À travers cette étude du cabinet PageGroup, une conclusion ressort : absolument tous les métiers de la Tech manqueront de candidats en 2023 : " Cela fait maintenant plus de 6 ans que le PageGroup sort une étude annuelle des rémunérations ", précise Sacha Kalusevic, directeur de Michael Page Technology. " Nous collectons chaque année des centaines de milliers de données sur les salaires de nos candidats. Par ailleurs, nous avons en permanence plus de 10.000 offres d’emplois spécialisés à pourvoir en France. Ces données nous permettent d’avoir un regard complet sur le marché de l’emploi ". Or, de cette analyse globale et précise, ressortent deux éléments majeurs : d’une part, la pénurie de compétences, et, d’autre part, l’inflation des salaires.
Deux à quatre fois plus d’offres que de candidats sur certains profils
Parmi les profils les plus recherchés en 2023, les experts en cybersécurité, les profils SAP, les experts méthodologies Agile, les DévOps et DévSecOps, et les experts Cloud … tous ces profils sont clairement en pénurie, comme le rappelle l’étude : " Le déficit de candidats est particulièrement notable sur les métiers en ingénierie systèmes, architecture technique et Cloud ou Data où l’on recense deux à quatre fois plus d’offres que de candidats ".
Philippe Dewost, directeur général de l’école d’informatique Epita, n’est pas surpris par cette information : " La demande a tout simplement explosé ", explique-t-il. " Il faut cinq ans pour former un bon ingénieur en informatique, des métiers qui nécessitent de solides connaissances techniques. Sauf qu’en réalité, par rapport aux besoins du marché, il y a décalage de cinq ans entre le besoin et l’arrivée véritable de l’étudiant sur le marché ".
Il déplore en effet le manque de candidats à l’entrée sur le marché du travail, qu’il explique néanmoins facilement : " Des formations alternatives délivrent des développeurs opérationnels, mais sur certains métiers qui nécessitent un travail et des études d’ingénieur, études qui sont longues, il y aura toujours un goulot d’étranglement ". Le manque de profils traduit les effets de la loi de l’offre et de la demande : moins de profils sur le marché, c’est plus de tension dans le recrutement et donc des salaires en hausse dans ces métiers.
Un impact direct sur la stratégie des startups et leurs recrutements
Pour Maya Noel, directrice générale de France Digitale, le constat est sans appel : " Aujourd’hui le recrutement est le principal frein à la croissance des startups. L’année dernière, près de 70% de nos adhérents mettaient le recrutement comme principal frein à leur croissance : ils n’arrivent pas à recruter des profils techs, et à les garder ". Cette étude, qui insiste sur le fait que " toutes les fonctions IT seront en tension en 2023 ", confirme bien cette difficulté sur le terrain.
Le problème vient-il du manque de candidats au sein des formations diplomantes, véritable graal menant à ces métiers ? Peut-être. Mais cela ne peut pas tout expliquer. " Il y a peu de profils en infrastructure, en système, qui nécessitent des compétences et une expertise qu’on acquiert avec le temps ", rappelle Maya Noel. " Cela est peut être aussi dû au fait qu’en France, cela semble moins prestigieux de faire des formations de développeur ou système d’information ou infra back office. Cela sonne moins sexy que d’être data scientist, alors qu’aux US, tout ce qui touche aux "computer sciences" est très réputé. Qui plus est, peu de jeunes femmes se lancent dans ces domaines, notamment par manque de modèles féminins au sein de ces professions ".
Seulement 23 % de femmes dans l'informatique
La féminisation de la Tech, un sujet également soulevé par Sacha Kalusevic. " En effet, il n’y a que 37 % de femmes qui se dirigent vers un Baccalauréat Scientifique et seulement 26 % vers une formation d’ingénieur ou technologique après le Bac, selon le rapport de l’Institut des Politiques".
"Alors que nous comptons seulement 23 % de femmes dans l’informatique selon notre étude IT publiée en 2021, nous sommes très loin d’atteindre la parité dans ces métiers ".
Cependant, les besoins dans des secteurs tels que la cybersécurité deviennent vitaux, comme l'a démontré la cyberattaque d'un hôpital de Corbeil-Essonnes en août 2022. Ces risques auraient pu être plus anticipés, tant sur le terrain qu’en matière de formation : " Les besoins en cybersécurité ont explosé depuis 2020 ", précise Sacha Kalusevic. " Or, pour former des experts en cybersécurité, il faut au minimum trois ans de formation puis, pour devenir suffisamment expert, au moins deux ans d’expérience en entreprise. Cela signifie que la pénurie d’experts en cybersécurité commencera à s’atténuer à partir de 2025 seulement ! D’ici là, les entreprises devront trouver des solutions pour compenser ce manque. […] La nature ayant horreur du vide, le développement du travail en remote peut potentiellement amener les entreprises à aller trouver des solutions "near-shore" ou "off-shore" pour combler la pénurie sur certains métiers ".
Les salaires se stabilisent
Malgré tout, les résultats de l’étude se veulent rassurants. En effet, en 2023, le rythme des augmentations de salaire devrait ralentir … mais certainement pas diminuer. Selon Sacha Kalusevic " pour 2023, la tendance générale est à la prudence au niveau des grilles salariales, compte tenu des incertitudes économiques actuelles. Nous avons toutefois deux tendances qui se dessinent. La première est que nous ne devrions pas observer de baisses de salaire car les "grilles" d’embauche devraient se maintenir avec celles établies en 2022. Et la seconde tendance à prévoir, ce sont les augmentations de salaires en 2023 qui devraient être beaucoup plus mesurées qu’en 2022".
Les métiers de l’informatique ont encore de beaux jours devant eux, et les startups vont devoir redoubler d'inventivité pour se montrer attractifs et conserver leurs talents.