" Je pense que le drame écologique et économique que nous connaissons ne se résoudra pas avec des solutions partielles. Le réchauffement climatique va conduire à des migrations massives. Il faut donc envisager le scénario d’accueil de ces populations, ainsi que la façon dont nous allons vivre à l’avenir ", explique Marc Held, qui a formalisé sa réflexion dans un livre intitulé Rêvons d’une autre ville (éditions Parenthèses). Cette ville, l’architecte et designer l’a pensée d’un point de vue du bâti, bien entendu, mais pousse la réflexion bien au-delà : il invite à revoir les liens sociaux, le rapport au travail, le système économique.
Une ville accueillante et autonome
À compter du 1er janvier 2023, il ne sera plus possible de mettre en location des logements énergivores, c’est-à-dire affichant un diagnostic de performance énergétique supérieur à 450 kWh/m². Un moyen d’encourager la rénovation énergétique du parc immobilier français : d’après l’Observatoire national de la Rénovation énergétique, début 2022, la France comptait 5,2 millions de passoires thermiques, soit 17 % de son parc immobilier. Toutefois, d’après le bilan annuel que viennent de publier les Notaires de France, les propriétaires de ces logements seraient plus enclins à les vendre qu’à les rénover, ce qui conjuguerait pourtant un bénéfice écologique, une diminution des factures d’énergie et une amélioration du confort de vie des habitants.
La transformation du parc immobilier connait donc encore de nombreux freins et invite à se questionner sur la façon de concevoir nos lieux de vie. Les penser de manière vertueuse dès leur conception permettrait en effet de s’affranchir de futures rénovations. Ce bâti vertueux et sobre, Marc Held en livre un véritable mode d’emploi dans l’ouvrage qu’il vient de publier, décrivant l’élaboration et le fonctionnement d’une ville idéale, la “Villeneuve”. Sa forme importe peu. En revanche, pour être en mesure de répondre aux défis écologiques et économiques, celle-ci doit avoir une taille restreinte, grâce à des limites physiques bien réelles, comme en avaient autrefois les cités. " La croissance anarchique des villes dans des périphéries est dramatique, tant d’un point de vue écologique que social. Il faut limiter le nombre d’habitants à 120.000 : les études le prouvent, la densité urbaine – que certains prônent pourtant comme réponse aux enjeux de sobriété énergétique – ne fait qu’aggraver la propagation des maladies, le stress, la violence des rapports humains. Elle empêche aussi les relations de solidarité, de fraternité, qu’il est capital de restaurer. "
La “Villeneuve” est donc restreinte, elle est également sobre. Sa construction doit se faire avec des ressources locales, tant pour les matériaux que la main d’œuvre, dans une optique durable. Un défi pour le secteur du bâtiment car, d’après le Ministère de la Transition Ecologique, ce dernier représente 43% des consommations énergétiques annuelles et produit 23% des émissions de gaz à effet de serre françaises.
Autre point d’importance, la place accordée à la nature dans la “Villeneuve”. " Cette végétalisation n’est pas esthétique, ce n’est pas une mesure superficielle. Les espaces sont principalement dédiés à la culture potagère et maraichère, afin de servir de source d’approvisionnement pour les populations ", précise l’architecte. Se dessine ici l’une des caractéristiques principales de sa “Villeneuve” : elle doit être autonome. " La ville devrait satisfaire tous les besoins humains. Cela comprend l’habitat, l’eau, l’alimentation, l’énergie, ainsi que la santé, l’éducation, l’art et la culture. "
Cela inclut donc la production d’énergie et le recyclage, qui doivent être intégrés dans la conception même de la ville, en fonction des caractéristiques locales. " Pour atteindre une gestion efficace, il faut une connaissance du terrain. Je suis donc en faveur de l’autogestion au niveau des villes, notamment du point de vue de la production et de l’utilisation des ressources. "
Une vision économique
L’élaboration de la ville sobre dépasse le cadre architectural et implique de réviser également le modèle économique. " Dans le monde actuel, la démarche n’est plus de produire pour satisfaire des besoins, comme c’était le cas pendant la Révolution industrielle. Aujourd’hui, nous ne parvenons plus à absorber ce que les machines produisent, et pourtant nous continuons de piller la planète et de subir des pressions psychologiques en faveur de la consommation ", s’insurge Marc Held. Sans prôner la décroissance, il met en avant un nouveau modèle de production, qui se base sur les compétences intellectuelles d’équipes réduites et sur l’utilisation de machines de plus petite taille et plus technologiques, notamment l’imprimante 3D.
" Pour répondre à l’urgence climatique, nous devons nous passer du productivisme. Il faut également consommer ce qui est produit localement, non seulement la nourriture mais aussi tous les biens courants. C’est le meilleur moyen d’éviter les émissions issues des transports. "
Ainsi, la conception des villes nouvelles répondrait également à l’enjeu de décarbonation d’un second secteur clé dans les atteintes du Plan Climat français, celui des transports. Depuis 1998, il s’agit du plus gros émetteur de gaz à effet de serre en France et les derniers chiffres ne donnent guère de quoi se réjouir. Au premier semestre 2022, les émissions de gaz à effet de serre du transport ont augmenté de 7 % par rapport à la même période l’année dernière, selon le Citepa, organisme mandaté pour réaliser l'inventaire français des émissions.
La Villeneuve de Marc Held est donc sobre à plus d’un titre. Cette ville, l’architecte ne souhaite pas seulement la rêver. Il désire désormais constituer une équipe de travail regroupant les penseurs de la transition, les spécialistes de l’énergie, de la construction, de l’agriculture… et passer de la théorie à la pratique.