Cet article est republié à partir de The Conversation France
L’année 2021 aura été un grand cru pour les investisseurs sur le marché du vin fin. Le London International Vintners Exchange (Liv-ex), la principale plate-forme d’échange de vins créée au début des années 2000, a enregistré des niveaux d’échanges record et a même présenté aux investisseurs des niveaux de rentabilité supérieurs à des placements tel que l’or, ou le Dow Jones.
La progression s’avère en fait constante sur les deux dernières décennies. Elles ont vu les investisseurs accorder toujours plus d’intérêt à cet " or rouge " qu’ils considèrent comme des actifs financiers alternatifs précieux. Ils en apprécient les propriétés singulières qui permettent de diversifier le risque, tout en présentant des niveaux de rendements très intéressants.
Cependant, investir dans le vin fin ne reste pas sans risque, et comme partout ailleurs, les informations disponibles se révèlent essentielles. Dans nos travaux, nous avons tenté d’identifier lesquelles sont à considérer en priorité pour comprendre les prix, entre cycles macroéconomiques et incertitudes politiques.
Vigilance
Les vins fins sont actifs financiers très spécifiques. Leur matérialité, par exemple, les soumettent à des coûts de transport et d’entreposage, des assurances, mais aussi des taxes et procédures – notamment à l’export – qui n’existent pas dans le cas d’actifs immatériels. Il s’agit aussi de biens d’expérience, c’est-à-dire de bien dont on ne peut apprécier la qualité avant l’achat. Les asymétries d’information, parfois manipulées stratégiquement par divers intermédiaires, et l’hétérogénéité entre les produits exposent par conséquent les investisseurs à des risques spécifiques.
Comme pour d’autres biens de collections, il n’est ainsi guère étonnant que l’Autorité des marchés financiers (AMF) appelle régulièrement investisseurs et conseillers en placements financiers à la plus élémentaire des vigilances les concernant. Atypiques, ces actifs requièrent des connaissances spécifiques et des stratégies adaptées.
L’enjeu semble résider dans la capacité à améliorer suffisamment la prédictibilité des cours de façon à prendre des décisions d’investissement, ou de désinvestissement, aussi efficientes que possible. Or, les incertitudes s’avèrent de plus en plus fortes dans un monde où s’enchainent des événements géopolitiques majeurs, Brexit et mesures protectionnistes d’exception (venues, par exemple, des États-Unis comme de Russie) pour ne citer qu’eux. Les cycles économiques, comme les grands agrégats macroéconomiques, semblent, par ailleurs, largement bouleversés par les mesures de soutien à l’économie post-Covid.
Géopolitique de long terme
Pour comprendre l’amplitude et le sens de ces différents impacts économiques et politiques sur le prix des vins fins, nous avons mobilisé des indices de référence spécifiques au produit tels que les Fine Wine 50/100 (s’intéressant respectivement aux 50 et 100 références les plus recherchées sur le marché). Nous avons aussi regardé le composite leading indicator, fourni par l’OCDE pour appréhender les cycles économiques de chaque région, et l’indice de Baker qui mesure le niveau d’incertitude politique de trois places fortes du marché du vin fin : l’Europe, les USA et la Chine.
Notre modèle économique a pris soin de bien dissocier les impacts de court et de long terme. Les résultats montrent que, sur le court terme, le prix des vins fins est davantage influencé par les cycles économiques que par les incertitudes politiques. Autrement dit, la fluctuation plus prononcée des cycles économiques a un pouvoir explicatif significatif sur la volatilité des prix.
À long terme, en revanche, les prix s’avèrent bien plus sensibles aux incertitudes politiques, ce de façon plus nette sur les marchés occidentaux par rapport au marché chinois, ce dernier étant probablement jugé moins instable politiquement par les investisseurs.
Pour une réflexion d’ensemble de la filière
Ces résultats nous ont amenés à conclure, de manière générale, que les parties prenantes qui opèrent sur le marché secondaire devraient se doter d’outils de veille informationnelle et d’intelligence économique de pointe. Il s’agit de déceler rapidement les événements susceptibles d’altérer les indices d’incertitude, tout particulièrement quand les marchés occidentaux sont concernés.
Cependant, là où les short-runners, les agents spéculateurs, devraient se focaliser sur les informations relatives aux cycles économiques, les investisseurs de long terme devraient surtout s’intéresser aux événements et décisions politiques. Ce peut être le niveau de taxation ou les politiques monétaires qui pourraient avoir un impact déterminant sur la fixation des prix des vins fins.
Bien naturellement, ce marché implique bien plus d’acteurs que les seuls investisseurs. Des producteurs aux revendeurs, en passant par les intermédiaires et les grossistes, tous sont intéressés par une lecture prévisionnelle des prix, et ce de façon à leur permettre de mettre en œuvre des stratégies affinées, tant sur le marché primaire que sur le marché secondaire.
Nos résultats sauront entrer en résonnance avec leurs réflexions stratégiques du moment, en matière de sélection de marchés à l’export, d’adaptation des canaux de distribution, ou de gestion des stocks. Cela ne doit toutefois, en aucun cas, exonérer la filière viticole d’une réflexion d’ensemble sur les moyens de faire face à des maux structurels et une nouvelle concurrence mondiale féroce qui, sur le long terme, pourrait contester le leadership français sur les vins fins. Car la financiarisation croissante du marché en a largement bouleversé la structure, jadis essentiellement composée d’actionnaires issus de la filière vinicole.
Éric Le Fur, Professeur, INSEEC Grande École; Hachmi Ben Ameur, Directeur de recherche, Professeur, INSEEC Grande École et Julien Pillot, Enseignant-Chercheur en Economie (Inseec) / Pr. associé (U. Paris Saclay) / Chercheur associé (CNRS), INSEEC Grande École