Et pour cause : ces opérations n’ont, à court terme, que des avantages. Elles présentent d’abord peu de barrières à l’entrée, dans un contexte où les fonds n’ont jamais eu autant de liquidités disponibles. Véritable gage de confiance des investisseurs dans les projets et leur innovation, la levée vient pourtant financer la startup alors qu’elle n’est pas encore rentable.
Les levées de fonds interviennent, de fait, de plus en plus tôt dans la vie d’un projet, à un stade où il présente peu de garanties quant à sa santé financière. Ces opérations sont presque banalisées : qui s’étonne aujourd’hui d’une levée de 5 millions d’euros ? Avec une telle fréquence de levées de fonds, un cercle peu vertueux s’est installé : plus les investisseurs ont de startups dans leur portefeuille, plus ils sont garants de succès réguliers, leur permettant d’investir presque partout, et ce malgré des risques substantiels. Les levées reçoivent par ailleurs une importante attention médiatique, qui donne l’impression aux entrepreneurs qu’elles sont la consécration de l’entrepreneur accompli. Elles deviennent la fin plutôt que le moyen.
On en oublie que la levée n'est pas un passage obligatoire pour les entrepreneurs, et qu’elle peut même être une mauvaise décision stratégique. Une évolution trop rapide et non maîtrisée peut en effet vite mener à une crise de croissance et s’accompagner de crises de trésorerie ou de crises actionnariales. Sans oublier qu’une levée précipitée peut entraîner l’entrepreneur dans une fuite en avant qui l’obligera à lever de nouveaux fonds rapidement pour remplir des objectifs trop ambitieux… promis aux investisseurs. Ces risques ne sont d’ailleurs pas seulement encourus par l’entrepreneur. Il peut emmener dans sa chute son écosystème de clients, souvent lésés dans cette course à la levée, et avant tout, les salariés ou prestataires dont le travail est trop souvent précarisé.
Spéculation ou intelligence financière ?
Face à ce constat, il est impératif que, collectivement, nous sortions de la systématique association “startup” et “levée de fonds”. Une startup ne peut pas uniquement se développer à coups de levées. Cet outil ne garantit en rien la durabilité de l'entreprise et doit être justifié par la bonne temporalité et de bons objectifs. Oui, la levée de fonds est légitime, lorsqu’elle permet de se développer géographiquement, de développer un produit mûrement réfléchi, ou une nouvelle activité. Mais rappelons que la majorité des startups ne passent pas le cap des 5 ans, selon l’INSEE. Or lorsqu’on parle de risque, on peut en arriver à parler de bulle : le rythme, l’importance et parfois la démesure de ces levées tendent dangereusement vers un modèle spéculatif et décorrélé de toute valeur réelle. Rappelons-nous les montagnes russes des licornes américaines en Bourse, qui nous montrent la dangereuse ligne de crête entre valorisation et mise à l’épreuve du business model. Pour éviter ce type de phénomène, il est impératif d’adopter une véritable intelligence financière, prenant en compte les risques intrinsèques que peut représenter une levée, d’autant plus quand les montants sont très significatifs.
Ensemble, encourageons la durabilité et l’impact positif.
L’écosystème entier doit prendre des engagements, des investisseurs aux entrepreneurs en passant par les médias et l’État. Ce dernier s’est montré très favorable à l’écosystème français des startups, et nous nous en réjouissons. Néanmoins, avec l’objectif affiché d’atteindre “25 licornes françaises”, nous constatons que l’État évalue principalement la bonne santé de la French Tech qu’à travers le montant des levées de fonds annoncées. Il est crucial qu'il prenne mieux en compte les critères de rentabilité ou encore de ratio rentabilité/chiffre d’affaires, notamment dans la sélection du Next 40 et du French Tech 120. Par ailleurs, en matière de régulation, il est nécessaire d’observer plus strictement ces opérations. On pourrait, par exemple, envisager la création d’un comité de soutien et de régulation des levées de fonds ; ou encore investir Bpifrance d’un rôle de garde-fou. D'autres solutions inévitables seraient des mesures de sensibilisation et de prévention.
À l'heure où s’imposent le développement durable et la décélération, il est nécessaire d’entamer une discussion sur la durabilité des startups. Il s’agit, d’un côté, de les encourager à lever plus tard ; de l’autre, de rendre les critères ESG et impact obligatoires pour les investisseurs. En outre, les médias ont également leur rôle à jouer : communiquer davantage sur les réussites entrepreneuriales durables, et moins sur la valorisation ou les levées de fonds des startups.
Revenons à une certaine mesure de la sobriété, en incitant les entrepreneurs à lever des fonds moins souvent, plus raisonnablement, ou même ne jamais lever. Si le moment clef de la levée de fonds s’impose, soyons optimal. Il ne faut lever que ce qui est nécessaire, pour limiter les risques. Cela permettrait de réduire considérablement le nombre de startups en faillite : rappelons que disposer d’un budget limité en début de croissance permet d’investir plus intelligemment et sagement. Le secteur a besoin d’un sursaut. C’est pourquoi Yespark, après 8 ans de croissance raisonnée, a fait le choix de lever des fonds dans le but de financer un projet bien précis : le développement de bornes de recharges électriques.
L’écosystème entrepreneurial doit sortir de l’engouement pour la “Startup Nation”. Une startup, c’est avant tout une PME technologique en croissance. Il est impératif que nous retournions collectivement à ce sens originel, vers des normes plus sensées. Yespark appelle donc à la réflexion et à la mobilisation générale quant au besoin de réaliser ou non une levée et dans quel contexte.