La fête est finie ! L’expression revient régulièrement ces temps-ci, quand il est question de financement des startups, et tout particulièrement dans le secteur de la tech. Valorisations stratosphériques, levées de fonds en augmentation régulière d’année en année, tours de table records : tout cela serait définitivement derrière nous. Les chiffres portant sur la France pour le premier semestre 2022, avec seulement 2 milliards d’euros de fonds levés contre 10 milliards en 2021, établissent clairement une tendance.
Quelles en sont les raisons ? Elles sont, pour une bonne part, conjoncturelles. Parce que, depuis le mois de mars, la hausse des taux freine des ardeurs qui, il y a peu de temps encore, faisaient peu de cas du risque. Parce que le conflit en Ukraine déstabilise de manière aussi spectaculaire qu’imprévue l’ordre mondial, avec des incertitudes très lourdes sur les approvisionnements en énergie, mais aussi sur certains produits alimentaires de base…
Parce que par ricochet, une inflation mondiale galopante s’installe. Tout cela mis bout à bout, avec en plus la question d’une nouvelle vague de Covid-19, donne peu de raisons d’espérer, et beaucoup de motifs de se méfier. Il faut cependant aller plus loin dans l’analyse, et chercher les causes structurelles de ce retournement ; on pourra y trouver quelques raisons de considérer l’avenir avec confiance.
Bien sûr, le climat général actuel pèse fortement sur les perceptions des acteurs économiques. Mais ce qui se fait jour, c’est aussi, de manière plus fondamentale, une forme de " sélection naturelle " entre deux types de startups. D’un côté, il y a celles dont la promesse repose sur une véritable innovation technologique ; et de l’autre, celles dont le modèle s’appuie avant tout sur les gains de productivité permis par le passage rapide à l’échelle.
Force est de constater que, parmi les licornes de ces dernières années, nombre d’entre elles reposaient sur une logique similaire : atteindre sur un marché donné la taille critique plus vite et plus fort que les autres acteurs. Dans un contexte où les liquidités surabondaient, où les investisseurs cherchaient à tout prix des projets dans lesquels investir, nul n’avait besoin de présenter une innovation de rupture ; une perspective réaliste de succès dans cette course à la taille suffisait. Et l’afflux de capital permettait alors à des entreprises de concentrer leurs actions sur ce seul but, particulièrement vorace en cash : préempter au pas de charge une position de leadership.
Force est de constater que ces histoires-là ne convainquent plus comme auparavant. Si le volume général des valorisations baisse, c’est avant tout parce que les investisseurs ont changé leur manière de voir, qu’ils sont devenus plus regardants, notamment sur la réalité de l’innovation proposée. Dès lors que le capital coûte plus cher, les investisseurs veulent en avoir davantage pour leur argent. Ils sont, à ce titre, plus sélectifs dans leurs décisions d’investissement, font des analyses plus profondes et remontent leur niveau d’exigence quant à la viabilité économique des cibles envisagées.
Mais, avant tout, ils veulent s’assurer que, derrière le projet financé, se trouve aussi une capacité réelle et continue à inventer, à proposer, à grandir, à garder une longueur d’avance. John Collison, président de Stripe, a parfaitement résumé la situation : " Partout, les investisseurs paient moins pour les mêmes entreprises […]. Les choses ne sont pas si terribles dans le secteur des technologies. Ce sont juste les valorisations qui ont un peu baissé. " Tout est dit !
La " correction " en cours – c’est vrai des deux côtés de l’Atlantique – est saine pour nos économies. Elle permettra de mieux distinguer les pépites qui innovent réellement. L’histoire récente l’a montré sévèrement : nous n’avons rien à gagner à laisser gonfler les bulles spéculatives. Et nous avons, bien au contraire, tout à gagner à ce que l’argent disponible serve en priorité à soutenir des histoires entrepreneuriales avec des fondamentaux solides, des innovations visionnaires et des expertises de pointe, plutôt qu’à alimenter des chimères aux rentabilités aussi hypothétiques que lointaines.
Il y a là une belle occasion de redonner tout son éclat à la figure de l’entrepreneur. Le resserrement monétaire va forcer les créateurs d’entreprise à être encore plus ingénieux, créatifs, inspirants et résilients. Ces qualités doivent retrouver leur juste place dans l’échelle des valeurs que promeuvent nos sociétés, trop souvent défiantes par rapport à l’innovation technologique, trop souvent enclines à reléguer les compétences techniques au second plan. L’économie s’affaiblit en préférant les contes de fées, elle se renforce en valorisant les belles histoires.
Fabien Versavau est le PDG de Rakuten France