Republication du 14 juin 2021
"Il existe beaucoup de fantasmes sur les salaires de ses collègues et managers en entreprise, remarque Romain Kuzniak, CTO d’OpenClassrooms. Beaucoup de salariés pensent que leurs rémunérations ne sont pas justes… Il est donc évident que communiquer et agir pour plus de transparence sur le sujet permet d’engager davantage l’ensemble des équipes" . Dans cette entreprise du secteur de l'EdTech, qui vient de recevoir le soutien financier des Zuckerberg, l’équipe technologique a été la première à passer le cap avec la mise en place d’une grille salariale connue de tous et toutes en interne. Progressivement, OpenClassrooms veut généraliser cette pratique à l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices.
Mathilde Callède, DRH de Shine, néobanque devenue filiale de la Société Générale, elle aussi, travaillé sur le sujet pour permettre à toutes les équipes de la startup de connaître sa politique salariale. "Mettre en place une grille salariale claire est un moyen clé d’en finir avec les injustices, précise-t-elle. Certaines personnes ont plus de facilité que d’autres dans la négociation notamment, et cela permet aussi de limiter avec le syndrome de l’imposteur, qui touche d’avantage les femmes" . Pour la directrice des ressources humaines, pas de doute, agir pour la transparence des salaires est la solution pour couper les frustrations, les rumeurs et assurer une ambiance plus saine en entreprise.
Les deux startups reviennent pour Maddyness sur six manières d’appliquer une politique salariale transparente, tout en évitant les pièges de cette mesure difficile et longue à mettre en place.
Prendre le temps et s’inspirer des autres entreprises
Parce qu’une telle mesure ne s’improvise pas, il est essentiel de prendre le temps de réfléchir à sa mise en place. "Avant toute chose, nous avons passé plusieurs semaines à travailler et se documenter sur la question de la transparence des salaires, explique Mathilde Callède. Shine a mis près de trois mois à sortir une première grille salariale, le temps de trouver l’algorithme le plus approprié" .
Même son de cloche chez OpenClassrooms qui a étalé la mise en place d’une grille de salaires transparente sur près de cinq mois, "le temps d’accompagner les équipes et d’organiser une série d'ateliers sur la question" , précise Fernanda Alonso-Gautrais, DRH de la scaleup. Pour ce faire, les deux entreprises insistent sur l’importance de s’inspirer de société qui ont déjà passé le cap. Shine et OpenClassrooms ont toutes deux pris comme référence Alan, pionnière en France sur ces questions, et Buffer, qui a posté de nombreuses bonnes pratiques sur internet.
Pour Openclassrooms, qui a fait le choix d’avancer progressivement dans ce grand projet RH, c’est l’équipe tech qui a fait le crash test en 2018. Le processus s’étend aujourd’hui à l’équipe global operations et à la vidéo. "Nous travaillons à généraliser cela à toutes les équipes à moyen terme, d’ici fin 2022, ajoute Romain Kuzniak. Mais ce projet RH doit être appliqué par étape s’il veut être bien fait, puisqu’il nécessite du temps et un engagement de la part des collaborateurs, afin d’éviter les incompréhensions et de co-construire cette étape" .
Consulter ses collaborateurs et communiquer en interne
Si OpenClassrooms devait donner un conseil majeur, c’est de ne pas imposer une grille salariale de manière verticale, sans avoir consulté les collaborateurs. "On fait ce gros travail d’objectivation avec les salariés pour les rassurer sur la justesse de la rémunération et l’équité entre les personnes… Tout le monde doit être partie prenante de cette discussion" , insiste Fernanda Alonso-Gautrais.
L’entreprise a donc, dans ce contexte, crée de l’engagement à travers une série d’ateliers pour définir les compétences, aligner la grille, tout en s’assurant en parallèle que tout cela corresponde aux salaires du marché. "Toutes les personnes s’auto-évaluent et des groupes de trois sont ensuite constitués, avec la personne concernée, son manager et une autre personne du métier pour cartographier les compétences concrètement" , ajoute le CTO de l’entreprise.
Bien définir les critères de la grille salariale
Si les grilles salariales varient en fonction des entreprises et des réalités de chaque secteur, l’important est de poser de manière claire et bien définie, dès le départ, une série de critères sur laquelle faire reposer l’évaluation des rémunérations. La grille de Shine repose sur trois modules : une classification par métier, qui détermine les fonctions de chaque pôle ainsi que le niveau de chaque métier - de débutant à expert/inspirateur -, un bonus d’ancienneté dans la vie active sur sept niveaux et un bonus fixe de 2 500 euros par personne à charge - enfant ou parent proche dépendant - limité à trois personnes maximum.
Du côté d’OpenClassrooms, l’équipe RH admet avoir tâtonné au départ avec l’équipe technologique, mais assure être "beaucoup plus rodée" maintenant, avec une procédure claire, afin de pouvoir l’appliquer aux autres équipes. Ce travail se décompose en plusieurs étapes. Une demande est envoyée à tous les collaborateurs de lister les principales activités de leur métier. Une mise en commun permet ensuite de définir entre 4 et 7 activités pour chaque profession. L’étape suivante consiste à définir les hard skills et soft skills de chaque collaborateur, selon une grille scindée en quatre niveaux, pour ensuite élargir aux compétences transverses utiles.
Enfin, un travail pour définir les "personnes d’influence" du métier est ajouté pour compléter cette étude. Finalement, de toutes ces étapes naît une grille salariale sur huit niveaux. Un long travail qui, Romain Kuzniak en est convaincu, porte ensuite ses fruits en interne, mais aussi dans le processus de recrutement et pour les nouveaux arrivants : "pour quelqu’un qui arrive, cela permet directement de se positionner sur la grille, mais on met aussi à disposition l’historique des augmentations pour que les gens puissent se projeter dans leur évolution de carrière au sein de notre entreprise" .
Agir tôt
Mathilde Callède l’affirme : plus tôt on agit pour la transparence des salaires, plus simple sera la tâche. "Chez Shine, nous avons simplement formalisé l’existant, puisque nous avons défini notre grille de salaires à l’été 2018, seulement un an après la création de l’entreprise, et que cette idée était déjà bien ancrée dans la tête des fondateurs depuis le début" . Donc plus on attend pour s’atteler au sujet, plus les disparités potentielles entre les différents salaires se creusent et plus la balance sera difficile à rééquilibrer ensuite. "J’ai la sensation qu’il y a une sorte de consensus sur le bien-fondé d’une telle transparence aujourd’hui, mais je pense que beaucoup de sociétés ont peur de passer le cap, parce que réaligner tous les salaires pourrait couter très cher à certaines d’entre elles" , estime la DRH de Shine.
"En nous penchant sur le sujet, nous nous sommes rendu compte de points d’écarts qu’on ne voyait pas avant, admet Romain Kuzniak. Pour réguler cela, nous avons décidé de lisser les augmentations… Ce sont des sujets techniques, mais il est important de rationaliser tout cela et de se questionner sur la façon dont il faut accompagner les évolutions de salaires des personnes qui se retrouvent en-dessous de la grille salariale" , poursuit-il, en admettant sur la complexité de concilier la mise en place d’une enveloppe d’augmentation figée avec la régulation des différents salaires qui n’étaient pas équitables auparavant.
Améliorer continuellement sa politique salariale
Shine et Openclassrooms l’ont compris, en matière de transparence salariale, même une fois le travail de rationalisation et d’édition de la grille salariale effectués, il ne faut pas se reposer sur ses lauriers. "Le processus de transparence des salaires n’est jamais fini, on affine continuellement notre méthode" , avertit Fernanda Alonso-Gautrais. Chez OpenClassrooms, un des gros points d’amélioration du moment concerne l’évaluation des compétences de chaque personne. "Pour certaines aptitudes, il faudrait faire des exercices par exemple" , poursuit la DRH de la société.
"Il y a toujours des éléments à améliorer, confirme Mathilde Callède. Nous avons plus de deux ans de recul maintenant et cherchons constamment à faire évoluer nos méthodes en la matière" . Par exemple, si Shine dénombre actuellement 5 niveaux pour chaque métier, la startup travaille, à la demande de ses collaborateurs, sur un chantier pour passer à 7 ou 8 niveaux, afin d’évoluer plus fréquemment sans faire de grands sauts de salaires. "Il ne faut pas avoir peur de se lancer et de se dire que la grille peut évoluer et être ajustée... Quand on applique une mesure à 10 ou 20 salariés, elle ne sera peut-être plus applicable quand ils seront 200 ou 300" .
Communiquer les salaires au grand public ?
C’est sûrement le point qui fait le plus débat au sujet de la transparence des salaires : faut-il divulguer publiquement les salaires de ses employés? Si Buffer est radical en la matière, en affichant le nom de chaque collaborateur ainsi que son salaire dans un tableau visible par tout le monde, la plupart des entreprises rechignent à aller jusque là. "Chez Shine, nous avons pris la décision de publier notre algorithme avec les différents niveaux de métiers, mais nous ne voulons pas être intrusifs ou bafouer la vie privée des salariés, d’autant que le sujet est encore très tabou en France… Et tout le monde n’est pas favorable à ce que son voisin connaisse son salaire" , explique Mathilde Callède en précisant que ceux des cofondateurs sont publics : 110 000 euros bruts chacun, avec 5 000 euros de bonus pour l'un des deux, qui a deux enfants à charge. Chez OpenClassrooms, le service RH étudie la possibilité de publier ses grilles, sans pour autant associer les rémunérations au nom de chaque collaborateur, "parce que cela pose des problèmes légaux" .