Pour comprendre cet état d’esprit, Maddyness a rencontré Guillaume Moubeche, cofondateur et CEO de Lemlist et membre du Club Boostrap, Stéphane Delorme, cofondateur de Digiforma, et Baptiste Jamin, cofondateur et CEO de Crisp.
L’art de réussir sans lever de fonds
Le bootstrap consiste à créer une entreprise sans faire appel à des investisseurs externes. Ce modèle permet aux associés dirigeants de maîtriser tant la croissance de l’entreprise que leur contrôle de la société. En effet, les levées de fonds consistent à céder des parts de la société à des investisseurs en contrepartie de l’apport d’argent frais au capital de la startup. Le bootstrap vise à ne pas faire appel à des fonds, ou des VCs. Le financement consiste souvent en un auto-financement, ou par l’utilisation de sources de financement non dilutives (crowdfunding, …).
Les startups bootstrappées sont donc loin de la médiatisation des levées de fonds, sans avoir à leur envier leur viabilité et leur rentabilité. Mais comment réussir sa startup en mode bootstrap ?
Voici les 5 grands conseils qui ressortent des boites qui ont réussi leur stratégie de bootstrap :
1) Définissez clairement la stratégie en amont du lancement
Lever des fonds n’est jamais une obligation. Mais se passer d’investisseurs demande une méthodologie différente. Il faut vouloir se débrouiller par soi-même, et travailler avec peu, dès le départ, comme le confirme Baptiste Jamin, cofondateur et CEO de Crisp : " Ce n’est pas un succès en soi de lever des fonds. Cela peut être une aide quand on n’a pas le choix. La stratégie est radicalement différente : une boîte bootstrappée doit être en avance de cash. Avec l’argent de ce que l’on a vendu, on va pouvoir investir dans la croissance, dans l’humain, … A l’inverse, une boite qui va lever des fonds va être en retard de cash. Elle va avoir une dette en utilisant l’argent des investisseurs. Sauf qu’à la fin des 18 mois, l’entreprise est souvent en retard de cash. Il faut donc refaire un tour de table. ".
Pourtant, définir le boostrap à une simple opposition à la levée de fonds serait réducteur. " Le bootstrap est une philosophie, qui va chercher à optimiser l’axe de la croissance tout en cherchant l’axe de l’efficience. ", affirme Stéphane Delorme, fondateur de Digiforma. " Pour autant, la plupart des succès bootstrap finissent par lever des fonds, mais le font dans des conditions très différentes. Elles ne le font pas par design, c'est-à-dire tous les deux ans sans avoir le choix jusqu’au succès, mais bien pour accélérer un modèle robuste et éprouvé. Absolument pas pour survivre.".
2) Le choix des associés est primordial
Le choix des associés fondateurs est une étape fondamentale dans la réussite d’un projet bootstrappé. Ces derniers porteront humainement le projet et y consacrent leur temps, et leur passion. Ils y injectent leurs compétences. Le fait de bénéficier de l’expertise des associés initiaux permet à l’entreprise de ne pas débourser trop vite des fonds qui pourront s’avérer précieux plus tard.
" Le meilleur conseil que l’on puisse donner à un entrepreneur qui souhaite bootstrapper, c’est d’être expert en quelque chose. ", affirme Baptiste Jamin, cofondateur et CEO de Crisp. " Cela permet d’éviter d’embaucher 10 personnes sur cette problématique. Et même quand on ne sait pas coder, il est possible de trouver une manière de le faire moins chère, par exemple avec les outils no-code. ".
Il est important de s’assurer, dès le départ, d’avoir la même vision du développement de la société. Sur le court, moyen et long terme. Des divergences d’opinion peuvent créer des dissensions au sein de la société, surtout si les associés n’ont pas la même vision des levées de fonds. " Nous avons commencé avec deux cofondateurs techniques. ", se rappelle Baptiste Jamin. " Nous devions résoudre les problèmes techniques nous-mêmes, et nous avons énormément optimisé les coûts de serveur. Un sou est un sou, même encore aujourd’hui. C’est une histoire de culture. Aujourd’hui, nous prenons des personnes qui sont meilleures que nous. Nous connaissons la valeur de leur travail.".
3) Être créatif est obligatoire pour se démarquer
" Bootstrapper, c’est avoir une mentalité de pirate ", affirme Stéphane Delorme, fondateur de Digiforma. "Le bootstrap, c’est se dire “Est ce qu’il n’y a pas une niche qu’on pourrait utiliser ?” Commencer par une niche, même trop petite par rapport à l’ambition, n’est pas un souci car il ne s’agit que d’une première étape qui nous permettra d’arriver ensuite à un marché plus gros". Le positionnement, notamment, ainsi que la communication doivent permettre de se démarquer aux regards des initiatives et risques pris par l’entreprise.
Ainsi, Digiforma, entreprise spécialisée dans les logiciels et outils numériques du secteur de la formation professionnelle, a décidé très tôt d’exister en tant que communauté, outil de veille et … média papier. Ce paradoxe, en apparence, pour une entreprise du numérique, leur a pourtant permis de se faire connaître auprès de leur cible. " Dans notre secteur, la veille informationnelle n’est pas évidente ", précise Stéphane Delorme. " Nous avons donc répondu à cette demande pour accéder au marché de la formation professionnelle. Faire un magazine papier pour vendre un SAAS, cela n’a rien de naturel, mais cela a très bien fonctionné. On a consacré beaucoup de temps pour comprendre l’écosystème global, et cette particularité est devenue une de nos forces. Grâce à cette dynamique, nous sommes passés de 1 à 8 millions d’euros d'ARR en 3 ans et une quarantaine de collaborateurs, sans équipe sales.".
4) Maitrisez chacune de vos dépenses
L’efficience doit faire partie de l’ADN de l’entreprise. Dépenser doit être une réflexion, et non un reflex. Chaque euro dépensé doit en générer plus encore. Bien évidemment, cette maîtrise de la dépense doit s’adapter aux projets. Alors que le développement de certains projets nécessitera quasi-obligatoirement un capital initial élevé (projets hardwares, par exemple), d’autres comme les SAAS (sauf si le développement est externalisé) peuvent permettre de limiter le capital de départ.
" Ce n’est pas avec plus d’argent que tu vas te développer plus vite. ", rappelle Guillaume Moubeche, cofondateur et CEO de Lemlist, et membre du Club Boostrap. " En mode bootstrap, il y a beaucoup plus de contraintes car peu de ressources : ça pousse donc à l’innovation frugale. On doit être créatif. Nous avons des concurrents qui ont levé des centaines de millions aux États Unis et pourtant, nous continuons de nous développer sur leur marché avec plus de 70 % de nos clients là-bas. Il y a un côté marrant dans le bootstrap qui peut presque rappeler un David contre Goliath. ".
Cette stratégie de l’efficience doit être assumée, et il ne faut pas répondre au chant des sirènes des investisseurs. De nombreux partenaires financiers tentent de convaincre les entreprises bootstrappées en leur proposant de financer leurs actions. Même si la levée n’est pas un interdit, il doit s’agir d’une possibilité de grandir. Mais jamais être une contrainte. " Comme on ne levait pas, l’écosystème pensait que personne ne voulait nous donner de l’argent. Alors qu’on n’en voulait pas ", se rappelle Baptiste Jamin. " Aujourd’hui, le regard sur le bootstrap a changé, et on commence à s’intéresser aux boîtes qui boostrappent.".
5) Recruter, oui ! Mais tardivement
Alors que de nombreuses startups visent les levées de fonds afin de recruter massivement, une startup bootstrappée cherche généralement à embaucher le plus tardivement possible. C’est lorsque les compétences ne sont plus suffisantes en interne qu’elles souhaitent se tourner vers le recrutement.
" Le recrutement n’est pas une solution évidente, quand on cherche à être efficient. Il ne faut pas se dire qu’on fait une chose mal, et que pour compenser il faut recruter. Il faut être obsédé par l’efficience des process. ", conseille Stéphane Delorme. " On s’est rendus compte que chaque process peut être largement optimisé, et qu’il est possible de générer énormément de valeur avec peu de personnes. Certaines entreprises sont à 10 millions d’ARR (Annual Recurring Revenu), avec une équipe de 15 personnes. Cette quête permanente de l’efficience est importante. Cela vire à l'obsessionnel. Il est alors critique de valider toutes les hypothèses de l’efficience de notre modèle.".
Cette vision, confirmée par Guillaume Moubèche, permet un développement de la masse salariale plus cohérent pour l’entreprise, selon ses besoins. Les compétences des nouvelles recrues sont alors strictement nécessaires pour la croissance de l’entreprise : " Je trouve que cela permet un développement plus sain de l’entreprise. Je recrute des personnes avec qui je peux construire sur le long terme, sans pression des investisseurs ou dans l'attente d'un prochain tour de financement. Les recrutements et licenciements ne dépendent que de nous et non pas de pression externe. ".