Alors que l'Europe est à une étape charnière de son histoire, Maddyness a voulu faire un point sur les actions et la vision de l'Union européenne. Comment créer un GAFA européen ? Quelle place pour le continent, demain ? Un moment d'échange sur son projet et ses ambitions dans un monde chaque jour plus compétitif et où il lui faut, plus que jamais, convaincre ses citoyens. Guillaume Roty, porte-parole de la Représentation de la Commission européenne en France, répond aux questions de la rédaction.
Quelle est l’ambition de la Commission européenne en matière d’innovation ? Pour quels résultats ?
L'ambition européenne est bien sûr de rester l'un des leaders mondiaux en termes d'innovation. L'Europe est déjà numéro un dans le monde en ce qui concerne la recherche et la production de savoirs, devant les États-Unis, mais cette excellence ne se traduit pas complètement en termes d'innovation. Chaque année, la Commission évalue la performance de l'UE dans son tableau de bord européen de l'innovation. La dernière édition pour 2017 montre qu'au niveau mondial, l’UE est moins innovante que l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon.
Si l'écart se réduit avec le Canada et les États-Unis, il augmente avec le Japon ou la Corée. Il faut donc se mobiliser au niveau européen pour améliorer nos résultats, car l'innovation est un facteur clé pour la croissance, la création d'emploi mais aussi pour répondre aux grands défis sociétaux auxquels l'Europe est confrontée, comme la lutte contre le changement climatique, le vieillissement de la population ou encore la cybersécurité.
L'un des principaux leviers d'action en Europe est d'améliorer le passage de la recherche à l'innovation : aider les chercheurs et les entrepreneurs à mettre sur le marché le résultat de leur recherche et à faire grandir leur startup. La Commission a lancé en novembre 2016 un plan d'action dédié pour les startups, avec exactement cet objectif d'accompagner leur expansion ("scale up"). Il vise à améliorer l'accès au financement des startups, mais aussi à développer la culture d'entreprise en Europe, notamment en instituant un "droit à la deuxième chance". Notre objectif est qu'un entrepreneur honnête qui a échoué ne soit pas pénalisé dans sa nouvelle entreprise ; si la proposition de la Commission est acceptée, il pourra être pleinement libéré de ses dettes après un délai maximum de 3 ans. C'est essentiel quand on sait que la plupart des entrepreneurs échouent la première fois, mais que ces échecs sont en général la clé des succès futurs !
Nous avons aussi créé le Conseil européen de l'innovation, qui permet de regrouper les financements européens existants pour l'innovation et d'offrir des services aux startups européennes, comme de bénéficier de réseaux, notamment le réseau Start-up Europe, ou de conseil sur l'accès au marché européen.
La Commission européenne travaille-t-elle directement avec des startups par exemple ?
La Commission est bien sûr en contact avec des startups ! Nous sommes un des financeurs clés pour les entreprises en Europe. Avec le programme européen Horizon 2020, l'Europe dispose du plus grand programme multilatéral de soutien à la recherche et à l'innovation au monde. Dans le cadre de ce programme, nous avons développé un nouvel outil, l'instrument PME, qui s'adresse directement aux startups. Il offre à la fois des petites subventions de 50 K€ pour financer des études de faisabilité et de preuve de concept pour les startups naissantes mais aussi des subventions plus importantes allant jusqu'à 2,5 millions d'euros pour aider les entreprises à passer du concept au marché. Plus de 3 000 entreprises en Europe ont déjà pu en bénéficier.
Nous avons aussi amorcé une petite révolution du financement européen avec le plan Juncker. L'objectif est de redynamiser l'investissement en Europe en utilisant le budget européen pour investir dans des projets risqués, que les acteurs traditionnels sont encore réticents à financer. La nouveauté est que le soutien se fait sous forme de garanties, de prêts ou d'investissements en capital via des fonds d'investissements partenaires. Nous voulons mobiliser 500 milliards d'euros d'investissements supplémentaires d'ici 2020, et nous sommes déjà bien avancés car depuis 2015, plus de 250 milliards d'euros ont déjà pu être mobilisés. Et le plan Juncker concerne directement les startups : il leur permet d'obtenir des prêts à de bonnes conditions, et surtout pour des projets qu'elles n'arrivent pas à financer auprès des banques aux conditions "normales". En France, nous avons par exemple passé des accords avec plusieurs banques (Bpifrance, Banques populaires entre autres) pour augmenter l'offre de prêts adaptés au financement de l'innovation, c'est-à-dire sans garantie personnelle, avec un long délai de remboursement…
Enfin, nous sommes bien sûr en contact avec les startups pour écouter leurs attentes et comprendre comment nos actions les impactent. Le plan d'action "Scale up" a par exemple été mis en œuvre suite à une large consultation publique, d'où il est sorti que les entrepreneurs européens avaient trois problèmes clés : l'accès au financement, les difficultés liés aux exigences réglementaires et administratives, particulièrement au sein du marché intérieur européen et enfin la mise en contact avec les bons partenaires.
Il y a 10 ans (2008) l’Europe comptait 41 sociétés dans le top 100 mondial, les US, 35. L’Europe en compte aujourd’hui 22, les US, 55 (source PWC), comment inverser les choses ?
C'est effectivement un vrai défi, qui sous-tend beaucoup de nos actions. La première réponse est de mieux tirer parti de notre principal atout : le marché unique européen avec ses 500 millions de consommateurs. C'est le plus grand marché au monde, mais les entreprises européennes ont encore trop tendance à penser « national » plutôt qu’ « européen ». Et lorsqu'elles veulent grandir, elles regardent plutôt du côté du marché américain qu'européen. C'est bien sûr à nous de faire en sorte que le marché unique soit une réalité et que cela soit aussi simple pour une startup de vendre en France qu'en Allemagne ou en Slovaquie. Nous y travaillons, notamment en ce qui concerne le numérique. La création d'un marché unique numérique est une priorité de la Commission. Nous avons déjà beaucoup avancé, sur le roaming et le géoblocage par exemple, mais il reste encore beaucoup à faire.
Une deuxième priorité d'action est de permettre aux startups européennes de se financer à la bonne échelle. Les marchés de capital-risque et capital développement en Europe restent trop petits par rapport au marché américain ; quand une entreprise veut se financer à grande échelle, c'est parfois plus simple d'aller voir des fonds américains qu'européens. Nous devons donc agir pour accroître la taille du marché européen ; la Commission a lancé une initiative pour créer une Union des marchés de capitaux pour répondre à ce défi. Nous allons aussi lancer prochainement des fonds pan-européens de capital-risque, dans lesquels l'Union va investir 400 millions d'euros et mobiliser 4 fois plus de financements privés. Cela fera 1,6 milliards d'euros injectés sur les marchés européens ; c'est un apport considérable quand on sait que les sommes levées actuellement sont d'environ 5 milliards.
En pensant européen à la fois pour les débouchés avec le marché unique et le financement avec l'Union des marchés de capitaux, on arrivera à faire grandir nos startups et à avoir plus de leaders mondiaux, même s'il y en a déjà beaucoup (Spotify, Klarna, Blockchain…)
Comment voyez-vous l’Europe demain ? Quelle est la vision de la Commission ?
L'ambition est de conforter et d'améliorer notre place de leader dans le domaine de l'innovation. Cela passe par la création du marché unique du numérique, de l'Union des marchés de capitaux, du développement de la culture d'innovation en Europe. Ce sont des outils qui nous permettront d'être à l'avant-garde pour l'utilisation des nouvelles technologies, de la 5G au Big Data en passant par l'intelligence artificielle. Mais l'ambition est aussi de conserver notre particularité européenne, qui fait notre force : la diversité, l'attachement au respect de la vie privée et des données personnelles, la notion d'ouverture (entre disciplines, entre acteurs) – Carlos Moedas, le Commissaire européen à la Recherche et à l'Innovation résume souvent l'ambition européenne en trois principes : Innovation ouverte, Science ouverte et Ouverture sur le monde (Open Innovation, Open Science et Open to the World).