2022 n’a rien à voir : les actifs technologiques sont réels, et nous avons des entreprises qui sont résilientes, même s’il y aura de la casse. Aujourd'hui, la French Tech capte par ailleurs une bonne part des talents de ce pays, notamment des jeunes diplômés.

Tout cela me fait penser qu'elle va sortir encore plus fort de cette crise, plutôt que d'en subir les conséquences sur le long terme. D'ailleurs, si on regarde les financements, le late-stage est effectivement sinistré, mais le seed et l'early stage sont plus importants en 2023 qu'en 2022. Cela montre que l'actif technologique est encore là, et que l'écosystème, paradoxalement, va plutôt bien.

C'est peut-être aussi une opportunité pour assainir l'écosystème ?

On ne va pas se mentir, il y avait des valorisations qui étaient en dehors de toute rationalité économique, et une partie des entreprises dissimulaient leurs problèmes sous le cash. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose que cette période soit terminée.

La vitalité de la France dans l'IA générative «n'aurait pas été possible sans l'implantation par les big techs de laboratoires de recherche en IA à Paris»

Au niveau des rares méga-levées de fonds annoncées cette année, il y a celle de Mistral AI que vous avez accompagnée. A vos yeux, la France est-elle en bonne posture pour s'imposer comme l'un des leaders mondiaux de l'IA générative ?

Je trouve que la période actuelle en France dans l'IA est extrêmement enthousiasmante. Il n'y a pas que Mistral AI, il y a aussi des entreprises comme Dust, Poolside, PhotoRoom ou Hugging Face, même si ces deux dernières ont leur siège aux États-Unis. Ce sont des entreprises d'une qualité, d'une ambition et avec des financements que nous n'avions jamais connus jusqu'ici.

Tout cela n'aurait pas été possible sans l'implantation par les big techs de laboratoires de recherche en IA à Paris. À l'époque, quand nous avions négocié cela en 2018, je me souviens que cela avait posé question à certains, que cela soit au sein des grands groupes ou de la recherche. Il avait été parfois reproché au gouvernement de dérouler le tapis rouge à des grands groupes américains, qui allaient aspirer les meilleurs chercheurs français dans leurs laboratoires. La vérité, c'est que la plupart des chercheurs qui sont entrés chez Google et Meta seraient aujourd'hui aux États-Unis ou à Londres s'ils n'avaient pas eu accès à ces opportunités à Paris.

Grâce à ces implantations, ils sont restés en France, ils ont acquis une expérience inégalable en Europe et ils ont créé leur startup à Paris. Ça me semble assez illustratif de la réalité de ce qu'est l'économie du numérique aujourd'hui et de ce que veut dire créer un écosystème au rayonnement international. Ce qui est certain, c'est que nous avons maintenant des entreprises qui émergent avec un niveau d'ambition et de maîtrise technologique qui n'a rien à voir par rapport à ce qui existait il y a seulement cinq ans.

Même si la France s'est bien positionnée dans la course à l'IA générative, il y a tout de même quelques nuages menaçants. Il y a notamment des inquiétudes au sujet de l'AI Act qui est en préparation du côté de Bruxelles. C'est le retour de l'éternel débat entre réguler et innover. Avez-vous quelques réserves à propos de ce texte ?

Si on regarde objectivement les choses, la dynamique des cinq dernières années est une véritable dynamique de retour de l'Europe, et plus singulièrement de la France, dans le jeu technologique international.

Le rapport de force sur les levées de fonds entre les États-Unis et l'Europe était de l'ordre de 1 pour 15 il y a quinze ans, il est descendu à 1 pour 3 il y a deux ans. Cela montre deux choses : d'abord que nous sommes encore largement derrière les Américains et qu'il faut continuer les efforts ; ensuite qu'il y a quand même une vraie dynamique de rattrapage. Désormais, l'Europe peut prétendre jouer dans la cour des grands, notamment parce qu'elle conserve mieux ses talents et parce que l'écosystème de financement s'est débloqué.

Ce constat entre en collision avec une autre dynamique – celle d’une forme de dépression collective, qui touche une part importante de notre population et de notre écosystème politico-médiatique, où le sentiment qui prédomine est celui de la peur. Cette peur est irrationnelle, aveuglante et incapacitante. C'est vrai en Europe, et particulièrement en France. Nous avons peur de tout : du changement climatique, du bouleversement du travail, de l’immigration, du fanatisme religieux, des OGM, de l’ensauvagement de la société, de la captation de ses données personnelles…

Le problème de la peur, c’est qu'il s'agit du pire état psychologique pour prendre les bonnes décisions, particulièrement dans une période telle que celle que nous vivons, et particulièrement dans le domaine technologique. Il ne s’agit pas de nier la réalité des défis qui se posent à nous mais de questionner l’état psychologique dans lequel nous les affrontons : les Chinois et les Américains font face aux mêmes défis, mais ils ont confiance en l'avenir et ils n'hésitent pas à se projeter dans le futur de manière volontariste. Ils prennent des décisions pour bâtir ce futur, quand nous avons tendance à prendre des décisions pour éviter les problèmes et les risques.

Il y a une phrase de Franklin Delano Roosevelt qui dit : «La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même.» Elle est plus vraie que jamais : il faut tout faire dans le débat politique, médiatique, technologique pour combattre ce réflexe par la peur.

D'une certaine manière, l'IA agit comme un catalyseur de nos peurs à l'égard des technologies...

Cette tension est celle que nous vivons dans notre rapport à l’intelligence artificielle. Sur un sujet aussi important et aussi structurant pour l'avenir de l'économie européenne que l'intelligence artificielle, la première question que devrait se poser l'Europe, c'est celle de comment réussir à avoir des compétiteurs qui sont au niveau ou même meilleurs que les Américains. Il en va de notre souveraineté, de notre compétitivité et même de notre influence culturelle – autant de domaines dans lesquels on ne peut pas dire que nous ayons surperformé ces dix dernières années. La concurrence est très dure, nous ne sommes pas en avance mais nous avons le potentiel : les entreprises que je citais tout à l’heure sont d’excellents exemples.

Et pourtant, nous sommes obnubilés par les risques, à tel point que le Parlement européen a proposé une version extrêmement conservatrice qui, si elle venait à être adoptée, mettrait fin à tout espoir de développement de technologies et d’entreprises européennes en matière d’IA générative. Je veux être très clair : personne ne nie qu'il est nécessaire d'encadrer les usages risqués de l'intelligence artificielle, par exemple en matière de reconnaissance biométrique ou dans le domaine médical. Mais, à l'inverse, une sur-régulation aurait pour l’intérêt général des conséquences bien supérieures à celles des risques que les parlementaires européens pensent adresser.

J'ai bon espoir qu'on n'en termine pas là. Lorsque nous avions discuté de textes auparavant, comme le DMA (Digital Markets Act) et le DSA (Digital Services Act), un excellent travail avait été fait avec le Parlement européen dans le cadre des trilogues. Je sais aussi que la France, notamment, est très mobilisée sur le sujet, et que la Commission européenne l'a bien en tête.

C’est aussi cela, la politique : la situation n'est pas toute noire ou toute blanche, mais il y a une forme de dialectique entre l'excellence européenne, l'esprit de recherche européen, les lumières européennes et une forme de dépression collective qui débouchent parfois sur des absurdités. Il faut essayer de démêler cette intrication et de mettre un peu de lumière et d'optimisme dans ce débat.

«Nous sommes dans un monde où la technologie est politique»

Dans ce contexte, dans quel camp avez-vous l'impression d'avoir le plus d'impact : dans le monde politique ou la sphère privée ?

J'ai profondément aimé ces cinq ans passés dans les équipes du gouvernement. Entre 2017 et 2022, beaucoup de choses ont changé pour la French Tech. A mon niveau, j'ai eu l'impression de participer à cette aventure, à travers les réformes qui ont été faites, du discours qui a été porté et de l'énergie qui a été véhiculée pour que l'écosystème soit boosté afin de mener les combats qu'il doit mener. Ça a été extraordinaire.

Je suis très fier d'avoir apporté ma pierre à l'édifice en tant que responsable politique, mais je ne peux pas cacher qu'il y avait aussi une forme de frustration : quand on est dans le monde politique, on ne «fait» jamais. Notre rôle, c'est de créer les conditions pour que d'autres fassent et construisent. J'avais la frustration de celui qui était à côté.

C’est aussi l’une des raisons qui m’ont poussées à franchir le pas : au bout d'un moment, j'ai eu envie d'essayer d'être l'un de ceux qui font et de mettre mes mains dans le cambouis. Les deux mondes se complètent, finalement...

La pression politique porte parfois ses fruits quand on voit que le nouvel iPhone intègre le standard qui a été décidé par Bruxelles...

La régulation est très importante, mais sa temporalité n’est pas celle de l’innovation. Elle arrive souvent bien tard. Dans le monde numérique, le standard est la plupart du temps fixé par le leader : Facebook a eu plus d'impact sur les démocraties qu'à peu près n'importe quel État. Amazon fixe les standards du commerce, Google ou Twitter ceux de l’information, etc. Je ne dis pas que c’est bien, mais que c’est ainsi. Aujourd'hui, nous sommes dans un monde où la technologie est politique.

C’est pour cela que je pense qu'il y a une très forte capacité à façonner l'avenir à partir des entreprises. C’est pour cela, aussi, que nous avons besoin de champions technologiques européens si nous voulons que nos valeurs prévalent. Cette importance ne se vérifie pas dans le numérique : je pense que Tesla a fait beaucoup plus pour la transition énergétique que beaucoup de politiques publiques. Quand on voit un tel impact, ça donne envie de passer de l'autre côté et de créer son entreprise.

«Si vous travaillez dans l’industrie et que vous devenez ministre, il n’y a quasiment aucune chance que vous puissiez un jour y retourner»

Cependant, on voit que cela crée souvent des polémiques quand des personnalités politiques rejoignent des startups. Les allers-retours entre la politique et le privé sont assez mal perçus par le grand public... 

Je l’ai dit publiquement : pour moi, l’intérêt général a tout à gagner d'une très forte interconnexion entre le public et le privé. J’ai lu que le gouvernement américain avait fait appel aux meilleurs spécialistes des semi-conducteurs pour piloter la réindustrialisation du pays : je rêve que l'on prenne les meilleurs entrepreneurs et les meilleurs chercheurs pour concevoir la politique publique française en matière d’IA.

Or, les lois dont nous sommes dotées en France, y compris d'ailleurs le gouvernement auquel j'ai appartenu, pour combattre les conflits d'intérêts ont quasiment tué la perspective d'aller-retour entre la société civile et l'État. Je pense que c'est une absurdité totale.

Vous avez d'ailleurs été empêché de rejoindre Atos... 

Je pouvais aller travailler pour HPE ou pour Lenovo, mais c'était impossible que j'aille travailler pour Atos. Et pour cause : l’entreprise a touché des subventions de l’État lorsque j’étais ministre – dans le cadre d’un plan sectoriel. Le Conseil d'État a jugé que c'était la loi, je respecte la loi, mais j’estime que c’est contraire à l’intérêt général, car cela ferme les portes aux aller-retours : si vous travaillez dans l’industrie et que vous devenez ministre, il n’y a quasiment aucune chance que vous puissiez un jour y retourner.

La situation actuelle aboutira à renforcer encore la professionnalisation du monde politique et de la haute fonction publique, avec des gens qui seront hauts fonctionnaires à vie ou hommes politiques à vie, ce qui ne me semble pas être une solution souhaitable. Cette professionnalisation de la vie politique aboutit à ce que le premier élément de motivation d'un homme politique soit la réélection, au-delà de la réussite de la politique publique qu'il mène.

C'est en partie l'une des raisons pour lesquelles j'avais quitté le monde politique en 2014 et pour laquelle je suis revenu auprès d'Emmanuel Macron. Force est de constater que la situation ne s'est pas améliorée. L'intérêt général commande qu'on se pose la question de l'intérêt du service de l'État et des règles qu'on veut lui appliquer.

«Qu’irai-je chercher à retourner en politique ? Cette période était extraordinaire, mais la page est tournée»

La politique, ça ne vous manque pas un peu quand même ?

Avec Emmanuel Macron, j’ai eu la chance de vivre une aventure politique comme il n’y en aura pas d’autre avant 50 ans. Comme une startup qui partirait de rien et battrait à plate couture toutes les grandes entreprises de son secteur en 18 mois. Cela m’a permis de servir mon pays dans un domaine et avec une feuille de route qui, j’ai l’impression, ont contribué à le projeter dans l’avenir.

Qu’irai-je chercher à retourner en politique ? Cette période était extraordinaire, mais la page est tournée. Je contribuerai d’une autre manière.

Malgré l'envol de la French Tech, n'y a-t-il pas le regret que l'écosystème soit perçu de manière caricaturale par les Français ?

S'il y a bien une chose que je n'ai pas réussie et que la French Tech peine encore à faire collectivement, c'est expliquer pourquoi elle est là et pourquoi elle est importante pour l'avenir de la France.

Ce qui est sûr, c'est qu'au-delà de l'entre-soi qui caractérise l'écosystème et qui a son propre langage et ses propres références culturelles, il y a un problème d'appropriation par les Français de cette aventure technologique. Lors de la révolution industrielle, l’aventure des chercheurs et des capitaines d'industrie me semblait beaucoup plus partagée.

A l'inverse, il y a au sujet de la French Tech aujourd'hui une forme de fascination-répulsion, mais avec une dose de répulsion non négligeable, qui est l'une des lignes de force qui traverse la société française – et qui dépasse la personne d’Emmanuel Macron. C'est l'un des défis de la French Tech et de la France pour les années à venir.

Quand j'étais ministre, combien de fois me suis-je fait railler par certains parlementaires comme le ministre de la Startup Nation ? J'ai toujours dit que j'en étais fier, parce que je pensais que la French Tech, c'était quelque chose de super pour le pays. Le problème, c'est que nombreux étaient ceux qui ne le comprenaient pas. Et c'est un problème pour tout le monde.

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Cédric O, ancien secrétaire d'État chargé du Numérique. Crédit : Maddyness.