Article initialement publié le 30 novembre 2021
Ce n’est plus en tant qu’homme politique, mais en représentant de la société civile que Benoît Hamon arpentait les salles du Ministère de l’Économie et des Finances ce 29 novembre. À l’occasion du 1er Sommet de l’Inclusion économique, organisé par la Fondation Mozaïk, l'ancien ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire et à la Consommation est venu chercher de nouveaux partenaires pour Singa, une ONG dont il a pris la tête en septembre. Cette dernière a pour but de créer du lien entre personnes réfugiées et communautés d’accueil, via l’innovation et l’entrepreneuriat. Le candidat PS à l’élection présidentielle de 2017 revient pour Maddyness sur sa nouvelle mission et les enjeux pour la société et les entreprises des sujets d’immigration, d’inclusion et de diversité.
En septembre, vous annonciez quitter la vie politique pour prendre la tête de l’association Singa. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Benoît Hamon : L’action de Singa se situe sur une des lignes de crête des sociétés occidentales. Sur les questions d’immigration, on peut basculer très vite dans une forme de barbarie, de négation de l’humanité de personnes qui, au motif d’être sur le chemin de l’exil, disparaissent à nos yeux dans des statistiques, qui n’ont plus ni visage, ni identité, ni passé, ni futur.
Il me semble que cette radicalisation des résistances aux migrations justifient aujourd’hui que ce combat pour l’inclusion soit mené. Qu’il le soit avec un objectif : faciliter la création d’activité économique, mais aussi essayer de changer les représentations négatives des migrations qui sont celles qui dominent aujourd’hui le débat politique. C’est la raison pour laquelle j’ai rejoint Singa.
À l’aube de l’élection présidentielle, le sujet de l’immigration est au coeur des débats, mais il est souvent abordé comme un problème plutôt qu’une manne d’opportunités. Comment repenser le débat public autour de l’asile?
La parole sur l’immigration et la prise de position en faveur de l’inclusion est moins audible sur le plan électoral parce que c’est considéré comme risqué de se positionner là-dessus. Je n’ai jamais calculé les choses comme ça. Quand on regarde une personne migrante, on pense " c’est un problème, elle ne parle pas français ". On ne se dit pas " c’est une chance, elle parle trois langues et trois dialectes! ". Une approche interculturelle peut être une chance pour le pays d’accueil. C’est la manière dont on voit les choses chez Singa, sans tomber dans la naïveté ou une forme d’angélisme stupide.
On veut regarder, derrière chaque personne, les opportunités qui existent pour elles, mais pour nous aussi par réciprocité. C’est en effet un état d’esprit totalement différent de ceux qui ne parlent que de grand remplacement et d’invasion…
Est-ce que les démarches citoyennes et associatives ont finalement plus d’impact que l’action politique selon vous?
Toutes les actions peuvent se compléter. Je ne sais pas si ces initiatives ont plus d’impact que la politique, mais il est certain qu’elles en auraient davantage si le champ politique créait un écosystème favorable à ces actions et s’il s’alliait avec les acteurs privés ou de la société civile pour s’engager vraiment. À mon sens, il ne faut pas opposer les acteurs. Mais, quand l’acteur gouvernemental, politique, se rallie à l’idée que les migrations sont un problème, il ne joue pas franc-jeu, et il est bon que la société civile le lui rappelle.
Ce Sommet de l'Inclusion économique réunit surtout un autre type d’acteurs : les entreprises privées. Entre la sphère politique et la société civile, quel est le champ d’action de ces acteurs en termes d’inclusion et de diversité ?
Les entreprises peuvent avoir un vrai impact en diversifiant leurs recrutements, en ayant elles-mêmes une approche inclusive sur plusieurs questions : la diversité culturelle, l’intégration de personnes réfugiées, l’inclusion à l’égard des personnes LGBT, l’égalité femmes-hommes, le handicap… Il y a plein de manières de construire l’empreinte d’une société inclusive. Beaucoup d'entreprises ont compris que c’était un réel atout de performance que d’être multiculturelles et diverses.
J’ai rejoint Singa pour changer les représentations négatives des migrations qui dominent le débat politique
Je crois que les acteurs non gouvernementaux jouent aussi un rôle important et que les alliances entre ces différentes entités peuvent aider à faire bouger les acteurs publics. Les entreprises peuvent par exemple aider les associations à créer des incubateurs et favoriser la création de nouvelles entreprises. Certains secteurs sont en pénurie de main d’oeuvre : on peut résoudre le problème par davantage de formations de personnes demandeuses d’emploi dans ces secteurs, mais aussi en favorisant la création d’incubateurs thématiques qui, dans notre cas par exemple, nous aideraient à multiplier les créations d’entreprises dans les secteurs du bâtiment, de l’industrie, de la restauration… et donc de créer des emplois. On peut imaginer ce type de partenariats chez Singa.
Vous prônez l’innovation et l’entrepreneuriat comme des vecteurs d’inclusion et de diversité. Cela n’est-il pas paradoxal dans un écosystème tech français qui cultive un entre-soi, aux profils peu divers?
Je pense d’abord qu’il faut faire des preuves, ce n’est pas un discours moral sur le bien et le mal qui règlera le problème. 44% des entreprises technologiques anglaises et allemandes sont créées par des personnes migrantes. C’est aujourd’hui le langage de la preuve qui nous permettra de faire le plus de chemin. Pour convaincre, le discours culpabilisant s’est révélé jusqu’ici inefficace, donc il faut en changer.
Avec Singa, on essaie de récolter de la donnée, des chiffres, des exemples qui illustrent combien une stratégie d’ONG, qui est loin d’avoir les moyens des structures publiques, est efficace et change les perceptions des personnes sur les migrations. Une personne réfugiée, syrienne, qui ouvre une boulangerie dans un territoire désertifié, fera changer le regard sur les Syriens et les migrations.
Pour parler d’inclusion et de diversité, de nombreux acteurs politiques mettent en avant la notion de méritocratie. Pourtant, des sociologues s’inquiètent de l’usage de ce concept, un "mythe" qui contribuerait finalement à perpétuer certaines inégalités. Croyez-vous en la méritocratie ou faut-il déplacer le discours selon vous ?
C’est un mythe, les dés sont pipés ! Ceux qui ont du réseau n’ont pas besoin d’être très méritants pour réussir et ceux qui n’ont pas de réseau, même s’ils sont très méritants, ne réussissent pas. Les statistiques des discriminations à l’embauche, au logement, aux loisirs, sont la démonstration que ce système méritocratique ne marche pas, et que ceux qui le défendent veulent en fait maintenir leurs privilèges, contrairement à ce qu’ils disent.
À diplôme égal, selon l’endroit d’où on parle, son nom ou sa religion, on n’a pas du tout les mêmes chances d’intégrer une entreprise, d’avoir un logement ou d’entrer dans une boite de nuit. Aujourd’hui, le discours méritocratique est le prétexte d’un discours qui veut surtout maintenir l’ordre en place, ne rien toucher aux prétendues vertus du système républicain. J’aime la République, mais elle est en échec aujourd’hui sur sa mission fondamentale : l’égalité. Le discours méritocratique est très paresseux.
Vincent Bolloré met son argent au service d’une déstabilisation de la démocratie et d’une déshumanisation des personnes migrantes.
Comme une tendance qui les rattrape, les dirigeants d’entreprise multiplient les prises de parole en faveur de l’inclusion. Mais comment faire en sorte de dépasser les intentions ?
Je ne suis pas si sûr que les dirigeants assument tous d’être inclusifs… J’en vois encore aujourd’hui, et pas des moindres, subventionner et financer une entreprise de déshumanisation et de diabolisation des étrangers et des migrations. Vincent Bolloré met son argent au service d’une déstabilisation de la démocratie et d’une déshumanisation des personnes migrantes. Je pense que, dans certains milieux, il y a effectivement une vraie prise de conscience de dirigeants qui, parce qu’ils ont eux mêmes une approche interculturelle de l’organisation de leur entreprise, croient en cela. Mais j’en vois d’autres qui assument de ne pas en être et mettent leur argent dans le financement d’une vision totalement rabougrie et excluante de la France.
Le sujet de l’inclusion et de la diversité est très peu abordé par les candidats à l’élection présidentielle cette année face au thème de la sécurité par exemple. La France saura-t-elle un jour se saisir de ces sujets ?
Il y a un paradoxe. L’Allemagne est le pays qui accueille le plus de réfugiés syriens à l’échelle européenne, et pourtant le débat sur l’immigration n’en est pas un aux législatives. Le pays a mis les moyens dans l’organisation de l’inclusion, comme l’apprentissage de la langue par exemple, et le sujet des migrations est très largement retranché derrière les questions d’éducation et de croissance. Ce sont en fait les pays qui en font le moins qui se retrouvent dans une forme d’obsession pour le sujet.
Les chiffres de l’OCDE sont cruels pour la France : ils montrent que nous sommes beaucoup moins inclusifs que nos voisins, notamment sur la part des entreprises créées par des personnes migrantes, alors que ce sont des personnes qui sont plus encouragées à créer leur société parce qu’elles sont confrontées aux discriminations à l’embauche… On a un vrai problème qui n’est pas seulement une question de dispositifs, de politique publique, mais un problème culturel.
J’aime la République, mais elle est en échec aujourd’hui sur sa mission fondamentale : l’égalité.
Il y a aujourd’hui une crispation culturelle en France sur la question des migrations, une histoire coloniale qui ne passe pas, et une génération de gens, plutôt masculins et blancs, qui estiment que leurs pouvoirs et leurs privilèges sont remis en cause… Ce sont les mêmes qui se sentent agressés à la fois par les mouvements féministes, écologiques, mais aussi par les personnes qui interrogent la réalité des discriminations et du racisme jusque dans les administrations, comme la police… Tout ça met en cause ceux qui, sans méconnaître ces sujets, vivaient bien avec puisqu’ils n’en étaient pas les victimes. Aujourd’hui, leur responsabilité est interrogée, ce qui provoque cette crispation qui se reflète assez bien sur les plateaux TV. Mais c’est intéressant, parce que ça prouve que la société bouillonne, revendique et met le doigt là où ça fait mal.
Vous arrivez donc à rester optimiste ?
Oui, mais il faut travailler pour ça, être dans l’action, et c’est ce qu’on fait. Mais, comme c’est encore trop souvent le cas avec le greenwahsing, faisons attention à ce que les acteurs publics et privés ne tombent pas cette fois dans l’inclusive washing.