Ce mercredi 20 septembre, France Digitale réunit l’écosystème tech français et européen au musée des Arts forains, à Paris, à l’occasion de son traditionnel France Digitale Day. L’événement est l’occasion pour les entrepreneurs, les investisseurs et les autres acteurs de l’écosystème de se rencontrer et d’échanger sur les thématiques du moment.
A l’heure où l’inflation fait chuter le pouvoir d’achat des Français et les financements se font moins massifs dans la sphère technologique, ce ne sont pas les sujets qui manquent. En marge de la nouvelle édition du France Digitale Day (ou FDDAY pour les habitués de ce rendez-vous incontournable de la French Tech), Maddyness s’est entretenu avec Maya Noël, la directrice générale de France Digitale.
MADDYNESS – Quels sont les enjeux de cette nouvelle édition du France Digitale Day ?
MAYA NOËL – La recette du France Digitale Day ne change pas en fonction du contexte, c'est toujours la même. C'est vraiment un événement de rentrée, avec un aspect un peu familial. Ce qui est aussi intéressant, c'est qu'il y a VivaTech en parallèle depuis six ans. Il faut donc voir un peu le France Digitale Day comme un rebond de ce gros événement international, mais dans un contexte plus familial pour reprendre des contacts et faire en une seule journée les dix ou quinze rendez-vous de rentrée, qui vont pouvoir nous booster et faire en sorte que l'année parte sur les chapeaux de roues. La logique, c'est vraiment de réunir au même endroit des entrepreneurs, des investisseurs et des penseurs de cet écosystème tech pour s'inspirer, et aussi interpeller les décideurs publics.
Cette approche correspond exactement à l'ADN de ce qu'est France Digitale : capitaliser sur l'effet réseau pour favoriser le business et le partage entre pairs pour grandir. Concernant le France Digitale Day, on arrive à mettre la lumière sur un écosystème le temps d'une journée. Nous faisons venir des décideurs publics, des ministres et des députés pour les informer de ce qui se passe, notamment sur les enjeux économiques et les nouvelles tendances technologiques qui vont arriver pour lever des cadres réglementaires ou préparer des financements.
Ce qui est intéressant dans cette journée, c'est que nous sommes capables de donner une image à date de ce qu'est cet écosystème et comment il évolue. C'est d'ailleurs l'objectif de notre baromètre publié chaque année. L'idée, c'est d'être le plus fidèle possible et d'être vraiment connecté à ce que sont ces entreprises et ces investisseurs pour adresser collectivement les enjeux auxquels ils sont confrontés.
Un rapprochement avec le CES Tech Trends pour la nouvelle édition du France Digitale Day
Cette nouvelle édition du France Digitale Day est marquée par le rapprochement avec le CES Tech Trends. Comment s'est noué ce partenariat avec les organisateurs du salon américain ?
C'est une forme de légitimité reconnue que le CES soit venu nous voir pour nous demander s'il était possible de faire quelque chose ensemble. Pour parler des tendances tech à la rentrée, le France Digitale Day est peut-être l'événement le plus pertinent. Ce n'est pas une fusion, mais plutôt un partenariat pour montrer que la France est visible du monde entier. Cela permet aussi de s'ouvrir une porte vers les États-Unis pour les volets business et légitimité/crédibilité.
De plus, cela fait quelques années que la France est la plus grosse délégation internationale au CES...
Le fait que l'on ait la plus grosse délégation internationale, c'est parce qu'on a un vivier d'entreprises qui ont faim et qui sont capables de s'exporter. Le chiffre d'affaires des entreprises est en grande partie toujours tourné vers l'international, et ça ne faiblit pas. C'est bon signe.
«L'objectif principal de France Digitale est de passer du statut d'association à celui de fédération»
Outre le CES, les associations de l'écosystème seront également à l'honneur...
Le France Digitale Day est une réunion de famille, et cette famille s'est véritablement agrandie. Au début, il y avait une cinquantaine, puis des centaines d'entrepreneurs. Aujourd'hui, le réseau de France Digitale, c'est un peu plus de 2 000 entreprises et entités si on se réfère aux adhérents purs, mais le réseau de France Digitale est beaucoup plus élargi. Il y a aussi des associations, ultra-spécialisées par secteur, qui se sont développées autour de nous, mais qui continuent de venir au France Digitale Day pour mettre en lumière les enjeux dans leurs secteurs respectifs. Cette année, et c'est d'ailleurs l'une des spécificités de cette édition 2023, il y aura une scène qui va être gérée par d'autres associations qui vont faire passer leurs messages dans des secteurs comme le Web3, le quantique, la fintech ou encore la sporttech.
On fédère toutes ces associations, et c'est désormais l'objectif principal de France Digitale : passer du statut d'association à celui de fédération, non seulement au niveau français, mais aussi au niveau européen. On ne peut plus simplement parler des startups françaises sans les mettre dans le contexte européen. Dans ce cadre, nous avons fait le choix cette année d'avoir une vingtaine d'associations européennes partenaires, qui, elles aussi, nous ont aidé à construire la ligne éditoriale. Avec elles, nous allons pouvoir parler de ce qui se passe en Europe. La baseline de France Digitale, c'est de créer des champions d'innovation, pas simplement en France, mais en Europe. Nous voulons des champions européens.
Ce qui passe par un lobbying plus intense à Bruxelles ?
Bien sûr, mais ce n'est pas que du lobbying, c'est du business. L'enjeu, c'est de parvenir à créer un marché européen. Certes, nous sommes un lobbying de défense d'intérêts et d'éducation, mais nous sommes aussi un réseau. Et ce réseau, nous essayons de le tirer de plus en plus vers l'international, au niveau européen.
«Sur le segment du late-stage, les progrès sont trop lents par rapport aux Américains»
Depuis le mouvement des Pigeons en 2012, beaucoup de chemin a été parcouru par France Digitale. Quels vont être les chantiers à mener pour votre structure dans les prochains mois ?
A l'image du France Digitale Day qui va donner le ton de notre année, l'objectif est d'être le plus fidèle possible à ce qui se passe dans l'écosystème. Cela signifie être de plus en plus audible au niveau européen. Nous le sommes déjà, notamment sur les textes d'IA et data pour lesquels nous figurons parmi les principaux contributeurs. Nous veillons vraiment à que ces textes soient applicables aux startups et ne leur posent pas trop de problèmes pour se développer. On évite les effets de bord, c'est un peu de la prévention qu'on fait sur ces textes. Ces derniers étant votés au niveau européen, nous sommes vigilants pour que la transposition se fasse de la manière la plus pertinente possible.
Avec la crise de financement actuelle qui frappe les startups, certaines sont déjà mises à rude épreuve depuis plusieurs trimestres...
Au final, il y a toujours autant d'investissements. Ce sont les montants qui ont changé. Je pense qu'il y a eu un besoin de recalibrage sur les valorisations. Il y a des opérations qui ont été décalées, certaines entreprises ont même décidé d'arrêter de lever des fonds. Maintenant que ce recalibrage est bientôt terminé, nous militons pour que Tibi2 soit déployé au plus vite, ainsi que Scale-up Europe.
Au niveau français et européen, il faut que les poches budgétaires soient importantes. Mais quand on regarde par rapport aux États-Unis, cela reste des montants qui sont assez faibles. Il faut donc que l'on arrive à avoir un marché unique européen de capitaux pour avoir une plus grosse poche budgétaire. Les éléments sont là. Maintenant, il faut que la mécanique s'embraie.
L'un des points de friction dans la chaîne de financement, c'est sur le segment du late-stage, où les progrès sont trop lents par rapport aux Américains. Quand une entreprise veut se déployer, faire une série E ou F, ce sont souvent les Américains et les Asiatiques qui raflent la mise, et on regarde le train passer...
On peut voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. A notre niveau, nous ne serons jamais satisfaits. C'est un peu notre positionnement, parce que nous militons pour que ça aille toujours plus vite, mais les choses ont progressé ces dernières années. Je pense que le temps va continuer à faire son effet. Mais si on arrivait déjà à faire en sorte que l'argent qui existe, notamment celui situé dans des poches comme Scale-up Europe et Tibi2, soit véritablement injecté en Europe et rapidement, ce serait déjà une très bonne chose.
Un de nos chevaux de bataille, c'est la commande à la fois privée et publique. On le voit dans notre baromètre : le secteur public n'est pas le plus gros commanditaire des startups aujourd'hui. Ce qu'on dit depuis toujours, c'est qu'à partir du moment où les Américains font le choix d'acheter américain, et les Asiatiques font de même entre eux, si les Européens n'achètent pas européen, personne n'achètera européen. Il faut donc qu'il y ait une forme de préférence à l'achat, et que les grands groupes et le secteur public s'y mettent.
«Il ne faut pas oublier qu'une startup n'est pas censée être rentable tout de suite»
Actuellement, l'écosystème française est confronté à une sorte de stress test. Finalement, c'est un test de maturité par rapport aux Américains qui ont déjà connu plusieurs crises par exemple ?
Oui, il y a des vents contraires, mais l'écosystème est quand même résilient. Quand on regarde le chiffre d'affaires, il continue de progresser, et nous avons toujours plus de startups. Au niveau de l'emploi, c'est aujourd'hui 1,1 million d'emplois directs et indirects. L'écosystème est présent et continue de peser. 92 % des startups prévoient de recruter dans les prochains mois. C'est plutôt une bonne statistique, c'est assez cohérent.
Mais effectivement, il y a un stress test. Il faut que la qualité soit au rendez-vous. Mais il ne faut pas non plus oublier que financer une startup implique forcément de prendre un risque. C'est le principe même d'une startup. C'est un laboratoire d'expérimentation.
Aujourd'hui, on demande à toutes les startups d'avoir une trajectoire de rentabilité. Mais par défaut, une startup n'est pas censée être une entreprise qui est rentable et fait du chiffre d'affaires tout de suite. Quand on crée une startup, cela signifie qu'on a une idée qu'on veut mettre en œuvre en dehors d'un grand groupe, en partant d'une feuille blanche.
Forcément, on perd de l'argent au début. Et cette perte d'argent, elle n'est pas négative. Nous savons pourquoi elle existe. Il ne faut pas oublier que c'est aussi à ça que sert le capital-risque. Sinon, nous irions nous financer auprès d'une banque classique. Ce n'est pas le cas. A mes yeux, il y a donc un juste équilibre à trouver.
En plus, les innovations testées par les startups ne répondent pas seulement à un besoin de marché, elles apportent de véritables solutions, notamment vis-à-vis du réchauffement climatique et des enjeux sociétaux. Il y a une vraie tendance de fond des entrepreneurs de vouloir trouver des solutions pour aboutir à une innovation au service de l'Homme et de la planète.
Surtout que la France et l'Europe apparaissent comme des pionniers à l'échelle mondiale dans le secteur greentech...
C'est clairement notre avantage concurrentiel.
Il y a aussi l'accent qui a été mis sur la deeptech, un secteur dans lequel les entreprises ont besoin d'un temps de développement plus long...
Pour pouvoir financer ces entreprises, il fallait absolument qu'on passe par la phase d'avant. Cet effort dans la deeptech a été rendu possible parce qu'il y a eu un retour sur investissement, avec des startups dans le SaaS qui ont réussi à faire des exits et à faire en sorte que les financeurs aient des poches plus profondes. C'est ça qui permet aujourd'hui de financer de la deeptech. Finalement, le cycle est naturel.
Nous avons toujours eu des supers chercheurs en France et en Europe. Mais parfois, nous n'avions pas forcément les moyens de financer ces startups dans la deeptech, parce qu'elles demandaient beaucoup d'argent dès le départ. En l'occurrence, nous avons déjà du mal à financer les phases late-stage des entreprises SaaS avec des modèles économiques qui fonctionnent. Mais progressivement, nous arrivons à financer le late-stage. Ça prend juste du temps d'engranger de l'argent.
Si on veut développer des innovations de rupture qui vont peut-être nous permettre de combattre véritablement le réchauffement climatique, il va falloir mettre un peu plus d'argent et faire plus de R&D. Ce ne sont pas les mêmes mécaniques, mais elles sont tout à fait complémentaires. On a besoin de l'une pour pouvoir financer l'autre.
On peut voir que les choses bougent enfin, notamment avec la Mission French Tech qui a lancé son projet «Je choisis la French Tech» pour doubler la commande des acteurs privés et publics auprès des startups. C'est une super initiative, c'est une forme de rêve éveillé pour France Digitale. Ça fait tellement d'années qu'on demande ça ! C'est une première étape, mais il faut aller encore plus loin.
A la lumière du contexte actuel, quels sont les principaux défis à relever pour la French Tech lors des prochains mois ?
Il faut des talents, des clients et des financements. Ce triptyque restera toujours notre priorité quoi qu'il arrive. Actuellement, nous avons un bon momentum, parce que les élections européennes arrivent, et qu'il faut donc qu'on pense au niveau européen. A terme, ce triptyque va être tiré par davantage d'impact, notamment parce que c'est le sens de l'histoire.
Au niveau des financements, on voit que ce sont surtout les startups cherchant à lever des fonds en série A qui rencontrent le plus de difficultés en ce moment...
Parce que c'est là où la prise de risque se fait. Il y a peut-être eu une espèce d'effet d'éviction aussi liée aussi à Tibi1, où l'on avait vraiment voulu favoriser le late-state. Il y a eu une grosse focale qui a été mise là dessus, quitte à oublier la série A.
Il faut que l'on continue à financer toute la chaîne de financement. La série A, c'est celle où l'on prend des risques. Ce qui est intéressant, c'est que l'écosystème est résilient et plus mature. Pour les startups qui continuent à croître et à accélérer, comme Mirakl par exemple, elles sont sur de vraies trajectoires de rentabilité qui leur permettent peut-être d'aller chercher plus facilement de l'argent en série D ou E, et surtout d'aller chercher de l'argent via de la dette et d'autres systèmes de financement qui sont plus traditionnels. C'est assez logique puisqu'elles prennent la trajectoire d'une grosse PME/ETI. C'est exactement ce que l'on souhaite.
Petit à petit, on s'éloigne d'un schéma classique, avec le financement par la dette qui commence à se démocratiser dans l'écosystème...
Il y a deux scénarios possibles : soit une startup devient une ETI ou une structure encore plus grosse, soit elle se fait racheter. Certaines startups, si elles veulent vraiment pouvoir passer à l'échelle, elles vont être obligées de s'intégrer à la chaîne de valeur de l'industrie. Et la meilleure possibilité pour que cela se fasse rapidement, c'est parfois d'être racheté.
Pour les entreprises qui restent indépendantes, elles peuvent avoir de grandes ambitions. Elles peuvent même viser une introduction en Bourse pour continuer à grandir, même si nous n'avons pas encore de place de marché européenne aussi forte que le Nasdaq, qui reste très attractif pour les valeurs technologiques.