Article initialement publié le 15 février 2018
Les Stories de Google ? Une super idée inspirée de Facebook, elle-même copiée d’Instagram, qui l’avait reprise de Snapchat. On ne peut pas dire que les GAFA font preuve d’une débauche d’imagination ces derniers temps. Derrière les annonces quasi quotidiennes de «nouveautés» se cache un cruel vide d’inventivité.
Les hashtags et les «trending topics» de Facebook ? Directement piochés dans le registre de Twitter. Les vidéos éphémères d’Instagram ? La signature de Snapchat. Les autocollants pour agrémenter les photos sur WhatsApp ? Encore puisés chez Snapchat. Les emojis intégrés dans les messages de Google Allo ? Chipés chez Messenger. Et les exemples se multiplient à l’infini. Twitter a troqué ses étoiles pour des cœurs façon Instagram en 2015. Facebook s’est lancé sur les traces de LinkedIn en 2017 avec un service d’offres d’emploi. Avec «Discovery Mix», Apple Music a imité les playlists personnalisées de Spotify.
Comme un air de ressemblance © DR
Une surenchère de dollars et d’annonces fracassantes
C’est la stratégie du mouton. Quand quelque chose semble marcher, tout le monde se jette tête baissée à grand renfort de rachats et de surenchères d’investissements. Pour «rattraper Netflix», Amazon a ainsi investi 4,5 milliards de dollars dans son service vidéo Prime et vient d’acheter les droits télévisés pour décliner en série «Le Seigneur des Anneaux». Une référence directe à «Games of Thrones» (HBO) et «Stranger Things» (Netflix). Flairant le bon filon, Apple et Facebook ont à leur tour signé un chèque d’un milliard de dollars pour produire leurs propres contenus exclusifs. Mark Zuckerberg est d’ailleurs en train de faire le tour des studios à Hollywood pour obtenir des scénarios.
Apple, longtemps considéré comme précurseur, arrive aujourd’hui largement derrière tous les autres lorsqu’il lance un nouveau produit. Le déverrouillage par empreinte digitale, inauguré sur l’iPhone 5S en 2013, était une invention de Motorola deux ans plus tôt. Et lorsqu’il lancera son HomePod au printemps, cela fera déjà trois ans qu’Amazon inonde le marché avec son enceinte connectée Echo.
Copier… ou racheter
D’accord, ça ne marche pas à tous les coups. Avant de cloner Snapchat sur Instagram, Facebook avait déjà tenté de l’imiter avec les applications Pole et Slingshot, qui se sont soldées par des échecs retentissants. Mais généralement, la ficelle fonctionne très bien. Si bien que l’on commence maintenant à se copier soi-même. Les «Stories» ont ainsi été successivement implémentés dans Instagram, Messenger et WhatsApp. En mars 2017, Google a copié chez Waze (qu’il a racheté en 2013) le partage de sa position avec ses contacts pour l’intégrer dans Maps.
Et quand le petit concurrent a déjà trop grossi pour être rattrapé, on le rachète à coups de milliards. A l’instar de WhatsApp, avalé par Facebook en 2014, ou de LinkedIn, croqué par Microsoft en 2016. Et même ceux qui semblent aujourd’hui intouchables ont du souci à se faire. Apple, qui a bien conscience d’avoir beaucoup de retard dans la vidéo, aurait «40% de chance de racheter Netflix» dans les prochains temps, selon les analystes de Citigroup.
Quand les inventeurs se font siphonner par leurs imitateurs
Certes, le petit jeu du copier-coller n’a rien de nouveau. Apple a bien «emprunté» l’idée de la souris à Xerox en 1984. Mais aujourd’hui, le syndrome «The Winner takes all» (le vainqueur remporte tout) a décuplé la tendance. Pourquoi télécharger cinq applis différentes si je peux avoir tous mes services regroupés sur la même ? Quel intérêt pour les médias d’investir dans des formats spécialement adaptés à Snapchat s’il peuvent passer par l’interface Facebook qu’ils connaissent déjà ?
Pas de taille à lutter contre les géants du secteur, les pionniers se font tout simplement siphonner leurs utilisateurs. Selon une étude des analystes de Cowen, 96% des annonceurs préfèrent maintenant Instagram à Snapchat pour leurs publicités. En 2017, ce dernier a péniblement gagné 21 millions de nouveaux adeptes contre 200 millions pour Instagram. Au rythme de croissance actuelle, le nombre d’utilisateurs payants d’Apple Music dépassera celui de Spotify aux Etats-Unis, selon le Wall Street Journal. Avec au bout du compte une mort à petit feu. L’application de vidéos courtes Vine a survécu à peine trois ans après le lancement de séquences vidéos sur Instagram.
La «facebookisation» rampante
L’ennui avec tous ces copier-coller, c’est qu’on ne saisit plus bien ce qui fait l’identité de chacun. Le designer Walter Rosada s’inquiète ainsi de la «facebookisation» de LinkedIn, qui dérive selon lui dangereusement vers un banal réseau social plutôt que de garder sa vocation professionnelle. Dans sa dernière version, LinkedIn a ainsi ajouté une fenêtre de messagerie et un fil d’actu étrangement semblables à ceux de Facebook. Mais pour le responsable du design de Linkedin, Amy Parnell, tout cela est parfaitement normal. «Facebook est un réseau social. Les types d’interaction sur les deux plateformes se ressemblent forcément un peu», justifie-t-il. «Si quelqu’un veut créer une nouvelle application d’email, l’internaute s’attend à retrouver quelque chose qui ressemble à l’email qu’il utilise déjà». L’argument peut en effet se justifier. Mais il encourage aussi à une standardisation toujours plus avancée du web.
Google est-il encore un laboratoire à idées ? © Google
«Google a perdu sa capacité à innover»
L’autre problème, c’est que cette tendance rend les grands groupes paresseux. Dans un article sur Medium intitulé «Pourquoi j’ai quitté Google», Steve Yegge explique que le géant américain a «perdu sa capacité à innover». «Google est aujourd’hui 100% focalisé sur la concurrence plutôt que sur ses clients», déplore-t-il. «Sur tous les produits lancés ces dernières années, la quasi totalité sont des copies», détaille-il : Google+ (Facebook), Google Cloud (Amazon), Google Home (Amazon Echo), Allo (WhatsApp), Android Instant Apps (WeChat), Google Assistant (Siri), etc, etc. Et d’expliquer pourquoi il rejoint Grab, une startup asiatique en pleine expansion.
Quand l’innovation ne peut plus s’exprimer
Car si les ingénieurs de Google et consorts ont officiellement carte blanche pour plancher sur des idées «révolutionnaires», bien peu sont destinées à sortir réellement un jour et ne font office que de coup de com. Le nouveau magasin «sans caisse» d’Amazon, qui a fait le buzz partout dans le monde, n’a pour l’instant pas de petit frère de prévu. Et pour cause : vu la débauche de technologie nécessaire, on a du mal à imaginer que le concept soit réellement démocratisé. Le risque, c’est que les vrais talents n’y trouvent plus leur compte, à l’instar de Steve Yegge. Travailler dans une bulle végétale géante ou profiter de séances de yoga gratuites ne suffira pas à retenir ces inventeurs géniaux capables de développer une nouvelle appli en une nuit.
L’utilisateur, lui, se trouve dans un paradoxe complet : jamais il n’a eu accès à une offre aussi pléthorique. Et jamais il n’a eu aussi peu de choix. Un peu comme si dix marques de fast-food se refilaient la même recette de burger en changeant juste la sauce du steak. A quand une nourriture un peu plus variée ?