Article initialement publié le 10 juin 2021
Ces neuro-technologies sont déjà une réalité en médecine. La stimulation intracérébrale profonde rend aux malades de Parkinson la capacité de marcher ; la stimulation magnétique trans-crânienne aide à la récupération après un accident vasculaire cérébral ; des interfaces simples peuvent aussi dans certains cas donner la capacité d’agir soi-même sur son état de santé 1 en visualisant et modulant l’activité d’une partie du cortex cérébral.
Mais la gigantesque opportunité économique sous-jacente, ainsi que le souhait de certains patrons de la big tech d’arriver à un post-humain à l’existence biologique réduite, font que les neuro-technologies ne sont aujourd’hui plus seulement vues comme des outils de réparation de l’humain blessé ni comme des moyens transitoires de " remettre en capacité. " Elles deviennent une ambition de fusion de l’homme avec la machine, de dopage cérébral – promesse d’un plus haut QI, d’une meilleure résistance à la fatigue et au stress, de moins d’émotions... Pour la Chine par exemple, ces technologies sont appelées à servir les objectifs de domination mondiale, au même titre que la conquête spatiale. L’armée chinoise n’hésite déjà plus à afficher ses programmes de "technologies d’augmentation de la performance humaine" et "d’intelligence hybride homme-machine".
Chaque année, des centaines de millions de dollars sont parallèlement investis par Neuralink, Facebook, Google ou les BATX chinois pour développer des solutions neuro-technologiques dopées par des algorithmes IA. Même si les premières démonstrations publiques, savamment scénarisées, ne dépassent pas de beaucoup l’état de l’art scientifique connu, le mythe d’une technologie cérébrale implantée, adaptable et autonome, devient un futur réaliste. Il n’est cependant pas un futur souhaitable.
Vers une génération de "neuro-dummies" ?
La biologie nous enseigne que le cerveau est un organe dynamique, auto-régulé et en recherche constante d’optimisation énergétique. Si une technologie supplée un aspect quelconque de son fonctionnement, les zones cérébrales concernées s’appuient sur la "béquille" de celle-ci, diminuent leur activité, ce qui peut les amener à perdre progressivement leur capacité d’action, un peu comme l’atrophie progressive des muscles dans une jambe plâtrée - mais sans la capacité de récupération ultérieure. Une première illustration frappante, suivie de bien d’autres, en a été donnée il y a une vingtaine d’années quand une étude de neuro-imagerie a permis de constater que le volume de l’hippocampe (structure cérébrale clé des processus de mémorisation) avait diminué significativement avec l’arrivée des GPS chez les taxis londoniens.
"Use it, or lose it" répète avec insistance la biologie
L’homme dit "augmenté" par les neuro-technologies sera en réalité un homme profondément diminué qui aura perdu, quand la technologie faillira, les capacités que celle-ci était censée stimuler. Et que dire de cette frontière irrémédiablement franchie quand des outils agiront directement et physiquement sur le substrat même des pensées humaines, que celles-ci pourront être monétisées et même modifiées depuis l’extérieur puisque tout système de ce type est "hackable" ? Que dire de la séparation future entre le monde de ceux qui pourront/voudront se payer un implant (pour travailler 18h par jour sans fatiguer), et le monde de ceux qui ne le pourront/voudront pas ?
L’alternative : retrouver la logique du vivant
Les rêves d’augmentation de l’humain par la technologie et les visions centrées sur un "grand tout" technologique évoquent un cartoon qui fait fureur dans les laboratoires de recherche. Celui-ci, dans un style très pop-art, affiche "Drink coffee ! and do stupid things with more energy" . Il résume un problème conceptuel fondamental de la vision big tech des neuro-technologies, qui est de confondre la capacité à plus et la capacité à mieux. Face à cette vue qu’on affirmera étroite, la recherche en biologie et santé offre la possibilité d’imaginer et développer des utilisations véritablement raisonnées, écologiques, des technologies.
De manière tout à fait intrigante, beaucoup des premiers résultats scientifiques obtenus grâce aux neuro-techs révèlent des capacités de plasticité du tissu cérébral qui avaient été largement sous estimées. Par exemple, les premiers exosquelettes pilotés par l’activité cérébrale de patients tétraplégiques, ont permis de constater que le simple fait pour le malade de s’observer en train de marcher "comme si" sa moelle épinière n’avait pas été sectionnée induit une réactivation des processus de repousse neuronale. La technologie peut donc servir de déclencheur à un processus biologique quiescent, révéler un potentiel intrinsèque.
Un champ immense de la médecine reste à explorer sur la possibilité, entre autres par ces outils technologiques, de stimuler les capacités endogènes innées de l’humain à s’auto-réparer. Plutôt que de suivre passivement la tendance donnée par le monde des big tech, le moment est donc à la différenciation et à l’audace. Grâce au terreau de la recherche académique, mais aussi aux structures agiles et entrepreneuriales que sont les Instituts Hospitalo-Universitaire (IHUs), les Instituts Carnot et bien d’autres, les innovateurs responsables ont à leur disposition sur le territoire tous les outils pour construire des neuro-technologies éthiques, au service et de l’humain et respectant, enfin, la logique du vivant.
Alexis Génin est créateur de l’incubateur iPEPS, directeur des Applications de l’Institut du Cerveau et vice-président de l’association des Instituts Carnot