Ancien chercheur en mathématiques abstraites, managing partner d’Elaia, au board de startups comme Mirakl & iBanFirst, il revient dans nos colonnes pour une série de 5 épisodes, qui seront publiés toutes les semaines, sur le monde qui s’ouvre à nous et ce à quoi l’écosystème doit se préparer (ou non) dans les prochaines années.
A relire :
- Chapitre 1 : "Cela ne fait aucun doute, une bulle des valeurs technologiques s’est formée puis a éclaté (mais peut-être pas en 2022)", à retrouver ici.
Chapitre 2 : Il faut ajouter un deuxième problème à l'éclatement de la bulle
En plus de l'éclatement de cette bulle technologique, le second problème principal sur le marché d'aujourd'hui est que la macro-économie est désormais également dans le rouge !
Alors que l’univers des nouvelles technologies brillaient de mille feux grâce aux valorisations dopées pendant la crise du Covid, les entreprises non tech ont, par ailleurs, pu bénéficier d’un matelas (aides de l'Etat), et se sont retrouvées dans une période anormalement expansionniste, au lieu de subir la crise de plein fouet. En plus de ces effets, d'autres facteurs sont intervenus comme le conflit en Ukraine, les turbulences du marché de l'énergie, la pénurie post-Covid de composants et la pression mondiale sur la chaîne d'approvisionnement. Et, a cela, s'est ajouté le niveau élevé d'endettement des pays après les renflouements et les mesures de relance pandémiques, et le crash obligataire, ont conduit au retour de l'inflation et l'inévitable hausse des taux d'intérêt associée, ce qui a conduit à un ralentissement de l'évolution projetée du PIB dans un avenir proche. La menace d'entrer dans le piège de la stagflation – c'est-à-dire la combinaison de l'inflation et de la récession – plane sur nos économies.
Mais pourquoi cette situation ne profiterait-elle pas à nouveau au secteur technologique comme la pandémie l'a fait au printemps 2020 ?
En termes simplifiés, les dépenses en technologie numérique sont principalement motivées par deux grandes tendances :
- En B2C, le changement des habitudes de communication et de consommation (que ce soit dans les services, les contenus, les biens, etc.)
- En B2B, la nécessité de l'innovation et de la transformation digitale.
I - Les entreprises B2C sont et devraient être inquiètes de ce qui se passe
Un consommateur standard va donc payer plus pour :
- le transport : les coûts de transport sont encore pleinement corrélés à la tarification des énergies fossiles,
- l'alimentation : les prix des engrais dépendent fortement des coûts de l'énergie et la nourriture est massivement transportée dans notre économie mondialisée, et
- le logement : les hausses des taux d'intérêt entraînent toujours une augmentation du coût des crédits ou du loyer.
Les consommateurs ont besoin de se déplacer tous les jours, doivent manger plusieurs fois par jour et dormir dans un endroit sûr chaque nuit. Ces besoins sont tellement fondamentaux que les dépenses nécessaires pour y répondre seront réalisées, quoi qu'il arrive - alors que la crise du Covid nous a fait croire qu'un bon abonnement Netflix était au sommet de la pyramide de Maslow. L'actuel ralentissement macro-économique nous fait redécouvrir la vraie nature des besoins fondamentaux de l'homme. Par conséquent, les gens devront-ils simplement disposer de moins d’abonnements ? Nous pouvons déjà constater que Netflix a perdu un million d'abonnés au dernier trimestre. Les gens achèteront probablement moins de choses dont ils n'ont pas vraiment besoin, iront moins au restaurant et/ou arrêteront de changer leur téléphone chaque année, etc. Une chose certaine à laquelle il faut s'attendre : les gens risquent d’arrêter l’achat des NFT.
Cela n'est pas encore visible car les consommateurs dépensent encore leurs économies accumulées au cours des 2 dernières années, avec une frénésie d'activités post-covid et les vacances d'été. Une sorte de libération économique après 2 années de restrictions.
II - Le B2B paraît, et est un modèle vraiment plus certain
D'un autre côté, le B2B semble - et est - plus sûr. Pour la plupart des entreprises existantes, investir dans la digitalisation est une question de survie, à moins bien sûr qu'elles ne soient nées avec les codes du numérique ! Les entreprises B2B Cloud solides sont là pour durer. Néanmoins, le marché réagira différemment selon la taille des entreprises qu’il vise.
Le top du marché constitue le royaume des très grandes entreprises, les Entreprises. Les Entreprises continueront à remplacer leurs logiciels par une version cloud, à mettre à niveau leurs plateformes, à augmenter leur niveau de cybersécurité, à adapter leur organisation à une équipe plus dispersée, etc. - sans aucun doute.
Cependant, les services d'approvisionnement et juridiques reprendront le contrôle du rythme des dépenses et tous les projets ne seront pas approuvés tout de suite - le retour sur investissement sera examiné, les options seront comparées. Je ne m'attends pas à ce que le taux de désabonnement soit un problème pour les fournisseurs de logiciels ou de services cloud de qualité, mais un ralentissement de la croissance des nouvelles souscriptions (accompagné par des cycles de vente plus longs) est susceptible de se produire, en particulier fin 2022 et 2023 lorsque les budgets et les plans d'affaires seront retravaillés avec le dessin d’une nouvelle macro-économie.
Pour les B2B Tech ciblant les PME, la feuille de route sera très différente. Le premier problème avec les PME est qu'elles appartiennent généralement à quelques personnes ou à une seule famille ; leur bilan est dans de nombreux cas géré comme le portefeuille personnel des propriétaires. Rappelez-vous, la crise abaisse le seuil "Who cares?" des individus; le même mécanisme s'applique pour les PME. Même si la PME doit foncièrement innover et investir, ses propriétaires protégeront leurs actifs actuels et leurs flux de trésorerie à court terme, car ce sont ces flux de trésorerie qui paient directement leurs factures. Ils réagiront en tant que consommateurs en débranchant tout ce qui ne semble pas nécessaire ou qui pourrait être remplacé par un service moins cher, parfois même au détriment de la qualité. Et ils reporteront à des temps meilleurs, leurs plus gros investissements ou leurs plans de transformation.
A moins que quelque chose de dramatique ne se produise, la plupart des grandes entreprises pourront survivre des années sans profits ou avec des pertes. Même dans les pires hypothèses, les grandes entreprises misent sur l'effet "too big to fail" et espèrent que l'État, directement ou indirectement, les remettra à flots avant qu'elles ne coulent. Il suffit de regarder comment les compagnies aériennes ou les banques sont gérées par exemple. De ce côté, les PME ne peuvent pas disposer de telles solutions pour survivre et à moins qu'un miracle ne se produise, personne ne se manifestera pour sauver l'une d'entre elles. Habituellement, lorsqu'une crise survient, les faillites des PME explosent.
Nous avons assisté dernièrement à l’émergence d’une toute nouvelle cible : les startups, qui sont devenues les cibles commerciales des autres startups. De nombreux nouveaux services se sont lancés et les startups ont suivi cette tendance en devenant early-adopters des autres solutions lancées par leurs pairs. L'argent du capital-risque a subventionné les revenus soutenus par le même capital-risque, ce qui a conduit à de meilleures trajectoires de croissance, à des hausses de valorisation plus fortes et à un appétit pour plus d'investissements. Vous vous souvenez de l'effet volatil menant inévitablement à une bulle puis à un éclatement ? Comment pensez-vous que celui-ci pourrait se terminer ?
La combinaison de ces trois facteurs me fait croire que le taux de désabonnement sera la principale menace pour les entreprises technologiques B2B qui s'adressent aux PME et/ou aux startups soutenues par d’autres VC. Les promotions ou les ventes incitatives auront du mal à compenser cela. Notez qu'il n'y a encore rien de nouveau ici, le secteur technologique basé sur les PME, en a malheureusement fait l'expérience pendant la crise financière de 2008. Cela signifie également qu'à un moment donné, le phénomène prendra fin et que le marché se redressera.
Cela pourrait d'ailleurs avoir un impact significatif sur les performances récentes du VC puisque les entreprises SaaS ciblant les PME, les chouchous des investisseurs en 2021, ont enchaîné les tours d’investissement il a quelques mois.
Notez qu'il ne s'agit là que d'un point de vue et évidemment, il y aura de nombreuses exceptions : les startups tech ciblant les Entreprises ne seront pas toutes gagnantes et celles centrées sur les PME ne vont pas toutes en souffrir !
Pour conclure sur une note plus positive, je ne suis pas du tout convaincu que ce soit la fin du monde pour les startups (B2B et B2C), les VCs, etc. D’un côté, je crois que le marché se concentrera sur les acteurs dont la qualité de produit et de son service, passera l’épreuve de la récession. De l’autre côté, je crois que la période où les entreprises ou les consommateurs investissaient ou achetaient sans compter des services et des produits technologiques, est révolue. Nous revenons tout juste à notre traditionnelle loterie, où tous les billets ne sont pas gagnants !
A nous de mieux sélectionner les meilleurs dossiers (selon les étapes de développement) et d’en payer le bon prix.
Nous aborderons d'ailleurs la question des valorisations lors du prochain chapitre.