Selon notre baromètre, les levées de fonds ont ralenti dans le secteur de la Legaltech, comment l’expliquez-vous ?
Jean-Patrice Anciaux (JPA) - Nous sommes dans un contexte de retour à la normale. Le secteur de la Legaltech n’échappe pas à cet atterrissage. En effet, les politiques monétaires accommodantes des banques centrales, démarrées pour faire face à la crise des subprimes ne se sont jamais arrêtées depuis 2008. Elles ont même explosé pour faire face au Covid, avec pour effet collatéral de créer des bulles dans toutes les classes d’actifs et en particulier dans la Tech.
La hausse récente des taux d’intérêts d’une part, l’inflation et le contexte géopolitique d’autre part ont sonné la fin de l’euphorie. Les bulles se dégonflent une à une et la Tech n’y échappe pas. Le nombre d’opérations diminue, les tailles de levées de fonds et les valorisations sont revues à la baisse, et les fondamentaux business des sociétés regagnent leurs lettres de noblesse.
Christophe Poupinel (CP) - Ce n’est pas une spécificité de la Legaltech, toute la Tech est concernée par ce ralentissement tant sur le nombre des levées de fonds que sur les montants.
Pourtant, vous avez investi dans Hyperlex et accompagné Legalstart dans sa levée de fonds. Pourquoi ?
JPA - Hyperlex est une société proposant une plateforme centralisée, sécurisée et simple pour permettre aux directions juridiques de gérer leurs contrats. Au-delà de la qualité de son équipe dirigeante, Hyperlex a eu une approche très technologique du " Contract Life- cycle Management ". Leur rachat par Dilitrust (société proposant un logiciel pour optimiser les activités juridiques) est la validation des qualités humaines, technologiques et commerciales de la société. C’est aussi le signe d’une consolidation du marché.
CP - Legalstart était et est resté le leader absolu sur le marché online de la création d’entreprise et des démarches administratives. La promesse est simple et forte : lancer son entreprise bien plus vite et bien moins cher. Legalstart a créé et renforcé son leadership grâce à une expérience client de premier ordre. Démarrer son entreprise est une démarche potentielle compliquée et stressante pour un entrepreneur, Legalstart est parvenu via leur site et leur support à la simplifier à l’extrême.
Où en est le secteur de la Legaltech selon vous ? Est-il en train de se structurer ?
JPA - Les startups de la Legaltech répondent à un besoin réel : celui de moderniser un marché gigantesque et encore peu digitalisé. Le secteur est encore très jeune à l’échelle du temps de la digitalisation du marché. Il n’est pas encore arrivé à maturité. Les fonds internationaux se positionnent encore pas ou peu sur les legaltechs françaises. Cependant, dans ce contexte de retour à la normale, les sociétés du secteur vont devoir démontrer la qualité intrinsèque de leurs modèle économique.
CP - Il n’y a pas une réponse globale, la Legaltech est composée de segments très divers avec des dynamiques différentes. Les soft et outils métier à destination des professionnels du droit est un " vieux " marché qui continue à bien se développer ; le segment des informations juridiques en B2B également, alors que la monétisation est compliquée en B2C. Il existe d’ailleurs peu de véritable succès en BtoC en France contrairement aux USA où les particuliers sont plus enclins à dépenser pour un conseil juridique. Dans le segment particulier de la création online d’entreprises, nous sommes loin de la maturité. Par ailleurs, le marché entame une phase de consolidation dans laquelle les plus petits acteurs n’auront pas les moyens d’investir dans un produit de qualité et vont se faire racheter.
Prenez-vous en compte, en tant qu’investisseur, les labels, normes ISO et partenariats conclus ?
JPA - Les labels sont un gage de réassurance, mais ne disent rien d’une opportunité de marché. Nos principaux critères d’investissement restent : des équipes exceptionnelles avec un angle sur une opportunité de marché ; et des signaux faibles d’exécution ambitieuse et saine.
Croyez-vous à l’expansion internationale des legaltechs ?
CP - Dans le segment des outils métiers, oui. Concernant celui de la création d’entreprise, il y a encore tellement de croissance organique à effectuer en France qu’il vaut mieux consolider avant de s’ouvrir à l’international.
Enfin, quels conseils donneriez- vous pour bien réussir sa levée de fonds ?
JPA - Rappelons d’abord que toutes les startups n’ont pas vocation à enchaîner des levées de fonds jusqu’à la série F... Le premier enjeu d’un dirigeant est la gestion de son entreprise. La trésorerie de l’entreprise ne doit pas dépendre uniquement des levées de fonds.
La taille de l’opportunité de marché doit être compatible avec un investissement en venture capital. Faire la démonstration de cette opportunité est le préalable à toute levée de fonds. L’environnement ayant changé, il est par ailleurs indispensable d’adapter sa stratégie de levée de fonds sans s’accrocher à un benchmark (taille de tour, valorisation) 2021 historiquement haut. Enfin, il est toujours utile de construire la relation en amont avec des investisseurs pour mieux comprendre les critères sur lesquelles ceux-ci construiront leur conviction.
CP - " Chat maigre saute plus haut ". Autrement dit, le succès ne passe pas nécessairement par de grosses levées de fonds. Le marché a d’ailleurs fortement évolué ces derniers mois et les entrepreneurs vont devoir gérer leur cash et travailler la rentabilité.
Par ailleurs, les entrepreneurs ne doivent pas être obnubilés par l’envie de créer une licorne rapidement, ce qui passe justement par de grosses levées de fonds. Il existe d’autres chemins et l’on peut être un excellent entrepreneur sans faire de - grosse - levée.