" Depuis 2019, on assiste à une série de clashs démocratiques -Brexit, manifestations à Hong-Kong, gilets jaunes, augmentation des populismes en Europe de l’Est…- sans se demander où se trouvent les racines de ces contestations, déplore Erik de Boisgrollier, fondateur de la startup TodayIvote. En réfléchissant à notre modèle, j’ai réalisé que le schéma législatif ne convoquait l’opinion des citoyens qu’une fois tous les cinq ans, qui n’ont donc l’occasion de s’exprimer civiquement que 16 fois dans leur vie pour les centenaires. Leurs seules participations au débat public viennent donc de la protestation, du vote contestataire ou de l’abstention ".
Partant du constat que la frustration des citoyens pouvait naître du manque de leviers et espaces d’expression, l’entrepreneur a vu une opportunité à construire dans le champ des CivicTech. " Les populations ont aujourd’hui adopté les codes du numérique, elles ont aussi pris l’habitude de prendre position en ligne sur de nombreux sujets, que ce soit par une étoile sur TripAdvisor ou via un like sur Facebook ", analyse Erik de Boisgrollier. Pour combler ce " défaut d’offre démocratique " et éviter que les citoyens " soient laissés, livrés à des avis clivants sur les réseaux sociaux ", il a donc eu l’idée de créer NosLois, une application qui crée une passerelle, un nouveau contact régulier avec les parlementaires.
Accompagné par l’incubateur de Sciences Po et les chercheurs du CEVIPOF (centre de recherches politiques de la même école), il a lancé son outil en avril 2021. " L’idée est de permettre aux citoyen actuels de s’informer et de s’impliquer de manière plus régulière sans leur demander des efforts surhumains ", résume l’ingénieur. Nul besoin d’être passionné de politique pour utiliser cette application. Elle demande à chaque utilisateur et utilisatrice ses centres d’intérêt ainsi que sa catégorie socio-professionnelle pour l’orienter vers des contenus ciblés. " On utilise de l’information factuelle, à travers les résumés et suivis des textes de lois pour informer les citoyens sur les thèmes qui les intéressent -santé, énergie, transports…- ; on ne leur demande pas de s’intéresser à la politique, mais à eux ", précise-t-il.
Les utilisateurs et utilisatrices peuvent aussi voter en ligne pour ou contre chaque projet de loi, permettant ainsi à l’application de collecter des données qui puissent servir aux parlementaires eux-mêmes. C’est d’ailleurs sur ces derniers que repose le modèle économique de la startup : totalement gratuite pour les citoyens, l’application fait payer un abonnement aux députés et sénateurs qui souhaitent bénéficier de cet outil. " Nous ne voulions pas que notre source de revenus passe par la monétisation des données, pour ne pas perdre notre volonté d’agir en véritable tiers de confiance pour les citoyens ", insiste son fondateur.
" Moderation by design "
En créant un compte officiel, les parlementaires peuvent fournir des explications de vote, publier leur avis à chaque étape du processus législatif et solliciter du contenu qualitatif en soumettant au vote des questions ciblées dans leur circonscription. Ces derniers reçoivent aussi des alertes sur les textes qui gagnent en importance auprès des citoyens inscrits sur l’application.
Mais comment modérer une plateforme sur laquelle les excès peuvent très vite arriver ? " Nous avons fait le choix d’une sorte de ‘moderation by design’, un espace où l’interaction reste faible, répond le cofondateur de NosLois. Notre application n’autorise pas les commentaires, mais recréé le même climat que celui dans lequel se trouver le citoyen quand il vote ". Un bouton permet seulement de se positionner en faveur ou contre une proposition de loi, de manière anonyme et protégée, pour favoriser la modération et éviter aux parlementaires de recevoir " une avalanche de commentaires qui ne sont pas traitables ".
Interaction faible et engagement régulier
L’application revendique aujourd’hui plusieurs milliers d’utilisateurs citoyens et citoyennes et une quarantaine de députés inscrits. " Dans le monde politique, on s’inscrit dans une troisième génération de CivicTech, affirme Erik de Boisgrollier. La première reposait sur les " watchdog ", des outils chiens de garde qui permettaient de souligner quand un parlementaire ne faisait pas son job par exemple. La deuxième, plus axée sur la consultation, misait sur l’intelligence collective, notamment pendant la période du Grand Débat… Mais ça a créé des machines à frustration pour les personnes dont les idées n’étaient pas prises en compte. Finalement, nous sommes dans une nouvelle génération, dans laquelle l’interaction est plutôt faible, mais l’engagement régulier, pour permettre de contribuer aux tendances et de chiffrer les impressions ".
L’originalité de la solution ? " Elle rassemble les deux parties, explique son concepteur. Contrairement à nos concurrents qui prennent le parti de la parole citoyenne ou de la parole politique, notre système réunit une communication du bas vers le haut et inversement ".
La campagne présidentielle, pendant laquelle l’activité parlementaire est plus calme, va permettre à la startup d’affuter ses outils et d’améliorer l’application. " On se prépare déjà pour la reprise parlementaire après les élections, se projète Erik de Boisgrollier. Si, au moment des élections, la grand-messe est servie, les citoyens ne sont plus du tout bichonnés en dehors de ces temps électoraux… Et on sera là pour leur permettre de donner leur avis quand ils se sentiront de nouveau laissés pour compte ".