Republication d'un article publié le 20 juillet 2021
Traduction d’un article paru sur Maddyness UK.
Une enquête d’ITV News a révélé fin juin 2021 qu’Amazon détruisait en masse ses invendus et les produits qui lui sont retournés par ses clients, tels que des ordinateurs portables, casques audio ou téléviseurs. Selon l’un de ses anciens employés, le géant du commerce en ligne se sert d’un de ses 24 sites britanniques comme d’une décharge où sont envoyés jusqu’à 200 000 objets par semaine. Des images filmées en caméra cachée au sein de l’usine de Dunfermline laissent entrevoir des fils, rallonges électriques ou autres rasoirs dans des piles de déchets électroniques entreposées dans une “zone de destruction”.
Bien qu’Amazon affirme avoir le zéro gaspillage pour objectif, ce qui implique de n’envoyer aucun produit à la décharge au sein du Royaume-Uni, l’enquête d’ITV raconte tout autre chose. Philip Dunne, le président du comité spécial de l’audit environnemental, a indiqué que "si cela devait s’avérer, ce serait un scandale auquel Amazon se doit de répondre au plus vite" . D’après lui, la multinationale américaine s’est présentée devant le comité en 2020 pour louer ses actions en matière de durabilité. Le comportement qu’adopte le géant de l’e-commerce prouve qu’un décalage existe entre les relations publiques et les progrès réels des Big Tech. Cela dit, Amazon n’est pas dans l’illégalité. L’entreprise met en avant le fait que le Royaume-Uni doit renforcer les restrictions prévues en matière de déchets électroniques. Autrement dit : si cela devait ne pas être le cas, la situation perdurerait.
La motivation des géants à s’auto-réguler sur ces problématiques fait clairement défaut. Un porte-parole du Premier ministre britannique, Boris Johnson, a indiqué que l’exécutif "réfléchit à la manière dont on pourrait reconditionner ou recycler les biens électroniques".
De quelles mesures parle-t-on ?
Une stratégie en faveur de déchets électroniques durables doit prendre en considération les différentes étapes du cycle de vie des appareils – de la fabrication à la destruction en passant par la réparation. Elle devra ainsi aller à l’encontre de l’approche qui a jusqu’ici prévalu et qui consiste à laisser les grands groupes procéder de la manière qu’il souhaite. Une première série de mesures, annoncée au mois de mars 2021, a été bien accueillie par l’opinion. Un projet de loi visant à instaurer un "droit à la réparation" , proposé par le gouvernement britannique, a été salué, tout comme d’autres dispositions pour lutter contre l’obsolescence programmée – qui consiste, pour une entreprise, à réduire ou brider la durée de vie des appareils électroniques. Mais, alors que l’ampleur du phénomène se fait connaître, il sera nécessaire d’aller au-delà. Ces derniers mois, Maddyness a discuté avec des experts pour déterminer quelles seront les conséquences des mesures prises au Royaume-Uni.
Ugo Vallauri, co-fondateur de l’entreprise The Restart Project, et spécialiste de la durabilité des appareils électroniques, juge que les géants du numérique ne s’auto-réguleront pas de sitôt. "Nous avons sondé des personnes qui fréquentent des ‘repair cafés’ [des ateliers de réparation d’objets, N.D.L.R.], leur demandant quelles barrières se dressaient devant eux lorsqu’il s’agissait d’étendre la durée de vie des appareils. On nous a répondu qu’Apple colle et soude des éléments de ses ordinateurs, ce qui rend ces derniers difficiles à réparer. Et, par ailleurs, faire appel à l’entreprise elle-même pour réparer un produit coûte très cher, explique-t-il. Cette tendance va à l’encontre d’une tradition de longue date de l’ingénierie britannique et doit cesser."
Material Focus voit quelques éléments positifs depuis l’entrée en vigueur des premières restrictions – mineures – imposées aux fabricants. Quand The Restart Project enseigne au public la manière dont il peut réparer ses anciens appareils, Material Focus cherche à multiplier et diversifier les points de recyclage accessibles aux consommateurs. "Jusqu’ici, la campagne de collecte est financée par les fabricants d’électronique, pointe Kate Hinton, sa dirigeante. Le gouvernement britannique fixe annuellement des objectifs en matière de recyclage des déchets électroniques, y compris ceux de petite taille. Si les fabricants ne les atteignent pas, ils doivent verser davantage à un fonds qui finance diverses activités, à l’image de campagnes de communication ou d’ateliers de sensibilisation pour augmenter le nombre de points de collecte ainsi que la recherche technique."
Au demeurant, il n’est pas possible d’attendre des merveilles lorsque les mastodontes ne jouent pas le jeu. Ugo Vallauri se dit déçu de l’annonce gouvernementale du mois de mars : "Cela ne représente qu’un petit pas comparativement à l’ampleur du changement que nous attendons." Il appelle à instaurer un véritable droit à la réparation dans le pays.
Une opération de communication
Et l’entrepreneur de poursuivre : "Ce qui se passe au Royaume-Uni a été présenté comme un grand pas en avant. La réalité est que le pays a approuvé, en 2018 alors qu’il était membre de l’Union européenne, un package de réglementations en matière d’éco-design. Cela inclut les lave-vaisselles et lave-linges, des frigidaires et des écrans, notamment des téléviseurs. Tout cela est entré en vigueur en Europe le 1er mars 2021. Le Royaume-Uni se contente ici de reprendre la législation européenne déjà approuvée pour l’appliquer sur son territoire. Finalement, cette mesure n’apporte rien de nouveau… et intervient quelques mois après qu’elle soit entrée en vigueur dans le reste de l’Europe."
Si l’on est minutieux, on remarque d’ailleurs que les règles au sujet des pièces détachées et de l’efficacité énergétique ne s’appliquent qu’à quelques catégories de produits. Les tablettes, smartphones et ordinateurs ne sont pas concernés, tout comme les appareils déjà en circulation. Les pièces détachées et manuels de réparation qui sont disponibles ne seront accessibles qu’aux seuls professionnels. "Officiellement, les particuliers pourraient y avoir accès si un fabricant décide de les rendre publics, appuie Ugo Vallauri. Mais la législation ne le leur impose pas."
Il y a toutefois quelques avancées, comme le nombre d’années – même après que le produit soit retiré du marché – durant lequel les pièces détachées doivent être disponibles. Bien sûr, il faut se réjouir du fait que le Royaume-Uni et le reste de l’Europe commencent à prendre les déchets électroniques au sérieux. Il s’agit tout de même du flux qui grossit le plus vite à travers le monde. En France, les choses ont accéléré avec l’instauration d’un index de réparabilité : un système de notation visant à informer les consommateurs quant à la facilité de réparer un produit, en amont de l’achat. "Nous pensons que c’est une très bonne initiative, relève Ugo Vallauri. Ce n’est pas parfait, mais cela incite les fabricants à la transparence. En général, cela permet d’engager une discussion et donc de déboucher sur un changement. On ne débat plus du fait de savoir si instaurer un index de réparabilité est possible, mais plutôt de ce qu’il faut mettre en place pour le rendre plus efficace."
Un véritable droit à la réparation
Alors que le Royaume-Uni a quitté l’Union européenne, il devrait faire davantage de son côté pour ne pas se reposer sur ses lauriers. Les Britanniques sont nombreux à appeler de leurs vœux une stratégie de gestion des déchets électroniques ambitieuse. Pour y arriver, il faudra trouver un équilibre entre "rendre la réparation des appareils électroniques plus facile et moins chère, ainsi qu’assurer la sécurité et la santé des consommateurs, tout en préservant les intérêts des fabricants" , selon un porte-parole du comité spécial de l’audit environnemental. À la fin du cycle de vie d’un produit, "il doit y avoir un chemin très bien défini, avec différentes étapes, afin de montrer quand et comment les centres de traitement doivent améliorer leurs processus. Il est question de capter le plus d’appareils possible et d’en retirer les produits chimiques toxiques."
Ugo Vallauri a toute une série de conseils. Il estime que les pièces détachées, manuels de réparation et mises à jour logicielles devraient être accessibles à tous et non pas qu’aux professionnels. Mais "un élément clé n’est pas pris en compte dans les réglementations actuelles, à savoir l’accessibilité tarifaire de la réparation". Le prix est, autant que la facilité d’accès, peut faire pencher la balance. Beaucoup de personnes ne considèrent pas la réparation du fait du coût prohibitif des pièces détachées. D’après le comité spécial de l’audit environnemental, un grand obstacle aux bonnes pratiques réside dans le fait que "remplacer de petits appareils par du neuf se révèle plus intéressant et pratique que de les réparer" , au-delà des "préférences et attitudes des consommateurs qui n’aident pas".
Malgré ce que l’on pourrait penser, l’avènement de l’économie circulaire reste trop lent en matière d’électronique. Des progrès ont été réalisés, mais rien ne permet de déterminer la date à laquelle un véritable système de réparabilité sera institué. "Il y a eu beaucoup trop d’optimisme, même dans la manière dont les médias généralistes ont couvert le sujet du droit à la réparabilité au sein du Royaume-Uni, explique Ugo Vallauri, dont l’entreprise a lancé une pétition en faveur d’un projet qui ferait passer les gens et la planète avant les manœuvres politiciennes. C’est très important de comprendre que la réalité vécue par les gens sur le terrain n’est pas prête de changer."
Cet article constitue la deuxième partie de The Repairability Report, une série en quatre épisodes réalisée par les rédactions française et britannique de Maddyness au sujet de l’enjeu grandissant concernant les déchets électroniques. Après avoir commencé à la fin du cycle de vie des produits, nous nous pencherons bientôt sur son début. Nous éplucherons les nouvelles politiques menées en la matière en France et au Royaume-Uni, ainsi que la manière dont nous pouvons encourager les Big Tech à prendre leurs responsabilités.