Fabricant de clefs sécurisées pour conserver cryptomonnaies et NFT (objets numériques certifiés), l'entreprise tech française Ledger regarde avec envie l'engouement pour ces nouveaux actifs, utilisés dans la finance, l'art, le luxe et le divertissement, à l'image du succès de Sorare. "Il y a une lame de fond qui va aller vers une accélération exponentielle. (...) Les cinq prochaines années, c'est un milliard de personnes" , voire "plusieurs" , qui vont accéder aux cryptoactifs, affirme Pascal Gauthier, directeur général de l'entreprise, qui a levé 460 millions de dollars depuis sa création en 2011, et vaut désormais plus d'un milliard de dollars selon ses investisseurs.
À la fin du premier semestre 2021, 221 millions de personnes dans le monde détenaient des cryptomonnaies, un nombre qui a plus que doublé par rapport à janvier (106 millions), selon une étude de la Bourse spécialisée crypto.com. Le domaine des cryptoactifs se développe très rapidement, selon Pascal Gauthier, qui cite en exemple les "play-to-earn" , ces jeux vidéo qui permettent de gagner des cryptomonnaies et des NFT. Le géant français Ubisoft vient ainsi d'annoncer le lancement d'une plateforme de NFT, commercialisés en édition limitée à destination des joueurs PC.
Les portefeuilles sécurisés de Ledger, qui ressemblent à des clefs USB, stockent les clefs privées qui permettent à l'internaute d'avoir accès à ses cryptoactifs. Après un chiffre d'affaires "au niveau de 50 millions d'euros" en 2020, la société a enregistré une très forte croissance cette année, assure Pascal Gauthier, qui ne veut toutefois pas donner de chiffre précis.
"Le Web 2.0 nous a dépossédés de tout"
Créée il y a dix ans par Éric Larchevêque, Joel Pobeda, Nicolas Bacca et Thomas France, Ledger va compter 500 salariés d'ici la fin de l'année. Elle prévoit d'en employer 1300 dans un an et son patron voit grand pour l'avenir, faisant miroiter l'objectif d'une valorisation à 100 milliards de dollars d'ici cinq ans, après une année 2020 qui a engendré une réorganisation du management. Interrogé au printemps 2021 par Maddyness, Pascal Gauthier éludait la question d'une introduction en Bourse : " On garde toutes les options sur la table ", préférant temporiser : " pour l’instant chaque chose en son temps ".
Après s’être tournée vers le BtoB, l’entreprise a connu un tournant majeur avec l’effacement de son emblématique co-fondateur Éric Larchevêque qui a cédé sa place de CEO à Pascal Gauthier. Ian Rogers, ancien cadre d’Apple, quittait LVMH pour rejoindre la scaleup en tant que responsable de l’expérience client. Des changements qui se sont avérés payants, du moins aux yeux des investisseurs.
Ledger veut mettre ses portefeuilles sécurisés et l'application qui va avec au coeur de tout un écosystème de services, avec le renfort de multiples développeurs d'applications venant se greffer sur sa plateforme. Elle développe son propre OS et promet d’intégrer " de nouveaux services tiers " grâce à cela. Autant de fonctionnalités qui doivent faire entrer la scaleup dans la cour des grands, alors qu’elle revendique déjà la sécurisation de 15% des cryptoactifs mondiaux.
Ledger voit plus grand : il s'agit pour l'entreprise de ni plus ni moins construire le Web 3.0, où les internautes ne se contentent plus d'échanger de l'information, comme dans le Web 2.0, mais font aussi circuler directement de la valeur. "Le Web 2.0 nous a dépossédés de tout : nous ne sommes rien en ligne, nous ne sommes qu'un produit de Google ou de Facebook... Nous donnons tout à ces sociétés qui contrôlent notre être numérique" , dénonce Pascal Gauthier. Dans le Web 3.0, "je possède tout, je peux avoir par exemple mon argent et mes données de santé" sur un portefeuille sécurisé, explique-t-il. "Quand je suis chez le médecin, je lui ouvre l'accès à mes données de santé" avec le portefeuille sécurisé, "et quand il n'en a plus besoin, je lui coupe l'accès" , illustre-t-il.
Ledger n'est toutefois pas à l'abri d'un retournement du marché : en 2019, après l'éclatement d'une bulle du bitcoin - passé en quelques mois de 20 000 dollars à un peu plus de 3000 dollars - le chiffre d'affaires de l'entreprise avait été divisé par deux, à 19 millions d'euros. Mais Pascal Gauthier ne croit pas à un nouveau retournement d'ampleur du marché des cryptoactifs. "Je pense que les marchés vont monter pendant 20 ans" , prédit-il.
Maddyness avec AFP