Rishi Sunak est arrivé au 10 Downing Street en novembre 2022, pour devenir le Premier ministre du Royaume-Uni. Dans un contexte économique houleux, beaucoup s’attendaient à ce qu’il rétablisse le calme et remette le navire britannique post-Brexit sur la bonne voie.
Au cœur de son image, il y a sa promesse de faire du pays une " superpuissance des sciences et des technologies ", une rivale de la Silicon Valley qui serait alimentée par les meilleures universités du pays, les entrepreneurs et les investisseurs. Un projet qui n’a pas seulement marqué sa campagne pour prendre la tête des Conservateurs, mais aussi son mandat en tant que Chancelier de l’Echiquier.
il y a sa promesse de faire du pays une " superpuissance des sciences et des technologies ", une rivale de la Silicon Valley
Or, pendant toutes ces années passées à convoiter la tête du gouvernement, est-ce vraiment ainsi que Sunak envisageait les choses ? L’économie britannique est extrêmement fragile, soumise aux vents contraires du Brexit, du Covid-19 et de la première guerre européenne en plusieurs décennies. La quasi-totalité du secteur public voit ses employés se mettre en grève pour demander des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail. Pendant plusieurs semaines, il a même semblé que l’intégralité du service public se mettait à l’arrêt.
Pour les chefs d’entreprises, et en particulier les fondateurs de startups en phase de démarrage, les eaux sont incertaines. Dans cet article, nous analysons donc l’état de l’économie britannique, et expliquons ce que ce constat signifie pour les startups : un marché de l’emploi regorgeant d’opportunités, et un environnement de levées de fonds concurrentiel mais potentiellement fructueux.
La dure réalité
Commençons par les chiffres – la pilule la plus difficile à avaler quand on regarde l’état actuel de l’économie britannique. Peu importe la manière dont on tourne les choses : le constat est sinistre.
Le Royaume-Uni est au bord d’une profonde récession, qui pourrait d’ailleurs s’avérer deux fois plus grave que prévu : le PIB devrait baisser de 0,6 % sur l’année 2023. Plus généralement, le Royaume-Uni a enregistré la moins bonne croissance de tous les pays du G7 en 2022. Ceci étant dit, si cette baisse pourrait être plus importante qu’initialement prévu, elle devrait aussi être plus courte avec un retour de la croissance à l’été.
L’inflation a ralenti depuis ses sommets à plus de 11 % en fin d’année dernière, mais demeure importante avec un taux de 9,2 % sur un an en décembre. Cette hausse des prix a créé une onde de choc qui a touché toute l’économie. La croissance des salaires en termes réels (ajustés pour tenir compte de l’inflation) a chuté d’environ 2,6 % l’année dernière. C’est la plus grosse baisse depuis 2001, date à laquelle remontent les premières archives.
En parallèle, les taux d’intérêts se maintiennent à un niveau record et la Banque d’Angleterre les a augmentés à nouveau de 0,5 % en février, pour les porter à 4 %. PwC prévoit donc que le prix des maisons va baisser de 8 % en 2023, marquant la deuxième plus forte baisse en 70 ans.
Le taux d’emploi a légèrement augmenté l’année dernière, avec 32,8 millions de personnes en activité – ce qui fait toutefois 200.000 de moins qu’avant la pandémie. Il faut noter l’augmentation du nombre de licenciements : 97.000 personnes ont perdu leur emploi au quatrième trimestre 2022, soit 30.000 de plus qu’au troisième trimestre de la même année.
Le contrecoup du Brexit
Trois ans après l’entrée en vigueur du Brexit, le Royaume-Uni est encore en train d’accuser le coup de sa décision politique, une des plus importantes et controversées des dernières décennies. Si ses conséquences directes peuvent être difficiles à identifier, le résultat est clair : le Royaume-Uni est la seule économie du G7 à ne pas avoir retrouvé son niveau d’avant la pandémie, et la livre sterling a perdu un cinquième de sa valeur depuis le référendum de 2016.
Le secteur du commerce a été durement touché. En 2012, le Premier ministre britannique David Cameron fixait au pays un objectif d’exportations d’une valeur d’un billion de livres sterling d’ici 2020. Désormais, cette cible ambitieuse ne devrait pas être atteinte avant 2035. En outre, 77 % des entreprises affirment que le Brexit ne les a pas aidées à booster leurs ventes ou à faire croître leurs activités, selon un sondage de la Chambre de commerce britannique.
Les startups sentiront les effets du Brexit à de multiples autres niveaux. L’embauche reste notamment un défi, car il devient de plus en plus compliqué de faire venir des talents d’Europe en raison des contraintes de visas. Les financements posent un autre problème : si le Brexit ne semble pas avoir eu l’impact prévu sur les investissements en capital-risque, il présente désormais un obstacle majeur pour accéder à des financements européens. Or le système de bourses britannique n’est pas en mesure de compenser ces opportunités perdues.
Dans ces conditions, comment le gouvernement soutient-il les startups ?
Pour Rishi Sunak, la question est donc la suivante : dans ce nouveau contexte, que doit-il faire pour concrétiser son rêve d’une Silicon Valley britannique ? Il aura sans aucun doute d’importants défis à relever.
Le " mini-budget " de l’automne dernier a donné plusieurs indices sur l’attitude du gouvernement à l’égard des start-ups, de l’entrepreneuriat et de l’innovation. Il y a tout d’abord eu l’annonce du concours " LIFT " (Long-term Investment of Technology & Science, ou Investissement à long-terme pour les technologies et les sciences), un programme à 500 millions de livres sterling pour soutenir les nouveaux fonds de capital-risque et financer les investissements dans les start-ups.
Il y aussi a eu des changements importants dans les régimes de crédit d’impôts. L’aspect négatif de ces changements, c’est que le Budget a réduit les crédits d’impôts de la R&D pour les PME – soit environ 30 % de réduction des avantages fiscaux pour les petites entreprises. Cette décision s’est accompagnée d’une augmentation de l’impôt sur les sociétés.
Ces modifications ont aussi un aspect positif : le crédit d’impôt pour les dépenses de R&D (le RDEC) va passer de 13 % à 20 % pour récompenser les entreprises qui investissent dans la recherche et le développement innovants. Des changements importants ont aussi été apportés aux règles SEIS, le système d’avantages fiscaux qui rend jusqu’à 50 % de leur investissement aux investisseurs individuels sous forme de crédit d’impôt.
L'allocation SEIS à laquelle les entreprises peuvent prétendre au cours de leur vie est passée de 150.000 livres à 250.000 livres (tandis que la période d’exploitation pour l’admissibilité à la SEIS a été étendue de deux à trois ans). Parmi les autres nouveautés : les investisseurs peuvent désormais investir jusqu'à 200.000 £ par an en utilisant le SEIS, soit le double du plafond initial de 100.000 £. Autant d’indices qui montrent que Rishi Sunak cherche à encourager l’investissement individuel pour faire grandir davantage d’entreprises en phase de démarrage.
Son mandat en tant que Chancelier de l’Echiquier laisse à penser qu’il ne s’arrêtera pas là. Le Future Fund, lancé en mars 2020, a vu le gouvernement britannique co-investir près de 1,14 milliard de livres sterling aux côtés de sociétés de capital-risque pour soulager les entreprises touchées par la crise sanitaire. Reste que le budget de printemps prévu le 15 mars prochain devra inclure des décisions difficiles. La baisse aiguë de la croissance britannique signifie que le budget à venir donnera au Chancelier Jeremy Hunt près de 9 milliards de livres de moins que prévu pour légiférer, sans compter la pression interne à son propre parti de la part de députés qui veulent baisser les impôts. Avec d’autres priorités bien plus urgentes au programme, les projets de Rishi Sunak pour les startups risquent de devoir attendre.
Considérations macroéconomiques pour les fondateurs d’entreprises britanniques
Le marché des talents dans le secteur de la tech traverse une période agitée. Si les taux d’emploi ont dans l’ensemble légèrement augmenté, les derniers mois ont été marqués par des licenciements en masse dans beaucoup des plus grandes entreprises de la tech.
En novembre, Facebook annonçait que 11.000 emplois allaient être supprimés (près d’un huitième de sa main d’œuvre), dont 650 au Royaume-Uni. Alphabet se sépare également de 12.000 employés. Les chiffres ne sont pas clairs en ce qui concerne le Royaume-Uni, mais cela représenterait proportionnellement 300 personnes. Beaucoup de scale-ups et d’entreprises récemment devenues des licornes réduisent elles aussi leurs effectifs : Cazoo, Babylon Health et Hopin sont trois exemples de jeunes success stories britanniques qui se séparent de leurs employés. Le fabricant de véhicules électriques Arrival faisait part en octobre de sa décision de se concentrer sur le marché américain, en laissant en suspens les emplois britanniques.
" Le marché des talents est distrait par les licenciements dans les grandes entreprises de la tech. Les suppressions d’emplois ont ramené ces entreprises à leurs effectifs de 2021, au mieux. Leur croissance d’avant la pandémie n’a jamais été faite pour durer. Ce recalibrage a agi comme une contagion et infecté la confiance du capital-risque ", explique Akbar Karenga, expert en talents et fondateur de la société britannique de conseil en talents Maarusi.
Pour les startups en mesure d’embaucher, il y a là une énorme opportunité de puiser dans un vivier de talents dont la qualité augmente. Ceux qui, fut un temps, étaient recherchés pour occuper les meilleures positions au sein des grandes entreprises de la tech, vont désormais ajuster leur appétit pour le risque et pourraient être plus enclins à accepter des emplois dans des start-ups en phase de démarrage. La promesse de hauts salaires et d’emplois sûrs dans les entreprises de la tech a considérablement perdu de son attrait, et les startups peuvent offrir quelque chose de très différent, en termes de valeur : des progrès et apprentissages rapides, et la possibilité de créer la stratégie d’une entreprise qui fait ses premiers pas.
La levée de fonds est un défi plus difficile à relever. Le capital-risque s’est tari au cours du deuxième semestre 2022, et les valorisations de startups ont été tirées vers le bas, plaçant leurs fondateurs face à un véritable dilemme. Ils ont eu le choix entre accepter des fonds de capital-risque à des valorisations inférieures quitte à diluer à l’excès leurs capitaux propres, ou attendre pour lever des fonds, au risque de d’épuiser leur trésorerie. Beaucoup ont opté pour cette deuxième solution.
Voilà qui indique deux choses pour 2023. La première, c’est qu’il y a une quantité importante de “dry powder” (littéralement “de la poudre sèche”, c’est-à-dire les fonds de capitaux-risques déjà levés) qui attend d’être déployée cette année. La seconde, c’est que les entreprises vont être plus nombreuses à lever des fonds. En bref : il y a plus de capital, mais aussi plus de compétition.
Les startups en phase de démarrage ont toutefois un léger avantage. Beaucoup d’investisseurs de croissance (qui pourraient investir à un stade ultérieur, par exemple, à partir de la série C) songent maintenant à investir à un stade antérieur (investissement d’amorçage et jusqu’à la série A). Cela leur permet en effet de déployer des poches de capitaux bien plus petites pour maintenir leurs entreprises à flot. Ces startups ont également un taux d’absorption plus lent que les grandes scale-ups : si elles résistent à la tempête, elles pourraient en ressortir en position de concurrents dominants.
Ce paysage est certainement éloigné de celui dans lequel s’imaginait l’écosystème des startups britanniques il y a cinq ans. S’il est véritablement le chantre de l’innovation qu’il prétend être, Rishi Sunak utilisera son (probablement court) mandat pour encourager les startups et leurs fondateurs. Mais une chose est certaine : il aura fort à faire.