Jean-Daniel Guyot n'aime pas s'entendre dire qu’il n’y arrivera jamais. Déjà enfant, il transformait l’impossible en une source de motivation. Alors qu’il quittait Trainline en 2018 (il a revendu Captain Train en 2016), il s’est mis en quête de sélectionner un marché comportant les barrières à l’entrée les plus importantes.
« L’esprit humain est fait de telle sorte qu’il est plus évident de choisir le chemin le plus facile, confie Jean-Daniel Guyot à Maddyness. Il y a de nombreux business où il n’y a pas de barrière à l’entrée, pas de licence, pas d’agrément à avoir. C’est comme ça que l’on se retrouve avec quarante boîtes qui se lancent dans les trottinettes électriques au même moment. Je n’aime pas ce genre de concurrence exacerbée parce que, finalement, on se concentre plus sur la concurrence que sur le service rendu au client. Au final, ce sont les barrières à l'entrée qui me motivent ».
Au moment de choisir un marché, l’ancien CEO de Captain Train va étudier le monde des assurances, l’automobile, et même l’industrie spatiale. Il va finalement jeter son dévolu sur la banque… mais pas n’importe comment.
Il ne va ainsi pas choisir le chemin « facile » qu’ont pu suivre celles qu’il n’est plus possible de nommer les néobanques (d’après une décision de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution). Au contraire, Jean-Daniel va faire le choix de s’attaquer à toutes les faces Nord, la face la plus difficile à emprunter en alpinisme.
« On aime bien maîtriser tout notre outil technologique, explique-t-il. Parce que l’on pense que c’est la clef d’un bon service client. C’est pourquoi nous sommes allés prendre toutes les faces Nord : plutôt que de se fournir en cartes auprès d’un tiers, on a décidé de devenir membre principal auprès de Visa, pour devenir notre propre émetteur de cartes ».
Mais Memo Bank ne s’arrête pas là puisqu’à la suite à la validation de son dossier d’agrément d’établissement de crédit, elle devient la première banque indépendante à être lancée en France depuis 50 ans. De la même manière, elle fait le choix de se connecter en direct à une chambre de compensation (infrastructure assurant la surveillance des transactions), devenant la plus jeune banque à le faire après trois ans d’existence. La précédente avait 103 ans.
De fait, Memo Bank est une vraie banque qui, par opposition aux établissements de paiement (Quonto, Compte Nickel, Revolut, N26, …) va pouvoir proposer l’ensemble des services proposés par les banques historiques : à la fois du paiement, du dépôt et du crédit.
L’obsession du service client
L’autre point commun entre Captain Train et Memo Bank, outre la question de la barrière à l’entrée, c’est l’obsession du service client. Il s’agit d’ailleurs du titre d’un livre écrit par Jonathan Lefèvre, le responsable de l'expérience client de Captain Train qui l’a suivi dans cette nouvelle aventure bancaire.
" Je pense que ce qui a fait le succès de Captain Train, c’est le service client ", assure Jean-Daniel Guyot.
Il critique d’ailleurs ouvertement les startups qui se focalisent sur l’objectif de transformer de l’impression publicitaire en clients.
" Et tant pis si tu perds ensuite ces clients, tu les récupéreras avec d’autres publicités, complète-t-il. Notre pari avec Captain Train, c’était d’investir dans la rétention, d’investir sur le support et sur le lien social que l’on va pouvoir créer. Le commerce se fait grâce au lien social que tu vas pouvoir créer. On est le seul animal social à savoir faire ça. Et plus on va nouer ce lien, plus on va pouvoir faire du commerce en confiance ".
Pour Jean-Daniel Guyot, la banque c’est le niveau supérieur du service client à fournir. En effet, il s’agit d’un secteur où la relation n’est plus à sens unique : si le client doit faire confiance à sa banque, celle-ci doit également accorder sa confiance si elle décide de faire crédit à son client.
Dernière face Nord choisie par Memo Bank, faire le choix de se spécialiser pour les PME.
" Personne ne s’était intéressé au sujet des PME, explique-t-il. Et pour cause, c’est le pire des deux mondes. Les PME sont aussi complexes que les grandes entreprises et elles ne produisent pas le même chiffre ".
Il s’agit de la raison pour laquelle de nombreuses banques ont tendance à se concentrer sur les grandes entreprises qui représentent un produit net bancaire plus intéressant pour elles. De fait, peu d’investissements ont été réalisés pour s’adresser à ce secteur pendant les trois dernières décennies.
" La France n’a pas trop cette culture de la PME, lâche Jean-Daniel Guyot, rappelant la définition européenne du terme : une entreprise de plus de vingt salariés faisant plus d’un million d’euros de chiffre d’affaires. D’ailleurs, si on pose la question de : est-ce que je connais quelqu’un qui travaille dans une PME ? Ce n’est pas évident de penser à quelqu’un, et pourtant, la PME c’est quand même 35% du PIB français. Ce n’est pas du tout négligeable ".
De 2017 à 2020, l’équipe de Memo Bank se lance donc dans la création de cette banque en restant en mode sous-marin. Pendant trois ans, elle va déposer des dossiers aux grandes instances régulant les acteurs du secteur, elle va créer le cœur de son système bancaire, réalisant deux levées de fonds en mars 2018 et juin 2020 (d’abord 6,4 millions d’euros auprès de Daphni puis 20 millions d’euros avec BlackFin Capital Partners, de Bpifrance, et de ses anciens actionnaires).
Avant même de pouvoir communiquer publiquement sur le projet, Memo Bank a donc dû convaincre la Banque de France du sérieux du projet.
" Tout ce travail nous a pris beaucoup de temps et d’énergie. Cela va à l’encontre du réflexe naturel qui est de chercher une gratification instantanée, mais j’ai eu la chance d'être dans le BtoC, d’avoir géré des millions de clients, d'avoir géré des millions de revenus. Donc tout ça, cette adrénaline, je l'avais déjà eue. Je pouvais donc être assez patient finalement pour me dire que cela va être dur, mais que l’on va y arriver ".
Redéfinir les attentes
Après trois ans sous les radars, Memo Bank peut enfin se positionner comme la banque secondaire des PME avec un produit phare : le crédit. La réalité du marché est pourtant différente de celle qu’ils avaient imaginée. Il ne leur faut que quelques semaines pour comprendre que le produit proposé aux PME n’allait pas être suffisant.
" Il y a non seulement une vraie différence entre ce que les gens disent et ce que les gens achètent, explique Jean-Daniel Guyot. Mais le COVID était passé par là et toutes les PME que l’on visait avaient décroché un Prêt Garanti par l’État (PGE). Elles n’avaient plus besoin de crédit… sachant que le principal levier d’acquisition pour une banque, c’est le crédit ".
C’est à ce moment-là qu’ils décident de développer l’ensemble des fonctionnalités pour pouvoir se positionner en tant que banque principale de ces PME. Ils passent donc les deux années suivantes (et un complément de leur Série A de 13 millions d’euros avec Serena) à assembler l’ensemble des briques proposées par les acteurs historiques.
Jean-Daniel Guyot est maintenant dans une phase où il veut démontrer la supériorité de son produit.
" De nombreuses personnes ont des doutes sur le fait qu'on apporte quelque chose sur ce sujet. La raison principale c’est que tout le monde a fait le deuil d'avoir une banque satisfaisante. Ma plus grande joie est que mes clients reviennent après un mois de test pour nous dire : " Non mais attends, ce que vous avez fait, c'est incroyable ". Le fait est que l’on utilise souvent les mêmes mots, pour parler de réalités différentes. Si je dis que mon iPhone 12 Pro, c'est un téléphone et que je dis que mon Nokia 33 10 c'est un téléphone. Oui, c'est le même mot. Mais derrière les mêmes termes peuvent se cacher des réalités extrêmement différentes ".
Le CEO de Memo Bank est alors intarissable d’exemples sur la manière dont son produit vient changer la conception d’une banque. Des actions qui prennent habituellement des semaines vont être réalisées en quelques secondes.
Il n’a qu’une seule impatience : retrouver " l’effet Captain Train " qui se traduisait de la manière suivante: toute personne ayant testé le service était incapable de retourner vers une expérience inférieure. Sa nouvelle obsession est de redéfinir les attentes placées dans une banque.