Cet article est republié à partir de The Conversation
En 2008, le constructeur automobile Tesla était au bord de la faillite et Elon Musk a dû investir dans l’entreprise les derniers fonds qu’il lui restait de Paypal pour la maintenir à flot. Aujourd’hui, Tesla est une entreprise, dont la valorisation a dépassé la barre des 1000 milliards de dollars fin 2021, réputée pour ses innovations disruptives et sa stratégie d’expansion agressive sur les marchés étrangers. La conviction de Musk quant à l’importance d’une plus grande prise de risque (considérée comme un facteur essentiel du succès de Tesla) pour atteindre ce succès est claire : " Il y a un énorme préjugé contre la prise de risque ".
Sa propension à une plus grande prise de risque se manifeste par son niveau ambitieux d’expansion internationale, ainsi que par sa tendance à faire des choix d’internationalisation plus risqués, comme la construction d’usines flambant neuves (par exemple, les Gigafactories de Shanghai et de Berlin), par opposition au simple achat d’une usine existante.
L’appétit de Musk pour le risque et le succès de Tesla constitue certainement une exception parmi les dirigeants. Mais son cas pose la question de l’existence d’un phénomène par lequel certains présidents-directeurs généraux (PDG) ont un appétit personnel pour le risque beaucoup plus ou moins grand qui se répercute ensuite sur les décisions de leurs entreprises. Dans notre récente recherche, publiée dans le Journal of International Business Studies, nous constatons que, sur un large échantillon de PDG et de leurs entreprises, le rapport au risque d’un dirigeant affecte de manière prévisible et significative les choix d’internationalisation de son entreprise.
Rapport risque/récompense
En général, nous savons que l’internationalisation se caractérise par des avantages évidents mais aussi par des risques évidents. En termes d’avantages, en pénétrant sur de nouveaux marchés, les entreprises augmentent leur clientèle, accèdent aux ressources naturelles, au capital humain, à l’expertise et au savoir-faire, ou profitent d’environnements commerciaux plus efficaces et moins coûteux.
Par exemple, les compagnies pétrolières et gazières savent depuis longtemps qu’elles s’installent là où se trouvent les réserves de pétrole et de gaz. Un autre exemple est celui du géant pétrolier d’État chinois CNOOC qui a cherché à acheter des entreprises énergétiques occidentales telles que les canadiens Nexen et Unocal pour avoir accès à une expertise précieuse. De même, l’iPhone, de conception californienne, est fabriqué en Chine. De tels exemples abondent autour de nous. En effet, le montant des investissements étrangers des multinationales est actuellement cinq fois supérieur à celui des années 1990. Le total a atteint près de 1000 milliards de dollars en 2020, après avoir même connu un pic à 2000 milliards en 2016 !
Cependant, les risques liés à l’expansion sur les marchés étrangers incluent l’animosité des clients à l’égard des produits étrangers, la méconnaissance des règles et réglementations relatives à la conduite des affaires, les restrictions potentielles imposées par les gouvernements étrangers ou encore la méconnaissance de la culture locale.
Dès lors, comment en savoir plus sur les mécanismes faisant pencher la balance du rapport risque/récompense pour les entreprises qui s’internationalisent ? Bien que la réponse comporte certainement de multiples facettes, nous suggérons qu’un facteur peu étudié est le goût du risque personnel du PDG. Certes, cette idée semble intuitive, mais il en existe étonnamment peu de preuves systématiques, la plupart des études antérieures se concentrant sur les caractéristiques de l’entreprise (par exemple, les ressources financières) ou les antécédents du dirigeant (par exemple, l’expérience antérieure de travail ou de vie à l’étranger). Nous supposons que l’une des raisons de cette situation est la difficulté d’obtenir une bonne mesure fiable des différences dans l’appétit personnel pour le risque des PDG.
Un reflet de choix personnels
Nous avons pour notre part tenté de surmonter cette difficulté en utilisant des données concernant la richesse et les choix d’investissement personnels de chaque PDG de notre échantillon en Norvège. Ces données sont collectées grâce à l’impôt sur la fortune personnelle, dans lequel les autorités fiscales recueillent des informations détaillées sur les actifs et les passifs de tous les contribuables. Nous mesurons ainsi la proportion de leurs actifs financiers qu’un PDG a investie dans des investissements plus risqués (par exemple, le marché boursier) par rapport à des investissements moins risqués (par exemple, déposer de l’argent à la banque ou l’investir dans des obligations). Nous utilisons cette mesure pour examiner ensuite dans quelle mesure elle peut prédire les choix d’internationalisation des entreprises, en termes de degré (degré), de lieu (localisation) et de manière (choix du mode d’entrée).
Nos résultats montrent clairement que les PDG ayant un plus grand appétit pour le risque auront tendance à orienter leurs entreprises vers des investissements étrangers plus importants. Ces PDG sont également plus susceptibles de faire en sorte que leurs entreprises se développent dans des lieux plus risqués, c’est-à-dire des pays plus éloignés culturellement, et choisissent également des modes d’entrée plus risqués, c’est-à-dire en acquérant des entreprises plutôt qu’en établissant une alliance avec elles.
Pour appuyer ces résultats, nous nous sommes également demandé si nous pouvions trouver d’autres preuves que ce constat reflète réellement l’effet du goût du risque d’un individu sur l’internationalisation de l’entreprise qu’il dirige. Nous avons donc ajouté une variable traduisant les différences de pouvoir du PDG dans l’entreprise (vis-à-vis du conseil d’administration). Ici, nous constatons que les relations mentionnées précédemment sont en effet particulièrement fortes lorsque le PDG est plus puissant, ce qui est cohérent avec notre intuition : c’est bien le PDG qui étend son appétit pour le risque aux choix d’investissements internationaux de l’entreprise, au-delà de ses choix d’investissement personnels.
Pour résumer, notre étude montre que, non seulement il existe des appétences au risque identifiables chez les PDG, mais aussi que ces différences sont conséquentes car les PDG cherchent à assurer une forme de cohérence entre leurs choix personnels et ceux des entreprises qu’ils dirigent.
En termes de recherches futures, notre base pourrait notamment servir à vérifier si ces choix d’internationalisation sont susceptibles d’entraîner une meilleure ou une moins bonne performance. De même, si notre étude s’est concentrée sur les décisions et les choix d’entrée dans l’internationalisation, qu’en est-il des sorties ? S’attendrait-on à ce qu’un PDG ayant un goût du risque relativement élevé reste plus longtemps ou quitte plus rapidement un lieu (pays) ou un mode d’entrée (alliance) d’internationalisation peu performant ? Enfin, de prochaines recherches pourraient examiner la pertinence des différences d’appétit pour le risque des PDG pour d’autres décisions stratégiques importantes, telles que la question, souvent débattue, du niveau d’endettement d’une entreprise.
Hamid Boustanifar, Professor of Finance, EDHEC Business School; Edward J. Zajac, James F. Beré Professor of Management and Organizations, Northwestern University et Flladina Zilja, Assistant Professor in International Business, Copenhagen Business School