Réalisé sur l’année 2021, le rapport s’intéresse aux investissements réalisés dans les startups FoodTech européennes, la situation actuelle en Ukraine ne se reflète donc pas dans les données. Sont pris en compte six secteurs : AgriTech, Food Service, Food Science, Supplychain et Consumer Tech.
Première bonne nouvelle soulignée par Matthieu Vincent, co-fondateur du DigitalFoodLab : l’explosion des montants investis dans les FoodTech européennes. Malgré la pandémie, l’écosystème avait réussi à sécuriser 3 milliards d’euros de financements en 2020. Un montant qui a triplé en 2021 pour atteindre les 9 milliards d'euros. "On observe également une croissance du nombre de créations de startups et du nombre de deals réalisés" , poursuit-il.
Le montant médian de ces opérations augmente quel que soit le stade d'investissement (seed, série A ou série B+). Mais cette hausse est particulièrement marquée en early stage, alors qu’auparavant les investisseurs capitalisaient surtout sur les entreprises déjà matures et ayant fait leur preuve. Ce phénomène se traduit par un montant médian qui évolue de 300 000 euros en 2019 à 1 million d’euros en 2021.
Les jeunes pousses tirent leur épingle du jeu
Pour Matthieu Vincent, ce phénomène s’explique aussi par la crise actuelle. Les investisseurs misent sur ces startups - qui ont vocation à devenir les références de demain - , estimant qu’elles seront matures dans cinq ans, quand la crise sera terminée.
Cet intérêt des investisseurs pour les jeunes pousses témoigne d’un changement de paradigme. "Avant, les startups étaient perçues comme des petits projets valorisées quelques millions d’euros, qui seraient rachetées par des industriels. Mais lorsqu’on est valorisé 1 milliard d’euros, on n’est plus là pour développer une innovation qui sera rachetée par un industriel mais on devient un concurrent" , analyse Matthieu Vincent, qui souligne l’existence d’un "important écosystème de sous licornes qui ont le potentiel de devenir rapidement des licornes".
Entre 2012 et 2019, la FoodTech européenne voyait émerger une licorne par an environ. En 2020, quatre FoodTech ont été valorisées plus d’un milliard d’euros. Elles sont sept en 2021. Ce qui témoigne du dynamisme du secteur, à la fois auprès des investisseurs européens et étrangers, plus particulièrement américains et chinois.
Mais ne nous réjouissons pas trop vite, tempère le co-fondateur du DigitalLabFood qui observe également une augmentation du nombre de startups non financées : "De plus en plus de projets entrepreneuriaux n’arrivent pas à obtenir des investissements sur des sommes significatives. Il existe un risque de voir ces startups "zombies" disparaître en masse dans des moments de difficulté."
Les tendances qui se dessinent
Le rapport souligne - sans grande surprise, une surreprésentation de la livraison avec une concentration des investissements dans le quick commerce (Gorillas, Cajoo, Flink). Ces derniers représentent la moitié des fonds investis dans la livraison. L’autre est principalement capté par les nouveaux retailers : Picnic ou Oda. Dans ce secteur, la révolution pourrait davantage venir des nouveaux distributeurs comme La Belle Vie plutôt que de la livraison rapide ou la livraison de box repas, estime le co-fondateur du DigitalFoodLab. Ces derniers pourraient même devenir une vraie menace pour les distributeurs classiques.
Dans l’AgriTech, on observe un changement de stratégie des investisseurs avec un déplacement des financements de l’AgBioTech vers les fermes urbaines (comme Infarm et ses fermes verticales). Au niveau du Foodservice, la révolution se retrouve dans le paiement avec des startups financées qui sont à la limite de la FinTech, comme Swile (tickets restaurants) ou encore Sunday (paiement via QRCode). On voit aussi le financement de sociétés comme Deliverect ou Choco, dont les outils permettent de désintermédier les relations et d’éviter de passer par des grossistes.
Autre secteur passé au crible, celui de la Food Science, dans lequel l’Europe est en retard. En Europe, l’écosystème est moins financé sur ce sujet que l’écosystème israélien en raison d’une réglementation plus stricte et de la frilosité des acteurs industriels à financer localement cet écosystème. "Ce qui est un vrai problème pour l’industrie alimentaire à court terme" , prédit Matthieu Vincent. En effet, pour arriver sur le marché européen, les nouveaux aliments (comme les insectes ou la viande cellulaire) doivent passer l'épreuve du règlement européen Novel Foods, qui autorise ou non leur vente en Europe. Néanmoins, certains pays assouplissent ces règles au niveau national.
Matthieu Vincent appelle néanmoins à être prudent. Les tendances d'hier ne se confirment pas toujours dans la durée et, selon lui, nous n'aurons pas des insectes demain dans nos assiettes. L'Europe est néanmoins leader dans les domaines suivants : fermentation biomasse, l'agriculture moléculaire, la nourriture à base d'insectes pour les animaux, etc.
La France une exception dans le monde
A l’échelle mondiale, l’écosystème FoodTech a attiré environ 45 milliards d’euros. Avec ces 9 milliards d’euros perçus, l’Europe se place sur la seconde place (21 %) des zones les plus attractives, devant la Chine (16 %) et l’Inde (9 %). On observe cependant un véritable investissement de certains pays, comme Israël, dans ce secteur avec des montants très élevés dans l’agriculture cellulaire ou les protéines alternatives.
Si l’Europe bénéficie de l’intérêt des investisseurs, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. L’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et les Pays-Bas restent les principaux bénéficiaires de ces financements. Les capitales nordiques tirent aussi leur épingle du jeu. Le montant investi dans chaque pays doit néanmoins être mis en parallèle du nombre de startups bénéficiaires. En Espagne, on se rend compte que les fonds alloués ont principalement financé une société, ce qui risque de faire chuter le pays en 2022 dans le classement.
Dans cet échiquier, la France fait figure d’exception, car les montants investis sont principalement fléchés vers deux secteurs spécifiques : les insectes et le paiement. "Nous avons des difficultés à financer des produits innovants, des protéines alternatives, même si on note quelques évolutions" , constate Matthieu Vincent. Néanmoins, l’appétit des investisseurs européens et étrangers se confirme pour l’Hexagone.
Malgré quelques écueils, le DigitalFoodLab est plutôt optimiste sur le développement du secteur : "On voit enfin de la recherche qui se transforme en startups via des spin-off d’universités. On voit ce qui a nourri l'écosystème israélien arriver en Europe. L’écosystème est plus jeune et les investisseurs préfèrent financer ce type de projets. On est extrêmement confiant sur l’écosystème en Europe."