Quelques années après son essor, quel constat pour l'intrapreneuriat ? Martin Duval, fondateur de Bluenove, fait le point.
Ces dernières années ont vu de grands progrès au sein des grandes organisations pour faire émerger des idées innovantes en interne :
- Organiser des concours d'innovation internes : parmi les nombreux dispositifs que nous avons organisé, j’ai particulièrement apprécié le concours Panafricain de la Société Générale qui a mobilisé les équipes de ses 18 pays, celui du groupe Sodexo (plus de 420.000 personnes dans le monde) qui a aussi proposer à ses salariés de réinventer de nouveaux services de qualités de vie ou bien encore celui du groupe Galeries Lafayette qui pour sa 2ème édition en 2016 avait hybridé le dispositif avec un plan de formation en ligne à l’innovation (comment structurer un projet innovant, réfléchir un nouveau modèle économique, apprendre à pitcher, etc.)
- Développer une culture intrapreneuriale : un des projets les plus emblématiques qu’il m’ait été donné l’occasion de co-construire avec notre cliente en 2015 et d’animer depuis est le programme START du groupe Airbus. Un dispositif animé par les équipes Leadership Development qui transforme littéralement 150 ingénieurs en intrapreneurs, lors d’une semaine de sensibilisation à des méthodes et concepts managériaux atypiques, puis leur laisse ensuite 6 mois pour développer un projet en mode startup interne, et enfin les réunit à nouveau pendant une semaine pour des Pitchs et une sélection des meilleurs projets. Un modèle d’une remarquable richesse managériale et culturelle.
- Réaliser des POCs (Proof of Concept) : la recette étant notamment ici d’éviter de sous poudrer un soutien de manière disséminée dans le temps, et plutôt de concentrer l’effort d’accélération sur 3 à 5 jours la même semaine en s’appuyant par exemple sur des méthodes comme le Design Thinking
- Soutenir les équipes qui les portent, etc. : alors qu’on pourrait prêter au groupe La Poste d’avoir à gérer plus de contraintes RH que d’autres organisations lorsqu’il s’agit de créer le meilleur environnement possible pour que les gagnants du concours annuel ’20 projets pour 2020’ que j’ai eu le plaisir d’animer lors de ces deux premières éditions 2015/2016, j’ai été impressionné par la capacité des équipes Innovation et RH à mettre en place des moyens particulièrement adaptés (temps, ressources, cadre contractuel, etc.) pour les équipes d’Intrapreneurs.neuses.
Mais force est de constater en échangeant avec plusieurs Directeurs et Directrices de l’Innovation de grands groupes, qu’il n’y a toujours pas de réel impact sur l'accélération du processus de l'idée à l'industrialisation et toujours autant d'attentes au sein des grandes entreprises ... et plus le projet est en rupture, plus il a de chance d'être ralenti voire étouffé.
Alors que l'effort de soutien et d'animation s'est principalement concentré sur les porteurs des projets, ce n'est plus là que le bât blesse ... c'est sur le manque de soutien de la part du reste de l'organisation.
Bien entendu cela commence par la capacité d'une entité opérationnelle à 'libérer' le temps de l'équipe concernée : et avec d'autant plus de difficultés que ce sont souvent 'les bons' qui sont les intrapreneurs.
5 exemples de manque de soutien de départements clés de l'entreprise :
- Les RH : qui ne sont pas toujours en mesure de permettre d'aménager les bonnes conditions de mise à disposition de l'équipe projet, son environnement créatif, agile, un lieu de travail propice au protypage, voire une immersion dans des espaces de co-working, et la gestion des talents pour compléter l'équipe si besoin
- La Finance : du fait de l’effervescence autour des startups en France ces dernières années et de la multiplicité des fonds de Corporate Venturing, les grands groupes semblent désormais plus prompt à financer des startups que des projets internes qui subissent le syndrome du 'pas prévu au budget' et parfois des demandes de Business Plans de la part des porteurs de projet encore plus exigeantes que celui d'une startup ...
- Le Marketing : on connait bien ses clients certes, mais on mobilise encore mal leurs feedbacks pour aider les projets innovants à chaque phase de sa maturité (très en amont pour valider un concept émergeant, jusqu’à très en aval pour sécuriser un lancement), l'animation de communautés de Clients Beta Testeurs est toujours peu répandue, même si des cas réussis existent : nous avons mis en place par exemple le Garage de Bob chez Butagaz dans le cadre de leur programme d’Open Innovation Zagatub
- La DSI : malgré leur sensibilisation à l’Open Innovation comme le montre l’étude du Cigref publiée en 2017 , les porteurs de projets innovants font encore trop souvent face au manque d'agilité, d’ouverture (Open APIs / Open Data) des plateformes et processus en place pour tester et déployer des solutions nouvelles
- La COM : qui ne met pas suffisamment en action ses leviers et canaux à la disposition des intrapreneurs pour faire connaitre leurs projets tant en interne qu'en externe d’ailleurs : ne pas négliger en effet l’impact positif sur la fameuse Marque Employeur de belles histoires intrapreneuriales pour attirer de futurs talents
Et sans oublier la Direction Innovation elle-même qui n'a pas toujours le réflexe d'hybrider Intrapreneuriat et Partenariat startups pour booster les projets au lieu de gérer les deux approches en silos.
Des solutions existent : par exemple 'Le concours inversé', comme décrit par le cas du groupe BEL sur cette video. Ce dispositif apparaît comme la nouvelle génération des concours d’innovation internes : il permet en effet de mobiliser dans un premier temps l'ensemble de l'organisation (5000 managers internationaux dans le cas de Bel) dans le cadre d'une démarche d'intelligence collective en ligne sur 2 à 3 mois pour faire émerger les projets à lancer, puis faire seulement ensuite un appel à talent. Il évite ainsi l’écueil de forcer des projets issus de concours classiques à convaincre le reste de l'organisation à les soutenir à posteriori.
D'autres solutions restent à inventer pour incentiver ces autres départements qui ont un rôle majeur à jouer sur la réduction du cycle de l'innovation.