Skello, c’est avant tout la rencontre de Quitterie Mathelin-Moreaux et Emmanuelle Fauchier-Magnan, puis de Samy Amar peu de temps après. À l’époque, les deux jeunes femmes travaillaient dans la baie de San Francisco dans deux entreprises différentes. Une connaissance commune fait le lien entre les deux et elles commencent à déjeuner ensemble de plus en plus régulièrement, dans un restaurant à proximité de leurs bureaux.
Ce qu’elles ne savaient pas à l’époque : le choix de ce restaurant en particulier allait les emmener dans une aventure entrepreneuriale, qui allait les occuper pour, a minima, la décennie qui allait suivre.
En effet, cette cafétéria était à la pointe de l’innovation, avec des caisses enregistreuses perfectionnées et un logiciel de gestion RH qui venait faciliter la vie du restaurateur. Quitterie et Emmanuelle découvrent alors un marché qu’elles ne connaissaient pas et une question plutôt simple émerge dans leurs esprits : est-ce que le marché français est aussi avancé dans ce domaine ? Si non, comment conquérir ce marché ?
À leur retour en France, elles décident d’aller à la rencontre de plus de deux cents restaurateurs, aussi bien des grosses chaînes de restauration rapide que des indépendants ou des franchisés, pour les questionner sur leurs enjeux RH. Le résultat est sans appel : 95 % d’entre eux n’utilisaient pas d’outils dédiés pour gérer ces tâches. Le crayon et le papier étaient encore majoritaires, avec une percée d’Excel dans le meilleur des cas.
Quitterie rejoint alors le Wagon pour suivre une formation accélérée pour comprendre les métiers du développement. Deux objectifs en tête : être en mesure de gérer la partie produit et, idéalement, rencontrer leur CTO. C’est à ce moment-là que Samy Amar fait irruption dans cette aventure. Ils commencent donc tous trois à développer l’outil.
Un outil adaptable
Dès le balbutiement du projet, et alors qu’ils focalisent leurs recherches sur le monde de la restauration, ils ont toujours eu en tête de penser leur produit avec une architecture flexible, qui leur permettrait de l’adapter à d’autres marchés. L’avenir allait leur donner raison puisque, malgré un bon départ dans la restauration, cela ne représente aujourd’hui que 50 % de leur volume d’affaires.
Ils ont pourtant résisté initialement aux appels du pied d’autres secteurs. Mais la prise de conscience s’est véritablement faite lorsqu’un client (qui gérait à la fois un restaurant et un supermarché) ne comprenait pas qu’il ne puisse pas utiliser le même outil pour ses deux business. Nous sommes en janvier 2018.
L’équipe fondatrice découvre alors la profondeur des similarités entre les deux secteurs et commence à identifier les développements nécessaires pour s’adapter totalement à ce nouveau marché. Au même moment, Skello dépassait les 1.000 clients dans le domaine de la restauration. Ils se considèrent prêts à se lancer sur un autre secteur et bouclent une série A de 6 millions d’euros en octobre 2018 pour commencer cette diversification.
La COVID a forcé la startup à accélérer sa stratégie de diversification
Ils adaptent ainsi le produit et recrutent aussi des équipes issues du métier de la grande distribution. Début 2020, Skello est encore majoritairement tourné vers le monde de la restauration. L’arrivée de la Covid a forcé la startup à accélérer sa stratégie de diversification (plus de 80 % de ses clients restaurateurs ont dû fermer administrativement leur établissement).
Puis, les équipes développent rapidement des fonctionnalités pour leurs clients historiques, comme la gestion du chômage partiel ou la présence alternée des équipes. Mais en parallèle, Skello se met en ordre de bataille pour séduire des clients du côté des supermarchés et des pharmacies : type d'établissement où les problématiques de suractivité étaient détectées.
" C'est hyper paradoxal ce que je vais dire, s’exclame Emmanuelle Fauchier-Magnan. C’était certainement le moment le plus stressant et challengeant de l’histoire de Skello, mais en même temps, et c'est typique de l’entrepreneur et de son tempérament optimiste, mais tu vois les opportunités partout. C'est limite énervant. Au moment du confinement, c'est quand même un moment où 80 % de nos clients pouvaient arrêter du jour au lendemain. Ce n’était pas le moment le plus agréable du monde, mais pour autant, ce n'était pas une traversée du désert parce que c'est un moment où on s'est énormément rapprochés de nos clients, un moment où des gens en interne se sont véritablement révélés et où tu avais vraiment une dynamique des équipes pour sauver Skello ".
Emmanuelle Fauchier-Magnan adhère ainsi à l’idée que les moments de crises sont aussi les moments où les entreprises sont poussées à innover et à se réinventer. Aujourd’hui en 2022, 50 % des clients de la startup sont dans le domaine du retail ou de la santé.
Une expansion européenne
Ressortie plus forte de la crise liée à la pandémie, Skello signe un nouveau tour de table de 40 millions d’euros en septembre 2021 (mené par Partech avec la participation de ses investisseurs historiques XAnge et Aglaé Ventures). Cette fois, c’est la croissance internationale de l’entreprise qui en est le moteur principal.
De 25 collaborateurs en 2018, la startup était montée à 150 au moment de la levée et devrait atteindre les 300 d’ici à la fin de l’année 2022. Si la majorité d’entre eux sont basés à Paris, un grand bureau s’est ouvert à Barcelone où Skello veut créer un nouveau hub qui n’accueillera pas seulement les équipes développant le marché espagnol, mais aussi des fonctions globales.
Ce nouveau bureau compte aujourd’hui une trentaine de collaborateurs et l’entreprise possède également une présence plus modeste à Hambourg. Le grand enjeu de Skello est de créer une culture internationale. Emmanuelle Fauchier-Magnan livre à Maddyness les grands chantiers du moment : " Récemment, nous avons eu de gros enjeux sur comment accueillir des personnes internationales. Au final, comment faire évoluer ta culture pour que ton environnement soit inclusif. "
Ces grands sujets ont été challengés par une équipe comportant des français, des espagnols et des allemands. Première grande décision : les communications internes de la startup se feront donc en anglais. Cela peut sembler être un choix simple, mais il faut avoir le souci de ne pas exclure une partie des équipes françaises qui ne seraient pas à l’aise dans la langue de Shakespeare.
" C’est tout simple, explique Emmanuelle Fauchier-Magnan. Mais on a commencé par écrire nos présentations en anglais, mais à les faire à l’oral en français avant que les internationaux arrivent. Ou bien on fait une présentation en anglais et on vient inclure une mini-synthèse à la fin de chaque partie en français. On y va petit à petit… tout en formant à l’anglais les gens qui en ont besoin ".
Avec son expansion internationale, Skello traverse une période charnière de son histoire. Elle vit une double croissance : côté business et côté équipe. Et si aller chercher de nouveaux clients hors de l’Hexagone est une priorité pour la startup, ça ne l’est pas autant que d’accompagner correctement l’humain. " Tu peux avoir le meilleur produit et le meilleur marché… mais si tu n'as pas une équipe avec une culture pour porter ces ambitions avec toi, c'est peine perdue ".