Comment percevez-vous le climat dans lequel évoluent actuellement les entrepreneurs ?
Je décris régulièrement les entrepreneurs comme des héros. En examinant les multiples défis qui se sont enchaînés au cours des six ou sept dernières années - les grèves, les mouvements sociaux, la pandémie, la crise énergétique, les tensions géopolitiques, et plus récemment, les émeutes -, la métaphore du héros prend tout son sens.
C’est d’autant plus vrai qu’en parallèle, ils font l’objet d’une injonction à être toujours plus responsables d’un point de vue écologique et social. Ils pourraient avoir envie de baisser les bras, mais paradoxalement, ils gardent le moral. D’après les derniers chiffres de "La Grande consultation des entrepreneurs" (ndlr, le baromètre réalisé par Opinionway et CCI France), 73 % d’entre eux sont confiants quant aux perspectives de développement de leur entreprise pour les 12 prochains mois.
Un niveau jamais atteint depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. L’indicateur d'optimisme s’élève, quant à lui, à 84 points. La résilience est intrinsèque à leur mode de fonctionnement.
L’état d’esprit de l’entrepreneur est-il la seule explication ?
Le gouvernement a joué un rôle crucial en soutenant les entrepreneurs tout au long de la pandémie et face à d'autres crises. Les décisions prises en réponse à ces événements ont eu un impact significatif sur l'état d'esprit des entrepreneurs.
Cependant, il est tout aussi important de souligner que la plupart des entrepreneurs sont conscients des limites de cette assistance gouvernementale et ils comprennent que compter systématiquement sur le "quoi qu'il en coûte" n'est pas une solution à long terme.
Les rentrées sont souvent synonymes de nouveau défi, quel sera celui de la CCI-IDF ?
Accompagner toujours et encore les entrepreneurs ! Si je prends le sujet du déficit commercial par exemple qui est considérable, le grand plan national pour aider les PME et les ETI à exporter, tout juste annoncé, est le bienvenu. Il est très pragmatique et, en qualité d’opérateur de France Export aux côtés de Bpifrance et Business France, il nous concerne tout particulièrement. Notre rôle est de sensibiliser et préparer les TPE-PME à exporter. Et pour cause, la culture française n’est pas suffisamment à l’international. Bien que nous comptions près de 150 000 entreprises exportatrices en France, bon nombre considèrent l’export comme un risque ou comme un objectif de développement ultérieur. L’export est pourtant un formidable accélérateur de croissance, dès les premières années ; par ailleurs les évènements récents nous ont prouvé que la diversification des marchés avait du bon.
Mais pour aller à l’export, il faut être préparé. C’est ce que fait la CCI IDF. Pour atteindre l’objectif des 200 000 entreprises exportatrices fixé par le plan, nos conseillers spécialisés à l’export travaillent à l’acculturation des TPE-PME, pour de l’export du long terme, pas un one shot qui serait plutôt synonyme d’échec.
Outre le déficit commercial, quels sont les grands enjeux de la CCI Île de France ?
Les enjeux de la CCI-IDF sont multiples et quotidiens, d’autant que l'Ile de France représente 30% du PIB Français faisant d’elle la première région économique d’Europe. Les CCI se financent grâce à une taxe pour frais de chambre (TCCI). Pour les 97 % des TPM-PME qui comptent moins de 20 salariés, cela revient au prix d’un abonnement à une chaine de télé. Pour les plus grosses entreprises, c’est évidemment plus cher, puisqu’une véritable solidarité s’opère dans le monde entrepreneurial. Les montants de TCCI sont fixés selon une formule complexe et ces dernières années, l’Etat a décidé de baisser les taux de TCCI.
Ainsi, ces dernières années, le budget de fonctionnement des chambres est passé de 1,5 milliard à 500 millions. Le nôtre - auparavant fixé à 300 millions - a connu une coupe budgétaire équivalente et c’est sans parler du fait que notre chambre a été amputée de 1 000 agents il y a 8 ans. Comme chefs d’entreprises que nous sommes, nous avons géré la situation avec résilience.
Nous avons balayé devant notre porte, fait mieux avec moins, mais surtout, continué de mener l’action que nous devions mener.
Nous nous réorganisons sans cesse, à l’image des mutations constantes que doivent opérer les entreprises. Peut-être faut-il rappeler les missions de la CCI IDF qui sont : la création, le développement, la transmission des entreprises, la sensibilisation des entrepreneurs et leur accompagnement dans les mutations. La sensibilisation est un sujet très complexe. Pour mener à bien cette mission, nous disposons de plusieurs centaines de conseillers généralistes acculturés sur tous les enjeux des entrepreneurs. Ils sont chargés de les sensibiliser sur les questions du numérique, de l’énergétique, sur la responsabilité sociale des entreprises ou encore sur l’export. En cas de besoin, ils peuvent les rediriger vers des conseillers spécialisés. A l’heure du tout internet, parlez avec des « vrais gens » c’est très précieux !
L’austérité imposée à la CCI IDF a-t-elle eu un impact sur le pôle éducatif ?
Notre pôle éducatif compte 14 écoles et forme 72 000 personnes chaque année.
Les coupes budgétaires ne peuvent être sans impact pour les écoles, d’autant plus que la plupart de nos écoles sont maintenant filialisées sous forme d’EESC (Etablissement d’Enseignement Supérieur Consulaire). Du fait de ce statut, la CCI doit être majoritaire, il ne peut pas y avoir de minorité de blocage et les actionnaires ne peuvent pas recevoir de dividendes. Toutes les entités de notre pôle éducatif sont « non-profit » : tous les surplus éventuels sont réinvestis- dans la qualité des enseignements. Nous menons une mission d’intérêt général.
Historiquement, les écoles étaient massivement subventionnées par la CCI Paris Ile de France, via une allocation d’une fraction importante de la taxe pour frais de chambre (TCCI). Outre la baisse de nos ressources déjà évoquée, la loi PACTE en 2019 a limité considérablement la possibilité pour les CCI de financer l’activité éducative par de la TCCI.
Cette nouvelle donne a eu des conséquences importantes ; Elle nous a obligé - avec les présidents et les DG des écoles - à raisonner différemment ; ici encore, à faire mieux avec moins ; à revoir nos investissements et à réfléchir à l’efficacité des organisations.
Les écoles ont ainsi dû réinventer rapidement leur business model. Accroissement des effectifs, augmentation des frais de scolarité, développement international, création de nouvelles offres, formation continue sont autant de leviers qui ont été utilisés par les écoles.
Cette transformation permet maintenant d’envisager des projets de développement. Prenons, le coût de la rénovation du campus Parisien de l’ESCP : entre les travaux et la relocalisation des étudiants durant 4 ans dans nos locaux de la porte Champerret, le coût du projet s’élève à 120 millions d’euros. Un projet d’une telle ampleur est finançable car cet établissement a développé – grâce à un apport de la CCI – un programme bachelor. Cette formation implantée dans 6 pays européens rencontre un véritable succès et génère des ressources importantes qui participent au financement de ces travaux.
L’accompagnement dans les grandes mutations est, semble-t-il, un enjeu. La Chambre de Commerce et d'Industrie d'Île-de-France s'adapte-t-elle en interne pour être cohérente avec les conseils qu'elle prodigue aux entreprises ?
La société se transforme et nous accompagnons les entreprises dans ces transformations tout en poursuivant tout ce que nous avons mis en place en matière d’accompagnement de proximité des entrepreneurs à toutes les étapes de la vie de l’entreprise, de leur création à leur transmission en passant par leur développement. 2022 c’est par exemple 50 000 entreprises accompagnées sur le digital.
Aussi, il nous paraît naturel d’opérer, parallèlement, des mutations en interne à l’image de celles qui sont opérées par les entreprises. Cela passe évidemment par l’intensification de l’usage d’outils digitaux pour optimiser nos services juridiques, financiers, RH, etc. Le déménagement de notre siège historique est un second exemple qui témoigne des mutations que l’on s’impose ; cette fois-ci en matière de décarbonatation et de sobriété énergétique. Tout le monde adore l’hôtel Potocki, mais c’est une véritable passoire énergétique. Les nouveaux locaux de la CCI IDF seront au cœur de la ville, derrière la place de la République, dans un bâtiment écoresponsable, durable, ouvert sur la cité et le public entrepreneurial.
Nous y serons en 2025, c’est un acte fort. Ce nouveau bâtiment nous permettra, en outre, de réunir des collaborateurs, des élus, qui auparavant étaient dispersés, pour plus de transversalité.
Les salons constituent-ils toujours un autre enjeu ?
Oui, mais, cette fois-ci, directement pour la France, son image et son économie. Nous travaillons au redressement de Comexposium qui a particulièrement souffert durant la pandémie.
Et pour cause, Viparis et Comexposium accueillent, en temps normal, des milliers de personnes venues de France et de l’international. Ces filiales, dont nous détenons 50 % des capitaux, ne génèrent pas moins de 6 milliards d’euros de retombées économiques.
Je ne parle pas d’argent fléché vers les caisses de la CCI IDF, mais des recettes de l’activité économique qui en découle. A titre d’exemple, c’est le même montant qui est attendu par les Jeux Olympiques de 2024. Mais nous, c’est chaque année.
Comment percevez-vous l’écosystème de la transmission, quel rôle joue la CCI dans ces dossiers et quels sont ses enjeux ?
En qualité d’entrepreneur, je suis personnellement passé par là et c’est une étape à laquelle j’accorde beaucoup d’importance au sein de la CCI IDF. C’est un enjeu fondamental d’attractivité, de croissance, de compétence, d’emploi, de savoir-faire qui peuvent être menacés.
Lorsqu’un artisan, un commerçant disparaît dans un village, c’est souvent la fin du lien social.
Pour les TPE-PME que nous sensibilisons, que nous accompagnons - celles qui représentent l’immense majorité des entreprises en France sans pour autant être les plus solvables-, l’étape de la transmission est souvent synonyme de croissance externe. Cette croissance externe rappelle d’ailleurs que ce n’est pas la fin de l’entreprise, mais bel et bien une étape pour celui qui vend parfois trente années de sa vie. Cette étape, elle se prépare et la CCI, en qualité d’acteur public et donc tiers de confiance, l’accompagne notamment à travers le salon TRANSFAIR ; un évènement phare en Île de France, mais plus largement en France, cocréé avec l’Ordre des Experts-Comptables Paris IDF, avec les notaires.
L’enjeu est de lui donner de la visibilité notamment auprès des jeunes entrepreneurs qui doivent absolument y prendre part. La relève se fait aussi avec eux, surtout lorsqu’il s’agit de petites entreprises. Ils ont cette culture du risque et le pays a mis en place les conditions qui leur permettent de prendre ces risques. Le système de mentorat que j’ai importé du Canada en fait partie. Récemment les Hauts-de-France ont développé leur propre salon TRANSFAIR et c’est une bonne chose, parce que c’est un sujet relativement local.
La CCI pourrait-elle avoir un jour le rôle de banque d'affaires ?
Chacun son métier ! Ce n’est pas notre mission. Nous avons des sites sur lesquels nous diffusons des offres d’entreprises à vendre, mais ce n’est pas notre modèle économique que de jouer les intermédiaires.
D’autant que les banquiers d’affaires sont des entreprises et donc nos ressortissants. À noter que le marché visible de la transmission des TPE PME ne les intéresse pas. Ils n’y trouvent pas de rentabilité, les mandats sont trop faibles.
C’est la raison pour laquelle nous devons accompagner les entreprises dans ce domaine. Il en va de la survie de ces entreprises.