L’histoire des deux startups semble tellement s’entremêler. On ne peut pourtant pas imaginer deux cultures plus différentes que celle de Batch et celle d’AppGratis. AppGratis avait été créé à une période où l’AppStore n’en était qu’à ses balbutiements, en 2009. Avec son système de recommandation d’une application par jour, AppGratis avait le pouvoir de propulser une application en tête du classement.
Simon Dawlat se rappelle du “cash faramineux” généré par la boîte, les invitations à déjeuner avec Nicolas Sarkozy ou Maurice Levy (alors PDG de Publicis, groupe qui allait ensuite investir chez AppGratis). Il boucle une levée de 10 millions d’euros, à une époque où ce montant était rare, et encore plus pour une application mobile.
Simon découvre la starification liée à l’argent et à la croissance. Simon ne le cache pas : dans ces conditions, il était difficile de ne pas devenir arrogant. "Quand on regarde l'état d'esprit dans lequel j'étais, Appgratis c'était un projet hyper court terme. Tous les jours, je me demandais comment finir la semaine sans que la boîte explose ? On a passé quatre ans à gérer une croissance magique qui était générée par l'AppStore et par la multiplication des iPhones dans le monde. Il n’y avait aucune réflexion sur l’avenir de la boîte".
La réponse à cette question arrive pourtant très vite. En 2013, Apple retire l’application de son AppStore en mettant en avant la violation de deux clauses de son règlement. AppGratis ne pourra pas s’en relever, malgré le passage du service sous la forme d’une newsletter et le lancement d’une application pour Android. Simon Dawlat qualifie lui-même cette période de débâcle, période pendant laquelle il se forgera une devise qui guidera ensuite ses pas :
"Quand tu es humble, les gens veulent que tu réussisses, mais quand tu es arrogant les gens veulent que tu te pètes la gueule"
Il ne garde pas de bons souvenirs de cette période où de nombreuses personnes en ont profité pour descendre en flèche l’entreprise et son PDG. " Cela fait un bout de temps que je ne cours plus après la célébrité et le succès. J'ai eu mon heure de gloire à l'époque d’AppGratis. Aujourd'hui, je travaille mes relations presse parce que cela fait briller Batch, et c'est important, mais je ne recherche pas la célébrité entrepreneuriale. Je sais qu’elle apporte plus d’emmerdes qu’autre chose ".
“From AppGratis to Batch”
En parallèle de la descente aux enfers d’AppGratis, Simon Dawlat motive ses équipes pour réaliser un pivot. Si le terme est fréquemment utilisé dans le monde entrepreneurial, celui-ci avait de particulier qu’il s’agissait d’un pivot sans savoir vers quoi il pivotait. Ensemble, ils commencent par développer une plateforme technologique concentrée sur les notifications push, une API pensée pour une très haute disponibilité.
En avançant dans cette direction, ils déploient la vision d’un CRM mobile qui reflète la tendance de l’époque où de nombreuses entreprises migrent vers une stratégie “mobile-first”. La troisième étape dans l’aventure Batch est une réalisation qui arrive comme un choc pour Simon Dawlat. Nous sommes en 2018 et Batch commence à gagner des appels d’offres face aux géants du marché du CRM.
" Je me rappelle de cet appel d’offres pour l’une des plus grandes banques françaises où ils nous avaient classés en premier, devant Salesforce, Adobe, IBM. C’était dingue ! On s’est dit qu’avec une toute petite plateforme, nous étions en train de concurrencer les géants. On a eu cette prise de conscience que notre pivot nous avait amenés un peu par hasard sur un marché gigantesque, le plus gros marché du SaaS dans le monde, celui du cloud marketing avec toutes les technologies de communication client ".
D’un outil pour les notifications push, puis un CRM mobile, Batch nourrit maintenant l’ambition de s’installer comme une plateforme de CRM unifiée qui va permettre aux marketeurs de rassembler toutes leurs données clients et de communiquer avec eux aussi bien via des notifications push, des messages in-app, des push web, mais aussi de l’email ou du SMS.
" On est vraiment dans le dur de la thèse de notre série B de 20 millions d’euros, explique Simon Dawlat à Maddyness. C’est difficile et excitant à la fois. Est-ce que l’on va y arriver ? Je ne sais pas. C’est un gros morceau et il y a encore pas mal d’inconnues, mais c’est la direction que l’on prend ".
Avec ces mots, le nouveau Simon Dawlat se montre définitivement plus humble que celui qui a monté (et crashé) AppGratis.
Un pivot tech, humain et sociétal
Mais cette nouvelle humilité n’est pas la seule différence entre l’aventure AppGratis et l’aventure Batch. " Je me suis assagi, reconnaît Simon. AppGratis c’était un feu de paille. C’était des bases assez friables, très dépendantes d’une plateforme. Avec Batch, je vise quelque chose de plus pérenne. D’ailleurs, tous les ans je mets à jour un document que l’on appelle le plan à cinq ans qui me permet de partager la vision de la boîte pour les prochaines années. On se prend beaucoup la tête pour savoir qui on sera demain, comment nos décisions du quotidien impactent notre destinée, etc. C’est vraiment quelque chose qui a beaucoup changé depuis AppGratis ".
Simon Dawlat est ainsi devenu très soucieux de la culture de son entreprise, ce qu’il désigne comme étant " ce que les gens qui travaillent dans ta boîte disent quand tu n’es pas là ". Et cet enjeu est devenu primordial : il s’agit du moyen permettant d’attirer et de fidéliser des personnes talentueuses pour viser un succès éclatant. " Si à l’inverse le niveau des équipes s’affaisse, lâche-t-il. On sera comme neuf startups sur dix, on finira par être un échec ".
Batch vient donc travailler sur de nombreux sujets comme celui de la parentalité. En effet, Batch finance un programme de places en crèche pour les jeunes parents. " Cela coûte cher à la boîte, confie Simon Dawlat à Maddyness. Mais c’est une initiative qui nous permet de matérialiser nos engagements ".
Et les résultats sont immédiats, là où l’équipe était entièrement masculine jusqu’au quinzième recrutement, l’entreprise s’est bien féminisée pour atteindre le chiffre de 45 % de femmes (avec 23 % de femmes dans l’équipe tech, ce que Simon considère comme une performance tant celle-ci a été exclusivement masculine pendant longtemps).
Là aussi, le CEO de Batch tempère ses propres propos pour désamorcer toute arrogance que l’on pourrait vouloir y déceler. " On a encore mille choses que l’on pourrait faire mieux, mais au moins on est intentionnel sur le sujet, on y réfléchit activement et on essaye de s’améliorer petit à petit ". La parentalité, la diversité, l’impact sur la société, des sujets que Simon Dawlat était loin de considérer pendant l’aventure AppGratis. " J’étais à des années-lumière de ces sujets-là ", concède-t-il.
Le futur de Batch
Il y a un an, en octobre 2021, Batch annonçait une levée de 20 millions d’euros. Cette augmentation de capital intervenait huit ans après la précédente levée. Pour Simon Dawlat, cet intervalle trouve lui aussi ses origines dans la période AppGratis. " En fait, comme on a pivoté un peu avec l’énergie du désespoir en 2014-2015, on a décidé de rester une toute petite boîte pendant très longtemps. On s’est montré très agressif sur la commercialisation, chaque euro était bien dépensé, et on est assez rapidement devenu rentable ".
En 2019, l’entreprise réalise presque un million d’euros de résultat avec une cinquantaine de clients et une équipe de quinze personnes. Batch s’est retrouvée devant un choix : soit rester petit et rentable, mais fragile face à ce que Simon désigne comme " un mouvement de plaques tectoniques sur le marché ". Soit faire le choix de changer de dimension et concurrencer ouvertement les grands acteurs historiques. C’est ce deuxième destin que Batch s’est choisi et les équipes atteignent désormais 117 collaborateurs.
L’avenir reste pourtant encore incertain. Une autre levée à l’horizon 2023 avait été annoncée lors de cette précédente levée. Le spectre de la crise vient pourtant questionner ses plans. " On va probablement embaucher un peu moins, travailler un peu plus, prendre le temps de livrer les grosses évolutions de la plateforme. Rien ne nous presse à faire cette levée de fonds aussi vite, on a un business qui génère un vrai chiffre d’affaires, on n’est pas sur le schéma d’une startup classique qui bosse à perte. Et puis les fonds d’investissement avaient levé énormément d’argent avant l’arrivée de la crise… ils sont assis sur des milliards d’euros qu’ils vont devoir commencer à déployer pour déployer des retours à leurs actionnaires. Donc, en fait, je pense que le marché de l’investissement va se libérer l’an prochain. À voir si on l’on se positionne à ce moment-là ou non… mais si le plan 2023 se déroule comme prévu, je pense que l’on fera un très gros tour oui ! "
Ce n’est pas parce que Simon Dawlat a moins d’arrogance, qu’il a moins d’ambition.