Les vagues de digitalisation de pans entiers de la vie économique et sociale ont fait entrer de plain-pied la France dans la quatrième révolution industrielle. Ce constat impose des efforts massifs en matière de formation pour favoriser l’accès à l’emploi et la compétitivité de notre économie. L'objectif affiché par le Président de la République de former 400.000 experts du numérique au cours du quinquennat et le lancement du CNR Numérique vont donc dans le sens de l’intérêt général, mais la question du passage à l’action se pose avec acuité.
Un déficit structurel de diplômés
S’il faut se réjouir de la prise de conscience de l’exécutif sur la nécessité d’investir massivement dans la formation aux métiers du numérique, cet “objectif des 400.000”, ne sera atteignable qu’à certaines conditions.
Aujourd’hui et malgré le volontarisme des pouvoirs publics, les efforts en matière de formation au numérique demeurent très insuffisants. À titre d’exemple, 40.000 ingénieurs informatiques sont diplômés chaque année dans l’Hexagone. C’est 25 à 50 % en-deçà des besoins en embauche, que le Syntec situe entre 50 et 60.000 par an. Conséquence directe de cette pénurie : de très fortes difficultés de recrutement pour les tissus économiques locaux. La DARES indique que les principaux métiers de l’informatique (web développeurs, ingénieurs informatiques, gestionnaires de réseaux...) sont en tension élevée dans la quasi-totalité de nos régions. Le défi consiste donc à inverser ce déséquilibre structurel afin d’assurer un positionnement national ambitieux en termes de compétences numériques.
Pour se donner les moyens d’y parvenir, la France doit mettre en ordre de marche son appareil de formation. Trois leviers doivent être actionnés : la concertation entre acteurs du secteur de la formation, l’ouverture des formations à de nouveaux publics et la mobilisation de nouveaux financements.
Coordination, inclusion et financement comme leviers
Le besoin des entreprises en compétences numériques est tel que le système de formation n'est pas en mesure de satisfaire la demande du marché. Inverser la tendance implique donc de “changer de système d’exploitation”: de l’actuelle logique concurrentielle entre les différentes offres de formation au numérique pour un nombre de candidats restreint, il faut basculer dans une logique de complémentarité et de coordination autour d’une base de candidats élargie. La concertation des acteurs publics et privés de l’enseignement numérique doit déboucher sur une véritable stratégie sectorielle, qui permettra d’élargir le vivier d’étudiants en formation initiale ou continue, et de résorber ainsi les tensions de recrutement que subissent nos entreprises.
Par ailleurs, sans un réel travail de communication autour des opportunités offertes par le secteur du numérique, nous ne parviendrons pas à atteindre la barre des 400.000 experts formés d'ici à la fin du quinquennat. La question de l'attractivité des métiers est centrale pour susciter des vocations et diversifier le profil des apprenants.
À titre d'exemple, les femmes représentent moins de 20 % des effectifs dans les formations au numérique. Selon l’étude Numeum 2021, seuls 16 % des postes de développeurs, 14 % des postes de techniciens informatiques et 11 % des postes en cybersécurité étaient occupés par des femmes en 2021. Féminiser les formations doit donc figurer en tête des priorités des politiques publiques de formation au numérique.
Autre public vers lesquels il faut se tourner : les candidats issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville, où les taux de chômage sont généralement plus élevés que dans le reste du territoire, et qui sont également sous-représentés dans les métiers de la tech.
Afin de progresser en matière de recrutement, il est indispensable de mettre en avant la diversité des profils, prouvant ainsi par l’exemple que les femmes et les jeunes issus des quartiers populaires ont non seulement leur place dans les formations numériques, mais également un rôle déterminant à jouer dans la transformation numérique de l’économie française. Dans un monde de plus en plus numérique, souligner le rôle central de la diversité et créer un environnement qui reflète celle-ci sont deux nécessités absolues, aussi bien pour des raisons d’inclusivité et de justice sociale que d’efficacité.
Enfin, la question du financement de la formation est primordiale pour en démocratiser l'accès. Etudier a un coût en France, aussi bien dans les établissements d’enseignement supérieur public que privé ! Former 400.000 experts du numérique au rythme de 100.000 par an nécessite de la part de l'État un véritable “Plan Marshall” de la formation au numérique, de façon à casser cette barrière tarifaire à l'entrée que plusieurs acteurs tentent déjà de faire tomber, au premier rang desquels la Grande École du Numérique.