SeaBubbles est restée discrète depuis son rachat. Quels sont les grands chantiers qui vous ont occupés ?
Virginie Seurat : L’idée a été de concentrer l’ensemble des ressources dans le bureau d’étude afin de développer une technologie qui permette de répondre au défi de la transition écologique de la mobilité. Pour répondre au besoin du marché, nous avions besoin de construire un bateau plus grand [8 places contre 4 auparavant avec un modèle qui fait 8 mètres de long aujourd’hui, ndlr] et doté d’une plus grande autonomie. Nous sommes repartis de la base, de la preuve de concept [réalisée avant le rachat, ndlr] qui correspondait à des petites “bulles électriques” fonctionnant sur batterie.
Nous avons regardé le projet dans son ensemble. Pour réduire son empreinte carbone, nous savions que la propulsion jouerait un grand rôle. Nous avons cherché à voir si la production d’énergie était suffisante et comment l’optimiser pour faire plus avec moins. Il faut être frugal dans l’utilisation de l’énergie. C’est là qu’est apparu le choix de l’hydrogène. Celui-ci concordait bien avec le fait que le bateau possède un foil rétractable -qui fait l’objet d’un brevet- qui permet de faire voler l'hydrofoil. En réduisant les frictions avec l’eau, ce système permet de réduire la consommation énergétique de 35%. Ce qui nécessite d’avoir un bateau relativement léger sinon il ne pourrait pas voler. L’hydrogène permet d’éviter l’usage de batterie qui augmenterait le poids du véhicule et réduirait l’autonomie à 30 minutes contre 2h30 aujourd’hui. La recharge est également bien plus rapide. Nous avons également développé une intelligence artificielle qui permet d’optimiser la consommation énergétique du bateau.
Où en êtes-vous dans votre développement ?
Nous avons laissé les équipes tech travailler pendant dix-huit mois. Aujourd’hui, les premiers bateaux sont en construction dans notre chantier naval à Saint-Jorioz (Haute-Savoie). Nous sommes passés de 5 à 26 employés et continuons à recruter à des postes techniques, et bientôt pour la partie production. Nous allons passer à l’étape suivante. Les essais sur l’eau auront lieu dès cet été.
Il faut avoir une approche pragmatique. Pour changer un écosystème, de paradigme, il faut commencer par la première marche. Avant de construire une centaine de SeaBubbles, il faut commencer par déployer une ou deux d'entre elles sur un territoire pour comprendre toutes les problématiques autour : Comment je m’approvisionne en hydrogène ? Comment je fais évoluer la réglementation ? L’idée étant d’avoir d’avoir la solution globale en miniature et pouvoir ensuite la déployer à grande échelle. Sinon on risque de se retrouver avec des problèmes organisationnels à grande échelle.
Nous avons besoin d’avoir de premiers clients qui ne cherchent pas seulement le côté "expérience magique" mais veulent aussi participer à la construction de notre modèle -en travaillant sur son adaptation à chaque milieu- et des infrastructures qui vont avec. Au Moyen-Orient, il y a un vrai sujet autour de la pile à combustible et de son refroidissement.
Notre investisseur nous a permis d'entrer dans cette phase de développement et de recherche des marchés. La prochaine étape est celle de l’industrialisation avec le mass market, la série, etc. Une seconde levée sera sûrement réalisée pour effectuer cette industrialisation. Notre chantier naval Saint-Jorioz est capable de produire une dizaine d’unités mais au-delà nous devons nous appuyer sur nos partenaires de production.
Le nombre de places a doublé, son prix est aussi plus élevé. A quelle cible s'adressent les SeaBubbles aujourd’hui ?
Nous nous adressons pour le moment aux primo-adoptants qui vont vouloir valoriser l'expérience de vol auprès de leurs clients, comme l'hôtellerie de luxe, mais aussi aux États ou aux acteurs privés qui veulent démontrer leur capacité d’innovation et souligner qu’ils ont entamé leur transition écologique. Nous avons des projets de ligne pilote en France et au Moyen-Orient [la société a noué un partenariat avec Al Masaood Power Division pour collaborer sur une version adaptée aux Emirats arabes unis, ndlr]. Le Moyen-Orient entame vraiment sa transition post-pétrole, c’est une région qui bénéficie d’un excellent taux d’ensoleillement et d’une importante capacité énergétique. Le meilleur moyen de stocker cette énergie solaire est l’hydrogène. Il y a donc un gros focus réalisé sur ce secteur. Notre partenaire possède une power division qui s’intéresse déjà à ces sujets-là.
C’est essentiel de ne pas être seul car il faut développer tout une infrastructure autour des SeaBubbles et de l'hydrogène. Nous avons également un partenaire en Suisse. Nous devons être capable d’accompagner la maintenance des SeaBubbles car nous ne pourrons pas être présents dans le monde entier. Un centre de formation sera d’ailleurs développé.
Les SeaBubbles sont donc des démonstrateurs de technologies avant tout ?
Nos premiers modèles visent à montrer la technologie que nous avons développée et qui pourra être appliquée à d’autres usages. Nous devons commencer par le haut pour montrer nos capacités, lorsque nous aurons déployé plusieurs stations, le prix baissera. La technologie va se développer en parallèle et nous aurons d’autres modèles. Il y a aussi tout un usage à penser autour du retrofit des flottes qui sont obsolètes et vont pouvoir être améliorées. Il faut inspirer par le haut.
A travers France 2030, le pays montre sa volonté de financer la filière hydrogène. Observez-vous ces avancées sur le terrain ?
Il y a enfin un discours politique et un alignement financier. Il y a beaucoup d’argent, il faut mieux l’orienter et l’organiser. Il y a une vraie volonté mais aussi des freins. Aujourd’hui on observe une vraie volonté pour développer la partie production d’hydrogène mais elle n’a pas de sens sans cas d’usage. Donc il faut aussi soutenir le développement des cas d'usage. Mais tous ceux qui ont investi dans l'électrique par batterie peuvent craindre que leurs infrastructures deviennent obsolètes et risquent de vouloir freiner ce développement. Je pense que la technologie aura du sens par rapport à un territoire donné. Quand on n’a pas besoin d’autonomie, qu’on peut recharger facilement sa batterie et qu’on met en place une filière de recyclage, l’électrique via batterie fonctionne parfaitement. Il faut avoir une approche territoriale en fonction des besoins. Stocker les énergies renouvelables via des batteries ou grâce à l’hydrogène sont des solutions intéressantes.
Notons également qu’aujourd’hui, 5% de l’hydrogène produit est vert, quasiment rien. La situation géopolitique et l’augmentation du prix du pétrole devraient aussi accélérer cette transition. L’hydrogène vert était loin d’être rentable par rapport au pétrole mais avec l’explosion du prix de ce dernier, l’écart se réduit.
Vous avez déjà des pistes de déploiement en France, au Moyen-Orient et en Suisse. D’autres pays sont-ils intéressés ?
Les investissements pour la transition écologique sont importants en Europe, aux Etats-Unis, au Moyen-Orient, en Nouvelle-Zélande, au Japon et en Corée. Nous sommes tout de suite sortis des frontières françaises pour nous développer. Les pays ont des process de décision différents. Au Moyen-Orient, les décisions sont prises plus rapidement mais en Europe, on dispose de gros soutiens. Bpifrance est un soutien incroyable pour les PME. La banque publique nous accompagne dans la mise en place d'une ligne pilote mais il faut des consortiums en France. Si nous n’accompagnons pas nos clients sur le financement, la réglementation ou l'infrastructure, on risque de faire face à des freins importants.
La réglementation évolue mais nous avons plusieurs technologies associées : les foils et l’hydrogène, une association qui n’existait pas avant. Notre bateau est électrique donc nous essayons de passer par des réglementations existantes mais il y a une vraie volonté de trouver des solutions quand cela est compliqué.
En tant que Français, nous avons une plus value. Notre tempérament de tout remettre en cause permet d’avoir une créativité qu’on retrouve dans les startups pour faire face à des difficultés et trouver des solutions.