Face à l'essaimage des dark stores Cajoo, Flink, Gorillas, Getir dans leur territoire, certains élus commencent à taper du poing sur la table. Lyon fait partie des premières villes à avoir annoncé son refus de voir s'installer Flink, près de la place de l'Europe. Une décision qui, une fois n'est pas coutume, obtient la faveur d'élus de divers partis politiques : Pascal Blache, maire divers droite du VIe arrondissement, et de la majorité écologiste.
À Paris et à Rouen aussi, les élus dénoncent des risques de "fantômisation" des centres-villes, d’ubérisation des épiceries de quartier ou des difficultés de circulation engendrés par ces sociétés arrivées fin 2020 dans l'Hexagone. La menace est réelle pour ces sociétés qui multiplient les levées de fonds. "Si l’absence de rentabilité peut condamner un acteur à moyen ou long terme, l’impossibilité de mettre en place des centres logistiques de proximité éteint le business du jour au lendemain" , détaille le cabinet de conseil en retail Bascule dans son livre blanc consacré au quick commerce. Le droit, lui, laisse planer le doute sur les droits des deux parties.
Les dark stores sont dans une zone grise
Afin de comprendre si les collectivités territoriales et communes possèdent vraiment des outils juridiques pour contraindre ou rejeter l’installation de dark stores - comme elles ont pu le faire avec les trottinettes -, il faut se plonger dans le droit et plus précisément dans le code de l’urbanisme. L’article R151-27 décrit les destinations possibles pour une construction : exploitations agricoles et forestières, habitation, commerce et activités de service, équipement d’intérêt collectif et services publics et autres activités des secteurs secondaires ou tertiaires. La destination des constructions n'est pas anodine, puisqu’elle conditionne quels types de bien vont pouvoir être loués par les dark stores ainsi que le type de bail associé.
Encore récents, les dark stores ne sont pas pris en considération dans ce code. "Ils ont les mêmes activités qu’une entreprise, mais ils n'accueillent, en principe, pas de public" , souligne maître Laurent Schittenhelm. Faut-il alors les considérer comme des activités commerciales, de services ou des sociétés de stockage ? "Ces entreprises sont dans une zone grise qui engendre un flou" et peut nuire "au développement de leur croissance et aux emplois créés".
Le plan d’urbanisme au centre des débats
Le plan local d’urbanisme de Paris prévoit, par exemple, que les locaux ayant pour destination une activité commerciale ne peuvent pas "utiliser plus d’un tiers de leur surface de plancher total pour du stockage". Ce qui signifie concrètement que sur une surface de 100m2, pas plus de 33m2 peuvent être utilisés à cet escient. Une perte sèche pour les dark stores. Première solution à envisager : trouver des locaux destinés à du stockage, mais ceux-ci sont beaucoup plus rares en centre-ville. Une autre alternative consisterait alors à demander au bailleur de modifier la destination du local. Impossible à Paris, car "le PLU de Paris interdit de transformer des locaux à destination de commerce" , rétorque Laurent Schittenhelm.
L’ancienne capitale des Gaules a déjà utilisé l'arme qu'est le PLU contre Flink en décembre 2021. "Nous avons refusé l'implantation de ce dark store dans le VIe arrondissement avec une demande d'entrepôt non conforme au PLU-H. Nous ne voulons pas d'une ville d'entrepôts sans vitrines" , a affirmé Camille Augey, adjointe au maire chargée de l'Emploi, rapporte un article de Lyon Capitale.
Certaines villes pourraient être tentées de réviser leur PLU pour restreindre l’installation de ces dark stores et, pourquoi pas, empêcher leur installation dans certaines zones afin réguler leur nombre. "On ne change pas de PLU tous les quatre matins, pointe Laurent Schittenhelm. Une enquête publique est nécessaire, et il faut généralement compter au moins deux ans avant de pouvoir modifier un PLU." Les changements doivent être justifiés par des éléments tels que la proximité avec un hôpital, une école, un intérêt collectif ou des enjeux de sécurité.
Une réglementation à venir
Conscient de la montée en puissance du sujet, l’associé du cabinet Bryan Cave Leighton Paisner, plaide ainsi pour des échanges entre toutes les parties prenantes, soulignant que mettre fin aux activités des dark stores conduirait à des licenciements.
Une première solution, mise en avant par l'associé, serait de "mettre en place le click and collect dans ces lieux, ce qui ferait venir des clients en magasin, sur le même système que le drive". Autre voie à envisager pour ces acteurs : s’installer dans des entrepôts, en périphérie. Ce qui rendrait caduque la promesse d'une livraison en un temps record de 10 à 15 minutes. Reste à savoir si cette offre d’ultra-rapidité répond à un point de tension. Question qui ne doit pas cacher un autre enjeu pour ces startups : prouver leur rentabilité, à moyen ou long terme.