C’est la rentrée pour Gevok Yesayan, 12 ans. Varty, sa mère, le regarde avec des yeux attendris: « Il était tellement impatient d’être à aujourd’hui, ça fait des jours qu’il ne pense qu’à ça. » L’avocate de 36 ans a l’air au moins aussi ravie que le jeune garçon. « Je l’ai inscrit dès que j’ai entendu parler de l’école Tumo, je suis persuadée que ce sera une grande chance pour lui« .
Il faut dire que Tumo n’est pas une école comme les autres. Déjà parce que les « cours » ont lieu après l’école, à partir de 15h30 chaque jour de la semaine. La formation dispensée ici, de quelques heures par semaine, vient en effet en complément de l’éducation élémentaire que reçoivent tous les adolescents. Mais surtout parce que c’est une formation gratuite, sans sélection à destination des 12-18 ans, qui s’appuie sur des programmes pédagogiques personnalisés, sans note ni devoirs, autour des arts et de la technologie. Créée par le fondateur d’Inet Technologies, Sam Simonian, et sa femme Sylva en 2011 dans la capitale arménienne, Tumo a depuis essaimé un peu partout dans le pays. De nouvelles structures ont ouvert leurs portes en 2013 dans la ville de Dilijan, et en 2015 à Gyumri, dans le nord du pays, ainsi qu’à Stepanakert dans le Haut-Karabagh.
6000m2 d’ambition
Cette formule unique est d’ailleurs à l’origine du succès de Tumo : chaque mois la liste d’attente s’allonge de plusieurs dizaines de candidats désireux d’intégrer la prestigieuse école. Tumo a d’ailleurs été reconnue meilleure école innovante par le magazine français We Demain (devant le “Silicon Valley AltSchool”, aux Etats-Unis, l’école maternelle Fuji à Tokyo et les écoles Steve Jobs).
Le succès de la formation est tel que la maire de Paris Anne Hidalgo a prévu de l’importer dans la capitale française pour la rentrée 2018. Il faut dire que les fondateurs se sont donné les moyens de leurs ambitions : dans l’immense bâtiment en périphérie de l’hyper-centre de la capitale arménienne imaginé par l’architecte libanais Bernard Khoury, deux étages d’une superficie totale de plus de 6000m2 sont entièrement dédiés aux élèves. Ces derniers ont accès à leur guise à un cinéma, une salle de jeux-vidéo et même un studio de musique, financés entièrement par la fondation du couple Simonian.
À Tumo, les élèves s’initient aussi à la musique (Crédit: Maëlle Lafond)
Les élèves commencent tous par étudier quatre fondamentaux (l’animation, le design web, le développement de jeux-vidéos et le cinéma) auxquels ils peuvent ajouter des modules complémentaires tels que le code, la 3D et ou la musique. Car l’objectif affiché de Tumo n’est pas seulement de les former pour en faire des ingénieurs ou des développeurs, mais de les équiper pour être compétitifs sur le marché de l’emploi et leur permettre d’affronter les enjeux du numérique au XXIè siècle. « Les nouvelles technologies vont pénétrer tous les métiers, il faut que les Arméniens soient en mesure d’affronter ces évolutions qui vont bouleverser le monde professionnel », explique Lilit Tovmasyan, 25 ans, ancienne élève de Tumo et chargée de communication.
Préparer les jeunes Arméniens pour le futur
De quoi faire naître des vocations. « Plus tard je veux être développeur, mais pour l’instant mon projet c’est d’imprimer un verre en 3D !", piaffe Gevok. « Mais mon rêve c’est d’inventer une machine capable de fonctionner en totale autonomie, sans interruption« , ajoute-t-il avant de rejoindre précipitamment le reste du groupe pour le début de la visite guidée. Partout, de jeunes gens, majoritairement des garçons, sont installés sur de drôles de postes, équipés d’ordinateur dernier cri sur roulettes – les « tumobiles ». Concentrés et silencieux, les étudiants complètent les modules préparés pour chacun d’entre eux par les formateurs de l’école, qui suivent aussi leurs progrès en direct sur leur espace personnel.
Chaque élève a accès à une « tumobile » avec lequel il peut se déplacer à sa guise dans l’école (Crédit: Maëlle Lafond)
Pour répondre à leurs éventuelles questions, des « coachs » formés aux modules passent parmi eux, avant de les accompagner jusqu’au salles dans lesquels ont lieu les ateliers pratiques. 70% des coachs sont d’ailleurs d’anciens élèves de Tumo, qui ont choisi de transmettre à leur tour l’enseignement qu’ils ont reçu. Mais pas question pour les autres de quitter pour autant le giron de l’école : très souvent, ils choisissent de continuer leurs projets entamés pendant la formation, et d’intégrer l’incubateur de startups monté par Tumo.
C’est le cas d’Arevik Aroyan, 23 ans, qui a pu bénéficier du soutien du programme pour fonder, avec trois camarades de promotion, son studio d’animation : « J’ai intégré Tumo à 17 ans, sur les conseils de ma soeur. J’avais beaucoup d’appréhensions, je suis de nature timide et j’avais peur d’être au milieu de tous les autres étudiants. Mais en fait je me suis tout de suite plu ici : rencontrer Gricha, Tara et Kevon et travailler sur ce projet m’a motivé à me dépasser. » Les quatre cinéastes en herbe ont même présenté un de leurs courts-métrages au festival d’Erevan, et ont travaillé avec l’Union européenne sur un jeu interactif visant à sensibiliser les jeunes à la lutte contre la corruption, Tales of Neto.
Fort de ce succès, Tumo entend bien continuer à se développer aux quatre coins de l’Arménie. Un prochain centre devrait ainsi voir le jour dans le village frontalier de Koghb d’ici 2019.
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