Une présence physique rassurante et nécessaire pour la communauté
Les Digital Native Vertical Brands (DNVB) sont des marques qui se lancent exclusivement sur internet grâce à la création d’une communauté et à un marketing attirant leurs clients sur leur site e-commerce. La boutique physique est alors symbole de charges financières et de manque de flexibilité pour ces startups. Avec un chiffre d’affaires du secteur des DNVB de 2,7 milliards d’euros en France en 2021, cette stratégie semble bénéfique. Ces marques se différencient de celles déjà implantées sur le marché grâce à un storytelling très travaillé, permettant aux clients d’adhérer à leurs valeurs. Cette communauté de clients y recherche de l’authenticité, de la proximité, un savoir-faire (généralement français), qui est souvent accompagné d’un objectif social ou un caractère écoresponsable. Et ce caractère 100% digital ne semble pas, en premier lieu, poser de problème de développement.
Pourtant, de plus en plus de DNVB font le choix de quitter le " tout digital " pour lancer une boutique physique, comme l’ont fait Tediber ou La Centrale des SCPI. Par ce choix, les DNVB affirment une proximité nouvelle avec leurs clients. " Certaines activités, comme les agences immobilières, sont traditionnellement physiques contrairement à l’investissement en SCPI (Société civile de placement immobilier). " affirme Lionel Benhamou. " Nous avons souhaité ouvrir des agences physiques car l'investissement dans les SCPI est moins connu que celui dans des biens immobiliers. Beaucoup de clients souhaitent investir d’importantes sommes, mais ont besoin d’être rassuré par une présence physique ".
En ligne, les rapports entre la marque et ses clients peuvent être parfois plus légers. Les vendeurs échangent rarement directement avec leurs clients sur leurs problématiques au moment de l’achat. Difficile alors d’aiguiller le consommateur parmi les différentes offres qui lui sont proposées. Le client ne peut pas bénéficier de l’expertise des collaborateurs de la marque. " Les digital natives ont plus de facilité pour acheter en ligne, c’est un aspect générationnel. Mais le digital est en train de devenir universel " affirme Laure Claire Reillier, fondatrice de Launchworks & Co et auteur du livre " Platform Strategy ". " Il peut être utilisé comme point d’entrée, en retail notamment, pour faire une recherche de produit, et ensuite aller en magasin, ou inversement. On peut alors se renseigner en magasin puis compléter la commande en ligne. La boutique physique développe alors un véritable rôle informationnel. ".
L’enseigne physique de la marque permet d’accompagner les clients dans leur processus d’achat, d’une façon différente. En boutique, les paniers moyens sont généralement plus élevés, tout comme le taux de réachat. Pour sa notoriété, le passage et le bouche à oreille fonctionnent selon l’emplacement, premium ou non, de la boutique. Les passants, voire les voisins de la boutique, peuvent plus facilement être convertis puisqu’ils visualisent la marque, ce qui la crédibilise : la marque devient concrète et physique à leurs yeux. " Un vrai contact physique apporte un rapport à l’empathie plus marqué. " rappelle Sébastien Tortu, auteur du livre " DNVB, le renouveau du commerce " et fondateur de Boost Conversion. " C’est une clef du marketing que les gens ont tendance à oublier : le marketing, c’est de la rencontre, des gens, de l’amour, de l’amitié. Ce ne sont pas que des hacks et des astuces que l’on retrouve sur internet. A la fin, on parle à des humains, des cœurs, des cerveaux, et pas à des ordinateurs. Ce n’est pas pour rien que les marques lancent des ‘’pop up stores’’. Les marques ont besoin de se montrer et de créer des relations sur le long terme avec le client. Les boutiques physiques créent cette connexion entre le vendeur et les parties prenantes ".
La boutique physique, un “nouveau” service complémentaire de l’e-commerce
Aujourd’hui, les coûts d'acquisition sur internet explosent à plus de 26 euros par client du fait d’une saturation des canaux de publicité payants (SEA). Qui plus est, selon une étude DNG, le taux de marge brute des DNVB en 2021 est de 54%, contre 75% en moyenne au regard du référentiel de marques retenues par cette étude. Couplé à une hausse du coût des matières premières et la baisse de pouvoir d’achat des ménages, le modèle de certaines DNVB s’est fortement fragilisé. La recherche de proximité entre la marque et son client est alors la bienvenue.
La génération Y est la première touchée par cette perte de pouvoir d’achat. Afin de maintenir le rythme de croissance de l’entreprise, il convient de toucher des clients plus âgés qui ont moins l’habitude d’acheter sur internet. " Nous sommes le seul acteur dans le milieu des SCPI sur internet à disposer d’agences physiques, comme des agences immobilières " affirme Lionel Benhamou. " Nous avons vocation sur le premier semestre 2023 de faire une ouverture à Bordeaux, suivie d’une ouverture à Lyon. Notre objectif, par ces agences nouvelle génération (conseillers disponibles sans rendez-vous, outils digitaux en libre accès, simulations en ligne, …) est notamment de toucher une cible qui n’a pas l’habitude d’acheter sur internet ".
Le lancement de la boutique physique nécessite d’aborder une stratégie bien différente de celle qui est usuellement menée par les DNVB. Le retail ne nécessite pas les mêmes compétences que la vente en ligne, tant dans l’acquisition client que dans la vente du produit. En effet, les boutiques physiques sont moins agiles que celles en ligne, et permettent moins facilement de faire du A/B testing. " Il faut des compétences bien différentes pour réussir dans le retail, et les DNVB doivent rester humbles sur ce point. " affirme Sébastien Tortu. " Elles vont devoir ré-apprendre leur métier, en levant des freins à l’achat différents, en ayant des discours différents, et en recrutant des profils différents.Tout en restant en accord avec les valeurs qu’elles ont fondées sur internet. Cela va leur apporter une notoriété, notamment auprès de ceux qui ne sont pas les plus grands consommateurs du web. De la crédibilité aussi. Et également la possibilité de créer une relation émotionnelle (sourire, regard, …). Et ça, cela n’a rien à voir avec la mise en place de call to action sur une page web "
Le rôle, et par extension ses fonctions, de la boutique physique, doivent être mûrement réfléchis : la boutique physique est-elle un complément direct de celle en ligne ? Comment vient-elle appuyer son action ? Il est par exemple possible de développer des fonctionnalités permettant de commander sur internet, et de recevoir en magasin. Tout comme il est possible de commander sur internet directement depuis le magasin, si le produit ou la taille adéquate n’est pas disponible. La boutique physique devient alors un service complémentaire au profit client par la mise en place de hub multi points de contact,. Ce hub est permis par l’omnicanalité que visent les DNVB. Certaines marques se servent même de leurs boutiques physiques comme relais de distribution, sous l’égide de " l’order management system ". Il est possible, par exemple, de faire partir un produit d’une boutique si le client en est plus proche. Cette démarche peut contribuer à réduire l’empreinte carbone de la livraison.
La présence des boutiques physiques des DNVB est un phénomène qui s'accélère, notamment du fait de la diminution de la différence de coûts entre une boutique physique et une boutique en ligne. " Aujourd’hui les coûts d’acquisition explosent, alors que les loyers sont peut-être négociables " rappelle Sébastien Tortu. " Il y a des rues qui se vident et des bailleurs qui sont prêts à faire des efforts. La possibilité de recréer une dynamique est réelle. Et il est toujours plus facile de négocier avec un bailleur qu’avec Facebook ".
Les DNVB envisagent d’augmenter leur réseau d’agence physiques, afin d’être toujours au plus proche de leurs clients. L’emplacement est stratégique. " Sur nos prochains emplacements, nous serons sur des rues très centrales et passantes dans chaque métropole " précise Lionel Benhamou. " Nous souhaitons devenir une enseigne qui parle à tout le monde, dès demain, en accélérant le maillage de nos agences physiques. En 2024, nous souhaiterions ouvrir 5 ou 6 agences en plus. Et pourquoi pas développer un réseau de franchise ".
“En 2023, la présence physique va encore se développer”
Les enseignes physiques peuvent également être, pour certaines enseignes, l’occasion de tester une idée ou un concept. " Beaucoup de marques digitales assez connues comme Etsy ont fait des pop-up stores, à des périodes comme Noël, pour tester des concepts " rappelle Laure Claire Reillier. " C’est de plus en plus fréquent, car l’expérience en ligne peut être complémentaire de celle en magasin. Ces stratégies dites " phygitales " sont très pertinentes dans de nombreux secteurs. Un endroit physique peut devenir un point focal pour une communauté, et permet de faire de la mise en relation et de connecter des membres. Cela crée de la confiance envers la marque. Les plateformes digitales ont été très fortes pour créer de la confiance en ligne. Ce qui n’était pas évident. Mais faire connaissance permet encore plus de confiance, ce qui signifie donc encore plus de fidélisation ".
Le développement de ces services complémentaires permet donc à une marque 100% digitale de mieux qualifier sa communauté, ses prospects, et de donner une existence concrète à ses services ou produits. Son succès peut alors dépendre directement de celui de l’e-boutique, et inversement. " A chaque lancement d’une boutique physique, celle en ligne explose aussi " affirme Sébastien Tortu. " Pour certains produits, parfois complexes, comme ceux liés à l'investissement, le client pourra d'abord se renseigner sur le web pour ensuite aller en boutique et pouvoir discuter de façon plus éclairée avec le vendeur. Si on est seulement sur le web, on reste juste une marque du web. Alors qu’avec une présence physique, la marque devient une marque de la vie réelle ".
La mise en place d’une boutique physique doit donc répondre à un besoin client avant tout. Il ne s’agit pas de remplacer la boutique en ligne, tout comme l’e-commerce ne pourra pas prendre la place de celle physique. Mais ces deux stratégies restent onéreuses. " Une boutique en ligne coûte beaucoup d’argent " complète Sébastien Tortu. " C’est énormément de personnes qui y travaillent, notamment en logistique. Et le coût d’acquisition client est élevé. L’équation n’est pas si simple. Un site web peut toujours être lancé pour un coût très faible, mais le faire décoller coûtera cher. Une boutique peut être bien plus rentable. En 2023, la présence physique va encore se développer, mais les marques vont surtout devoir passer la crise et tenir. Elles vont travailler sur d'autres leviers de croissance. La crise est loin d’être terminée, et il faut chercher de la rentabilité. Mais sera-t-elle physique ou virtuelle ? Créer une belle relation avec son client, et le fidéliser, sera primordial ".