Après des années 2021 et 2022 avec des niveaux inédits, la fintech, comme l’ensemble de la sphère technologique, retombe sur terre. En effet, ce sont 673 millions d’euros qui ont été levés par les fintechs françaises au premier semestre 2023, contre 1,4 milliard sur la même période un an plus tôt, indique l'Observatoire de la Fintech dans son bilan semestriel.
Néanmoins, si le montant des fonds levés a chuté de 52 %, cela ne signifie pas que l’écosystème est moins dynamique qu’auparavant. Preuve en est, ce sont 73 opérations qui ont été dénombrées sur les six premiers mois de l’année, soit une hausse de 9 % par rapport au premier semestre 2022. Cela représente un rythme d’environ trois levées de fonds par semaine.
Ledger, seule méga-levée de fonds du premier semestre
En réalité, c’est l’absence de méga-tours de table qui vient ternir le tableau de l’écosystème. En effet, il n’y en a eu qu’un seul dans ce premier semestre, à savoir celui de Ledger, la licorne crypto qui a levé 100 millions d’euros en mars dernier. Cela tranche avec les six opérations recensées en 2022 sur la même période. "Pendant plusieurs années, la levée de fonds a été vue comme l’alpha et l’omega de l’écosystème. Mais il y a plein de fintechs qui se sont développées en bootstrap. C’est bien aussi de se développer sur ses fonds propres", analyse Emmanuel Papadacci-Stephanopoli, vice-président de l'Observatoire de la Fintech.
A ses yeux, il faut remettre en perspective la progression de l’écosystème au cours de la décennie écoulée. "En 2010, je pensais que je ne verrai jamais une entreprise de mon secteur lever plus de 100 millions d’euros", se souvient-il. Les choses ont bien changé, au point qu’il est presque décevant de ne pas voir davantage d’opérations de ce calibre sur la première partie de l’année 2023.
22 fusions-acquisitions en 6 mois
Si les méga-tours de tables se font rares, ce n’est pas le cas des fusions-acquisitions (M&A) qui ont le vent en poupe. En effet, il y a eu 22 opérations de ce type au premier semestre. Sur les 18 derniers mois, le constat est même contre plus édifiant : ce sont 50 % de l’ensemble des transactions de fusions-acquisitions depuis les débuts de la fintech qui ont été réalisées durant cette période ! "Il y a clairement une accélération, donc elle devrait se poursuivre", anticipe Mikaël Ptachek, président de l'Observatoire de la Fintech.
Cette multiplication des opérations de M&A aiguise notamment l’appétit de trois typologies d’acteurs. "Pour la moitié de ces opérations, ce sont d’autres startups qui deviennent elles-mêmes des investisseurs, agrégateurs, consolidateurs… A hauteur de 25 %, il y a des fonds d’investissement qui, plutôt que de prendre des parts minoritaires dans des sociétés, préfèrent en prendre le contrôle. Enfin, il y a 25 % d’acteurs stratégiques industriels (banquiers, assureurs…)", explique Emmanuel Papadacci-Stephanopoli.
Vers la construction d’un nouveau paradigme ?
A la lumière de ce premier semestre, Mikaël Ptachek, président de l'Observatoire de la Fintech, estime qu’un nouveau paradigme est en train de se dessiner. "Peut-être rentre-t-on dans un nouveau cycle ?", s’interroge-t-il. "On ne revient jamais complètement en arrière. Je pense que nous allons évoluer vers un nouveau cadre économique, mais il faudra du temps. Il faut d’abord que ça se stabilise pour revenir à un point d’équilibre qui ne soit plus simplement une réponse à une surchauffe inflationniste. Cela prendra peut-être deux ou trois ans", ajoute-t-il.
Dans ce climat plus exigeant qu’en 2021 et 2022, certains acteurs tirent leur épingle du jeu, comme les fintechs B2B. "Il y a un rééquilibrage qui est en cours. Auparavant, les grands acteurs bancaires ne travaillaient pas forcément facilement avec les fintechs. Ces dernières avaient tendance à toucher plus directement le consommateur, comme Lydia. Aujourd’hui, les relations sont beaucoup plus apaisées, et les fintechs sont vues comme des partenaires comme les autres. Cela permet d’aboutir à une situation où la place du B2B est plus forte", décrypte Emmanuel Papadacci-Stephanopoli. Parmi ces acteurs, Qonto, néobanque qui cible les TPE et PME, s’était illustrée en janvier 2022 avec un méga-tour de table de 486 millions d’euros qui avait permis à la société de devenir, l’espace de quelques heures, la licorne la mieux valorisée de la French Tech.
De plus en plus de fintechs contraintes de mettre la clé sous la porte
Pendant que les fintechs B2B se frottent les mains, d’autres acteurs déchantent. C’est le cas notamment de la néobanque Vybe qui a mis la clé sous la porte à l’été 2022. Ce n’est pas une immense surprise, puisque de telles faillantes se multiplient dans l’écosystème, soulevant au passage des interrogations sur la viabilité de certains modèles économiques. "Au 30 juin, il y avait 500 fintechs qui avaient procédé à une levée de fonds, dont 50 avaient cessé leur activité au 31 décembre dernier. Ces 50 fintechs avaient levé 200 millions d’euros en cumulé parmi les 8 milliards levés par la fintech depuis ses débuts, ce qui représentait 2,5 % du montant total levé. C’est encore très peu", tient d’abord à nuancer Mikaël Ptachek. Avant de poursuivre : "Sur les sociétés qui ont cessé leur activité au 31 décembre 2022, il y avait 50 cessations, dont 18 en 2022. Or sur les 200 millions d’euros de fonds levés par ces 50 cessations, les 18 de 2022 avaient levé 100 millions. Il y a donc une accélération de l’intensité sur cette tendance qui devrait, avec la raréfaction des investissements, s’intensifier en 2023. Selon toute vraisemblance, on peut s’attendre à ce qu’il y ait une augmentation de cessations d’activité d’ici la fin de l’année."
Il faudra donc attendre le bilan annuel de l'Observatoire de la Fintech dans six mois pour en avoir le cœur net. Pour l’heure, ces résultats semestriels laissent présager une année 2023 autour d’un milliard d’euros levés par les fintechs françaises, contre 2,4 milliards d’euros en 2022. Le signe que la fintech, comme l’ensemble de l’écosystème technologique, revient à des standards plus raisonnables après l’euphorie du Covid.