Qui aurait pu penser il y a presque deux ans maintenant que 9 millions de Français et de Françaises deviendraient des télétravailleurs à temps complet en un claquement de doigts ? Aujourd’hui, cette réalité qui a été la nôtre pendant quasiment dix-huit mois, s'efface petit à petit. Mais les acquis réalisés par les salariés pendant cette période seront plus complexes à estomper. Bruno Mettling, ex-DRH d’Orange, revient pour Maddyness sur cette période de rentrée qui sonne le temps d’un télétravail plus structuré.
Au cours des derniers mois, la manière de travailler de millions de salariés a été transformée. Cette période laissera-t-elle des traces d’ici 5 ou 10 ans ?
J’ai la conviction très forte que nous sommes engagés dans une profonde mutation du travail, une transformation qui est numérique. J’ai conduit il y a 5 ans avec les partenaires sociaux une concertation nationale sur cette question et nous avions conclu que la transformation numérique du travail est une formidable opportunité mais elle comporte des risques qu’il faut adresser avec exigence. Le télétravail en est un bon exemple. La pandémie a simplement accéléré le recours au télétravail et nous avons basculé massivement en mode télétravail. Mais le télétravail à 100% n’est pas une bonne idée, et porte un risque majeur. L’entreprise comme le salarié ont besoin de collectif. Le modèle d’avenir est celui du travail hybride.
Est-ce que certaines typologies d’entreprises sont plus en avance que d’autres sur cette question ?
Les startups sont nativement dans une logique d’agilité, les autres entreprises devraient s’en inspirer mais c’est difficile. En réalité, je ne pense pas que les grandes entreprises puissent basculer en mode startup. On le voit très bien dans la Silicon Valley : les GAFAM ont fait marche arrière et demandent à leurs salariés de revenir au bureau car ils estiment qu’il y a une perte d’efficacité avec ce dernier modèle.
Les startups, de leur côté, doivent faire face à un autre enjeu : garder ce temps d’avance qui les caractérise, innover en permanence. Elles doivent répondre à l’enjeu de ce qui préfigure le travail de demain. Dans ce modèle du futur du travail, la relation entreprise/salarié se modifie et ne se structure plus autour d’une obligation de moyens garantis par la présence au bureau mais autour de la livraison d’une prestation. On serait tenté de dire que peu importe la manière dont on s’organise dès lors que la mission est remplie.
Cette vision va forcément transformer la manière de travailler dans les entreprises traditionnelles avec un effacement du besoin d’être présent au bureau de telle heure à telle heure. Ce qui sera important, ce sera le pilotage par le travail effectué, pas par le présentéisme. Il faut que les choses se fassent progressivement.
Après avoir goûté le télétravail, une part importante des salariés ne souhaitent pas un retour au bureau à temps complet. Comment les entreprises doivent-elles appréhender cette question pour répondre aux attentes de tous sans laisser sur le côté certains de leurs collaborateurs ?
Chacun a sa part de responsabilité. L’objectif est de définir le télétravail de manière non normative. L’an dernier, un accord national interprofessionnel, impulsé par le gouvernement, a été pris. Mais c’est au niveau des entreprises que la question doit être abordée pour que le déploiement du télétravail soit un succès. Il faut aussi rappeler que le télétravail n’est ni un droit ni une obligation, c’est un mode de travail, une nouvelle organisation du travail.
L’enjeu actuel pour les entreprises est de réussir à passer du télétravail contraint au télétravail organisé. Il faut réussir à définir et à équilibrer ces nouvelles façons de travailler, cela passe entre autre par la formation des managers et l’adaptation des espaces de travail. Instaurer ce télétravail organisé requiert de la concertation, c’est un véritable contrat d’équipe à l’intérieur d’un cadre global qui fixe les grandes règles, il faut de l’agilité, de la souplesse pour définir le comment on fonctionne en télétravail au sein de l’équipe.
Il faut aider les managers à définir les règles qui permettent au collectif de travailler avec la même fluidité lorsqu’ils sont en présentiel ou lorsqu’ils travaillent à distance. La pandémie a montré que les petits chefs qui veulent tout contrôler et demandent des reporting permanents se sont montré encore plus nocifs en télétravail. Les managers qui s’en sont le mieux sortis sont ceux qui ont accordé leur confiance à leurs équipes et les ont laissées travailler en autonomie. La confiance l’autonomie sont les clés du télétravail.
Être un bon manager ne s’apprend clairement pas dans des livres mais il existe des formations avec des mises en situation. Il faut à la fois former individuellement aux basiques du management et accompagner l’équipe en parallèle sur les règles de fonctionnement interne. Toute la ligne managériale - au-dessus du manager - doit être alignée également. Si elle est dans le contrôle, cela ne sert à rien.