La France va-t-elle trop loin dans ce qu'elle peut demander aux plateformes de streaming, essentiellement étrangères? La Commission européenne a en tout cas émis certaines réserves sur les nouvelles règles que la France veut imposer aux acteurs du streaming vidéo par décret avant l'été, selon son avis obtenu par les analystes du cabinet NPA Conseil. Ce décret dit SMAD (pour "services de médias audiovisuels à la demande") doit préciser les modalités de contribution des géants internationaux du streaming comme Netflix, Amazon ou Disney+ à la production audiovisuelle et cinématographique française.
Au coeur d'intenses tractations depuis des mois, il découle de la transposition de la directive européenne SMA qui a instauré le principe d'obligations d'investissement pour les plateformes étrangères, au même titre que celles qui s'appliquent aux plateformes nationales (comme OCS, Mycanal, Salto...). Si la Commission n'impose pas au gouvernement un délai pour revoir sa copie comme elle en avait la possibilité, elle s'interroge sur la part minimale des productions en français qu'il veut imposer aux plateformes (80% pour les services de vidéo à la demande, 85% pour les services par abonnement). Ces taux sont "susceptibles de créer des avantages pour les sociétés de production établies en France (et) sont nettement plus élevés que ceux considérés comme proportionnels par la jurisprudence" , écrit la Commission dans son avis rendu le 19 mars.
La Commission, qui n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP, s'interroge aussi sur la prise en compte dans les quotas des oeuvres de producteurs européens contrôlés par des groupes extra-européens : elle rejoint sur ce point une observation formulée par le géant américain Netflix. Enfin, elle s'inquiète que le seuil de contribution aux oeuvres européennes (20% des recettes en France ou 25% si la plateforme propose des films sortis au cinéma dans l'année) puisse être majoré dans certains cas. "Les fondements du décret sont remis en cause ou questionnés par rapport à
des principes essentiels dans le droit européen" , estime Philippe Bailly, du cabinet NPA Conseil.
Selon cet expert, la France pêche en "poussant le curseur beaucoup plus loin" que les autres pays membres, par exemple sur le taux de contribution maximum qui n'excède pas selon lui 5% des recettes ailleurs en Europe. Après avoir obtenu fin mars un avis favorable du gendarme français de l'audiovisuel, le CSA, le décret doit désormais recevoir l'aval du Conseil d'Etat.