Autour de la table, Thomas Tuchscherer, CFO de TripActions, Anna Rossin, CEO de Hoggo et Boris Golden, Partner Seed chez Partech. L'événement a été co-organisé par French Tech Grand Paris.
Le contexte du financement
Le financement mondial en Venture Capital (VC) a atteint 25,2 milliards de dollars en août 2022, soit le plus faible montant mensuel enregistré depuis deux ans par Crunchbase. Comme si la crise sanitaire n'avait pas été suffisante, ce sont maintenant les marchés financiers qui connaissent des instabilités. D'abord aux Etats Unis - avec une correction des valeurs tech au Nasdaq - puis en Europe dans une moindre mesure, avec un ralentissement des levées de fonds.
Une discipline constante à adopter
" Début 2020, alors que nous venions de finaliser le recrutement d’une centaine d'employés et en seulement trois semaines, notre chiffre d'affaires a enregistré une baisse de 95 % ", explique Thomas Tuchscherer. Mais malgré cela, TripActions semble en être sortie indemne deux ans après cet épisode.
La startup est parvenue à boucler un nouveau tour de table de 275 millions de dollars en octobre 2021, à mener 3 projets d'acquisition (Reed & Mackay en mai 2021, Comtravo en février 2022 et Resia AB en mars 2022) et à démarrer son implantation sur le marché tricolore depuis janvier 2022. Comment une entreprise reposant essentiellement sur le voyage d’affaires a-t-elle pu survivre aux vagues de confinements globalisés ?
Pour Thomas Tuchscherer, il existe une ligne de conduite constante à adopter, y compris en dehors de périodes d'instabilité. Une attitude frugale visant l’obtention d’un " coussin de sécurité de trésorerie " pour pallier l’absence de rentrées d’argent de ses clients. Des décisions difficiles ont été prises dès mars 2020 pour réduire les coûts : TripActions s’est d’abord séparée d’un quart de ses effectifs, puis les cadres dirigeants ont accepté la réduction de leur salaire de l’ordre de 25 %. Enfin, les contrats avec les fournisseurs ont été renégociés.
Cette discipline a aussi été adoptée par la nouvelle pépite de la gestion de contrats de mutuelle et de prévoyance Hoggo. " Nous n'avions pas une culture de flambeur [de cash] mais nous avons dû nous séparer de ce qui n'était pas indispensable - comme nos locaux ou certains side projects ", complète Anna Rossin.
Mais pour Thomas Tuchscherer, se serrer la ceinture n’implique pas de revoir à la baisse ses ambitions. " Tous les acteurs de l’industrie du voyage d’affaires ont décidé de désinvestir, explique-t-il. De notre côté, nous avons lancé une nouvelle offre de carte de paiement ainsi qu’un produit d’automatisation des notes de frais ".
Correction, attentisme et communication
Nombreuses ont été les startups à tomber dans une euphorie consistant à " cramer du cash ". Et les agitations en cours sur les marchés financiers ont plutôt tendance à remettre la frugalité sur le devant de la scène, à mesure que l’accès aux fonds s’avère plus difficile pour la tech. Mais selon Boris Golden, nommé Partner chez Partech en janvier 2021, si les pratiques du marché tendent à devenir plus saines, la raréfaction des financements n’est pas non plus alarmante. Elle serait essentiellement due à un " effet chien de faïence " qui crée de l'attentisme du côté des investisseurs.
" Il y a une anxiété latente depuis deux ans et il faut faire preuve de communication pour rassurer autant les investisseurs que les salariés ", complète Anna Rossin. Durant l'été 2021, la startup a finalement réussi à boucler son tour de table en série A de 11 millions d'euros, complété par de la dette et du crowdequity pour se donner plus de marge.
Du côté de TripActions, cette nouvelle crise sur les marchés financiers ne constitue pas non plus un frein à sa croissance. Ce mercredi 12 octobre 2022, une autre levée de plus de 300 millions de dollars a été annoncée, portant la valorisation globale de TripActions à 9,2 milliards de dollars. Si TripActions a survécu, c’est justement parce qu’elle a réussi à convaincre ses investisseurs que les crises sont cycliques et que le secteur du voyage d’affaires restera pérenne. C’est d’ailleurs en ce sens que la scale-up a offert la possibilité à certains de ses investisseurs de fixer le prix de l’equity plus tardivement. Un recours aux obligations convertibles qui permet d’adapter ses financements selon l’évolution du contexte.
C'est ce que permettent notamment des dispositifs comme le BSA-air (bon de souscription d’action qui prévoit une entrée différée au capital) ou encore le Revenue Based Financing (remboursement d'un prêt en fonction des ventes).
La loi du plus fort
Dès lors que les investisseurs sont plus frileux, on peut se demander si les critères de rentabilité vont faire le tri dans un marché de la tech aux limites de la saturation. Boris Golden est sur ce point catégorique : " On ne crée pas des leaders avec de la profitabilité et une boîte ambitieuse aura toujours besoin de lever des fonds ", lance-t-il. L'écosystème tech étant pour lui majoritairement guidé par la capacité des fonds d'investissement à prendre des risques.
En parallèle, le contexte est aussi présenté comme une opportunité d’aller recruter les talents des entreprises en difficulté. Boris Golden prend l'exemple d'une pépite londonienne qui, face à la conjoncture, va mener de grands plans de licenciement. Il y a ainsi " un pool de gens talentueux " qui va arriver sur le marché de l’emploi. Pour autant, même si la recrudescence des talents sur le marché est bien constatée par Anna Rossin, la compétition sur les salaires de la tech est toujours aussi rude.
Si les levées de fonds se font plus rares, cela n’empêche pas des startups montantes de la tech de capter des fonds. Au premier semestre 2022, les startups françaises ont levé 8 milliards d'euros, soit 63 % de plus que les six premiers mois de l'année 2021, d'après le dernier baromètre EY du capital-risque en France. Nul doute que la loi du plus fort s'imposera pour ne laisser sur le marché que les pépites de la tech aptes à faire coïncider des objectifs à la fois de scalabilité et de frugalité.