Le Shack est une création d’Emilie Vazquez-Bourguignon et de son père Philippe Bourguignon, un chef d’entreprise reconnu : "On est arrivé par deux chemins au même concept", explique-t-il, présentant cette confluence comme une validation de l’idée.
Le curriculum vitae de Philippe Bourguignon serait trop long à reproduire de manière intégrale. De PDG d’Euro Disney (1992-1997) à celui du Club Med (1997-2003), en passant par coprésident du Forum économique mondial de Davos (2003-2004), et membre du conseil d’administration d’entreprises comme eBay, Zipcar, Meetic, Canal+ ou Libération, l’homme aujourd’hui âgé de 75 ans peut se targuer d’avoir eu une carrière bien remplie.
Il partage désormais son temps entre son rôle de vice-président de Revolution Places, une entreprise fondée par Steve Case (cofondateur d’AOL) et celui de cofondateur du Shack avec sa fille.
" Ce n’est pas forcément évident d’être la fille de Philippe Bourguignon, avoue Emilie Vazquez-Bourguignon à Maddyness. Il faut se frayer un petit chemin… se faire un prénom au-delà du nom.".
Emilie Vazquez-Bourguignon a donc débuté sa carrière avec l’ambition de se construire seule, d’être reconnue pour ses propres réussites avant de pouvoir envisager une telle collaboration. Après cinq ans dans le monde des télécoms (Noos, Bouygues Telecom), elle rejoint le groupe Accor Hôtel où elle passe 12 ans à divers postes et notamment vice-présidente chargée du digital et du e-commerce pour l’ensemble du groupe. " Je n'aurais pas pu entreprendre quelque chose au tout début de ma carrière avec mon père, reconnaît-elle. Cela m'a permis de rouler ma bosse pendant une bonne vingtaine d'années avant que l’on se retrouve pour le Shack.".
Brasser une multiplicité d’usages
Sur la demande de Sébastien Bazin, le PDG d’Accor Hôtel, Emilie Vazquez-Bourguignon dirige aussi le shadow comex, un comité exécutif alternatif qui rassemble les collaborateurs talentueux de moins de 35 ans pour venir challenger l’entreprise sur ses projets. Cette instance travaille notamment sur les ambitions de diversification qui étaient au cœur de la stratégie du groupe à ce moment-là et c’est dans ce cadre qu’Emilie Vazquez-Bourguignon se retrouvera à réfléchir à l’avenir du secteur.
" J’ai pu comprendre les attentes et appréhender les changements des modes de vie, qui étaient en train de profondément se transformer. Une transformation qui sera d’ailleurs considérablement accélérée avec le COVID un peu plus tard. Mais on voyait déjà une attente pour une autre proposition de valeur, quelque chose qui sort des basiques. C’est là que j’ai commencé à imaginer un lieu qui viendrait brasser cette multiplicité des usages. ".
De son côté, l’idée a émergé dans l’esprit de Philippe Bourguignon alors qu’il était encore basé à Washington avant un retour en France en 2020. Il avait pu y voir le développement d’une multitude de lieux hybrides qui reflétaient la vague des business “customer centric” (centré sur les besoins et la qualité de l’expérience du client)
Voilà donc l’ambition du Shack : proposer un lieu hybride, à la croisée de plusieurs mondes très complémentaires. Proposant les services et facilités attendus d’un bureau, mais dans un cadre beaucoup plus chaleureux et confortable.
Emilie Vazquez-Bourguignon parle d’un vrai coup de cœur quand elle a posé ses yeux pour la première fois sur cet espace niché dans un hôtel particulier qui a accueilli les imprimeries de la maison d’édition Calmann-Lévy pendant de nombreuses années. Elle signe le contrat de bail en juillet 2019 en se fixant une date pour l’ouverture du lieu : le 16 mars 2020.
" Tu n’ouvriras jamais le 16 mars, lui avaient assuré de nombreuses personnes gravitant autour de la chef d’entreprise. Il y a toujours des retards dans les travaux et des aléas. ". Emilie Vazquez-Bourguignon et ses équipes sont pourtant prêtes à se lancer à la date fixée. Le président Emmanuel Macron prendra la parole à 20H00 ce soir-là pour annoncer un confinement strict du pays dès le 17 mars. " Nous sommes en guerre ", avait-il alors lâché. Le Shack n’a pas encore pu ouvrir qu’il est déjà dans la tourmente.
Faire évoluer le concept avant d’avoir pu le tester
Le 18 mars à 08h15, Philippe Bourguignon appelle sa fille. " Bon, c’est quoi le plan pour se réinventer ? ", lui demande-t-il. " J’étais complètement perdue, avoue Emilie Vazquez-Bourguignon. J’avais l’impression d’avoir pris un TGV en pleine face. Je lui ai dit : “mais enfin papa, on est enfermé depuis hier, je n’ai même pas pu tester mon concept tel qu’on l’a imaginé”. Elle se rappelle la frustration qu’elle pouvait ressentir face à la situation. Elle était même en colère. " Il faut que tu réinventes le concept sinon on ne s’en sortira pas ", lui indique son père. Il l’appelle à nouveau le lendemain à 08h15, et le jour suivant. Elle est pourtant incapable d’avancer.
Philippe Bourguignon lui cite alors une phrase de Paul Dubrule (cofondateur de Novotel avec qui il a travaillé dans les années 70-80) : " il vaut mieux vivre en santé médiocre que mourir en pleine forme. ".
Elle médite sur cette phrase pendant le week-end et revient le lundi avec un plan d’action. Ils avaient imaginé un système de travail nomade avec abonnement qui allait prendre trop de temps pour représenter une ligne de revenue significative. Ils décident de commercialiser des espaces de bureau privatif. " C’était un peu vieille école, reconnaît-elle. Mais on s’est dit que c’était peut-être une question de survie. On s’est donc donné pour objectif d’avoir commercialisé 100% de nos espaces avant la fin du confinement.". Mission accomplie quand ils ouvrent le 11 mai.
De la même manière, ils disposaient d’une grande salle de séminaire au sous-sol. En réalisant qu’il se passerait un long moment avant de pouvoir accueillir 50 personnes dans une salle en sous-sol, sans fenêtre et aération, ils décident de le basculer en studio télé pour permettre aux entreprises de communiquer avec leurs collaborateurs. Quinze jours plus tard, ils accueillent leur premier streaming.
Emilie Vazquez-Bourguignon a aussi dû faire face à la problématique du restaurant qui ne pouvait tourner à pleine capacité. Elle décide alors de transformer cet espace en un speakeasy, ces bars à cocktails un peu cachés en rappel à la prohibition américaine. " Cela a réduit notre risque sur les achats de matière première, réduit le besoin de personnels en cuisine, et on a amélioré nos marges. On a aussi réussi à émerger comme un bar à cocktail un peu tendance dans des médias spécialisés. ".
Père et fille ont également lancé une activité d’accompagnement pour permettre à des entreprises d’avoir leur propre espace similaire au Shack. Ils travaillent ainsi avec plusieurs grands groupes pour proposer une nouvelle dynamique collaborative dans leurs bureaux, avec la volonté souvent affichée de redonner envie aux collaborateurs de venir dans leurs immeubles. " C’est grâce à tout cela, en restructurant l’entreprise avant même de pouvoir ouvrir que nous sommes encore là trois ans plus tard ", explique Emilie Vazquez-Bourguignon.