Loin d’être des phénomènes isolés, les troubles anxieux et dépressifs touchent près de 12 millions de Français et Françaises, soit plus d’un citoyen sur cinq. Un chiffre en pleine croissance avec la pandémie : au cours des deux dernières années, le nombre de personnes en état anxieux a grimpé de 25% selon Copirev. Un constat identique à celui dressé par l’ONU à l’échelle mondiale qui estime, par ailleurs, que la dépression deviendra la première maladie au monde d’ici 2030. Comment endiguer ce mal-être ? Faire appel au numérique, répondent sept startups françaises de l’e-santé. HypnoVR, Kwit, mindDay, PetitBambou, Qare, ResilEyes Therapeutics et Tricky viennent de lancer le collectif MentalTech pour promouvoir ces solutions et décloisonner le débat public.
Faire évoluer les pratiques
En réduisant les relations sociales, en favorisant l’isolement des personnes et en limitant les exutoires (sorties, vacances, sport), la pandémie a démultiplié les besoins en santé mentale. Ce qui a poussé certains entrepreneurs à investir ce domaine comme mindDay, créée en 2021, et des investisseurs à le financer. “On observe une émulation autour de la santé mentale au cours des dernières années. La France compte plus de 200 startups dans l’e-santé mentale, les levées de fonds dans le secteur ont été multipliées par deux entre 2020 et 2021” , confie le Dr Fanny Jacq, psychiatre, directrice santé mentale chez Qare et présidente du collectif MentalTech. Ce foisonnement de solutions pose néanmoins problème. “Nous avons beaucoup d’outils à notre disposition mais le secteur n’est pas assez structuré et organisé” , ce qui nuit à son efficience et à la mise en lumière des produits et services développés.
Pourtant, le numérique dispose de nombreux atouts pour lutter contre ces pathologies d’ordre psychologique, selon la psychiatre. “La psychiatrie n’a pas évolué depuis 70 ans. On consulte, le médecin pose un diagnostic et prescrit des médicaments. Le numérique permet de toucher beaucoup plus de personnes puisque les solutions sont disponibles 24h/24 et 7j/7” . C’est un outil qu’il faut surtout voir comme un complément à la pratique classique qui facilite la prévention mais aussi l’amorçage d’une prise en charge en déstigmatisant la psychiatrie. Les applications sont des outils particulièrement adaptés aux jeunes et qui favorisent leur anonymat. “C’est un premier pas pour aller plus loin” , estime la présidente du collectif.
Premier sujet : l'évangélisation
Avec ce collectif, les sept membres se sont donc fixés trois principales missions : décloisonner le débat public, démocratiser et accélérer les usages et renforcer la contribution économique de la filière. Si le sujet est sur la table des entreprises, il reste encore une longue route à parcourir pour donner toute sa place aux solutions numériques dans ce domaine, estime le collectif.
Ce dernier s’est fixé plusieurs missions parmi lesquelles la création d’une cartographie des sociétés existantes dans le secteur. Ce qui pose la question de la définition d’une startup dans la santé mentale. “Nous ne sommes pas là pour labelliser des sociétés, alerte le Dr Fanny Jacq. Il y a plein de bonnes applications, nous allons sélectionner les sociétés françaises, avec une équipe médicale derrière afin d’avoir un gage d’efficacité et d'éthique."
Des solutions existent déjà mais qu’en est-il de leur utilisation ? “Il y a un grand travail d’évangélisation à faire, reconnaît le Dr Fanny Jacq. Un des objectifs du collectif est de promouvoir leur usage auprès des soignants qui ne les utilisent pas par manque de connaissance et parfois crainte d'être remplacés” . D’où la création de contenus et de plaquettes qui viseront à informer les particuliers comme les professionnels sur les possibilités offertes par le numérique concernant la santé mentale.
Le gain financier
Pour faire entendre sa voix et sa vision, le collectif a un argument de taille : le portefeuille des institutions publiques et privées. En intégrant l’impact associé à la perte de qualité de vie pour les malades, les pathologies mentales engendreraient ainsi une perte de PIB estimée à 92 milliards d’euros (3,7% du PIB) pour la France et des pertes estimées à 25 milliards d’euros par an (1% du PIB) pour les entreprises, selon une étude menée par l'Institut Sapiens. Si on évalue cela à l’échelle d’un salarié, cela revient à 13 340 euros par salarié et par an.
Le collectif estime que le recours à des solutions numériques permettrait de faire des économies équivalentes à 15 milliards d’euros. De quoi motiver la sécurité sociale, les mutuelles et les institutionnels à prendre le sujet au sérieux. Car certaines solutions sont aujourd’hui proposées gratuitement, mais d’autres sont payantes. Démocratiser leur accès doit donc passer par leur remboursement par la sécurité sociale. Un débat que le collectif entend bien ouvrir en s'adressant à ces acteurs (mutuelles, Haute Autorité de Santé et gouvernement).
Le gouvernement doit lui aussi s’emparer du sujet. “Il faut décloisonner le débat public. La santé mentale est une urgence et doit être un chantier majeur du prochain quinquennat” , développe le Dr Fanny Jacq. Celle-ci reconnaît “une prise de conscience mais une difficulté [des institutions, ndlr] à agir rapidement contrairement aux startups, plus agiles” . La mise en place d’un chèque étudiant santé et du dispositif Mon Psy sont, en effet, un premier pas dans ce sens, mais qui ne doit pas s'arrêter là.