L’évolution du secteur agricole est aussi souhaitable qu’elle est désirée. Alors que les pouvoirs publics investissent dans l’accompagnement des acteurs pour favoriser l’émergence de nouvelles solutions, la société civile est de plus en plus attentive à ce qui arrive dans son assiette, et de plus en plus concernée par l’ensemble de la chaîne de production agricole. Le monde de l’innovation est en première ligne de ce changement, avec de nombreuses startups qui offrent un lien entre technologie et agriculture.
Des investissements croissants dans l'AgriTech
Cette dynamique n’est pas l’apanage de l’Europe, les États-Unis et la Chine restant les deux plus gros investisseurs avec respectivement 11 et 4,2 milliards d’euros investis sur ce secteur en 2020, mais elle y est bien réelle. Sur le cumul des levées de fonds de l’ensemble du secteur agroalimentaire européen (2,4 milliards en 2020), la part de l’AgriTech est passée de 13% en 2019 à 33% en 2020, détrônant ainsi les services de livraison (21% contre 59% en 2019).
Les géants de la tech européenne ne s’y trompent pas et accompagnent vigoureusement la transition numérique de l’ensemble de la production agricole. SAP a par exemple, dans le prolongement de son programme d’accélération SAP.IO Foundry, hébergé en 2021 sa sixième cohorte de startups, dédiée entièrement à l’agribusiness. Pour Sébastien Gibier, directeur du SAP.IO Foundry Paris, cette dernière promotion de startups, alignée sur les enjeux du secteur, tombe à point nommé : " Chez SAP, l’AgriTech est une division à part entière, une ligne de produits spécifiques. Les startups de la cohorte 2021 enrichissent les solutions que nous proposons, pour couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur du secteur, du champ à la fourchette ".
La nécessaire optimisation de la chaîne de valeur
Comme la quasi-totalité de l’économie mondiale, l’agroalimentaire a subi de plein fouet la crise sanitaire. La chaîne d’approvisionnement a été mise sous tension mais elle a tenu bon. Elle a aussi montré ses limites, notamment du fait de la complexité des flux qui la composent et de leur hétérogénéité. " Les informations sur les produits sont de plus en plus riches, les acteurs de plus en plus nombreux et tous n’adoptent pas le même langage pour désigner un même produit par exemple. Le premier enjeu est donc la simplification des flux d’information ", estime Renaud Enjalbert, président et fondateur de Procsea. Cette solution, proposée clé-en-main à l’ensemble des composantes de la filière, de la petite exploitation à la centrale d’achat internationale, permet par exemple de répondre aux cahiers des charges de l'e-commerce ou de la grande distribution en facilitant l’intégration des produits à des systèmes d’information, sans aucun besoin de connaissance technique.
Parmi les autres startups membres de la cohorte SAP.IO Foundry 2021, trois autres agissent directement pour l’optimisation de la chaîne de valeur agricole. Sencrop, entreprise française spécialisée dans l’IoT, croise des informations ultra locales sur la météo ou la qualité des sols, et des données de production, grâce à des stations connectées. Ce faisant, elle offre à ses utilisateurs et utilisatrices un outil précieux d’aide à la décision.
Solution basée sur le Cloud, la startup Milk Moovement a quant à elle développé une intelligence artificielle capable d’améliorer l’ensemble de la chaîne logistique du secteur laitier. Présente pour le moment aux États-Unis, au Canada et en Australie, elle permet à l’ensemble des composantes de la chaîne d’approvisionnement d’optimiser le transport et donc de perfectionner la durabilité de chacun de ses maillons. Enfin, Agrora, startup allemande, rassemble l’ensemble des informations susceptibles d’influer sur le prix d’achat et de vente des produits. Disponible sur une seule et même plateforme, ces informations peuvent ensuite être utilisées par les entreprises ou exploitations, acheteuses comme vendeuses, pour formaliser des contrats et organiser en un seul et même endroit tout le processus transactionnel.
Des solutions qui rendent Renaud Enjalbert enthousiaste quant à l’avenir de la filière : " Je suis profondément convaincu que la filière agroalimentaire va réussir son virage technologique. Les industriels, politiques, agriculteurs, pêcheurs, logisticiens ont pris conscience du rôle fondamental du numérique et sont désormais autour de la même table pour trouver des solutions. Cette mobilisation va favoriser les innovations et stimuler la R&D ".
Contrôle qualité et traçabilité
Autres grands leviers d’innovations du secteur agricole : le contrôle qualité et la traçabilité des produits sont aussi des solutions sur lesquelles travaillent de nombreuses startups, partout dans le monde. Après une légère embellie en 2020, le niveau de confiance des Françaises et des Français pour le secteur agroalimentaire est retombé à 49%. Pas un hasard, selon Maxine Roper, co-fondatrice de Connecting Food, startup française spécialisée dans la transparence du secteur via la blockchain : " Les rappel-produits à répétition, les scandales alimentaires et l’opacité des chaînes agroalimentaires ont eu un effet néfaste sur l’image de cette industrie. Or, pour rétablir la confiance, la transparence est un facteur clé ", lors de l’ensemble du parcours du produit, depuis sa récolte jusqu’à l’assiette.
La blockchain permet notamment à Connecting Food de suivre ce parcours, tout en maintenant la confidentialité des informations et leur incorruptibilité. Même technologie mais autre usage chez Grain Chain. La startup américaine combine blockchain et IoT pour rassembler toutes les composantes nécessaires au suivi de la production agricole. Mais ce n’est pas la seule technologie utilisée par les startups qui s’intéressent au contrôle qualité et à la traçabilité du secteur agricole. Pendant que l’entreprise américaine Heavy Connect propose une application mobile intuitive pour collecter l’ensemble des données afin de faciliter les opérations sur le terrain, Clarifruit, startup israélienne, a développé une plateforme mobile (là encore), pour optimiser le contrôle qualité des fruits et légumes frais.
Plus qu’une révolution industrielle, c’est l’application de la technologie à un secteur qui en était jusqu’ici tenu à l’écart, qui présente à la fois une avancée considérable et une évolution indispensable pour l’agribusiness. " Les gagnants de demain, prédit Maxine Roper, seront les acteurs capables de s’adapter aux nouvelles réglementations et aux pressions des actionnaires et consommateurs, notamment en matière de transparence et de traçabilité ".