Source significative de revenus pour les heureux bitcoin millionnaires, le bitcoin et autres cryptomonnaies suscitent une réelle interrogation relative à leur traitement fiscal. Melissa Pun, avocate chez STC Partners et Benjamin Durand, managing partner du family office B. Durand Capital Partners, décryptent l'approche fiscale adoptée par l'administration française vis-à-vis de ce qui est devenu un outil d'investissement. Et proposent quelques stratégies pour bien gérer ce nouveau type de patrimoine.
Le bitcoin a franchi le seuil symbolique des 10 000 dollars et, pour certains, cette flambée des cours apporte son lot de bonnes surprises : une poignée d’initiés de la première heure ont pris le train suffisamment tôt pour profiter de cette hausse stratosphérique et devenir ce que l’on surnomme désormais des bitcoin millionnaires. Des millionnaires en monnaie virtuelle, qui peuvent devenir des millionnaires bien réels à condition d’accepter de ne pas être trop gourmands et de matérialiser leur plus-value. Mais ce retour dans le monde réel n’est pas si simple et pose des questions très concrètes, jusque-là sans réponse, aux heureux détenteurs des cryptomonnaies.
En France, il existe encore une absence de consensus relatif à la qualification juridique du bitcoin et, à ce jour, seule une définition par la négative est possible. En effet, nous nous accordons à dire que le bitcoin n’est ni une monnaie légale, ni un instrument d’évaluation, ni une monnaie électronique et pas non plus un instrument financier.
Un état des lieux des positions prises par certains pays particulièrement concernés par le phénomène bitcoin permet de constater que :
- Les États-Unis considèrent les bitcoins comme des biens meubles et les traitent fiscalement comme des plus-values, avec la possibilité d’utiliser la méthode FIFO.
- "Instrument hautement spéculatif en raison des fortes et rapides variations quasiment inexplicables, qui ne présentent aucune garantie", le bitcoin est qualifié juridiquement par l'Allemagne d’unité de compte (c'est-à-dire un agrément bancaire en cas d’activité) et est imposé à titre privé dans la catégorie des plus-values privées.
- En l’absence de définition légale du bitcoin au Royaume-Uni, il a été précisé que les gains réalisés sur les cessions de bitcoins étaient imposés au taux forfaitaire de 28%.
- Israël a donné en 2017 une définition légale en précisant qu’il s’agissait d’un bien meuble dont les cessions donnent lieu à taxation au titre des plus-values privées (c'est-à-dire une imposition au taux de 25%).
- Le Japon ne donne pas une définition claire du bitcoin mais précise que les gains de conversion de bitcoins sont traités comme des plus-values privées.
Quel régime fiscal en France ?
L’administration fiscale française a, de son côté, clarifié le régime fiscal applicable aux monnaies virtuelles par une instruction du 11 juillet 2014. Les gains issus d’une vente à titre professionnel de bitcoins sont imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC); les gains issus d’une vente occasionnelle de bitcoins sont imposés dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC).
À relire : Bitcoin, dash, ether, le nouvel eldorado du financement des startups ?
Elle a également précisé que les critères d’exercice habituel ou occasionnel de l’activité résultaient de l’examen, au cas par cas, des circonstances de fait dans lesquelles les opérations d’achat et de revente sont réalisées (délais séparant les dates d’achat et de revente, nombre de bitcoins vendus, conditions de leur acquisition…).
Si la position de l’administration fiscale paraît justifiée en ce qui concerne les gains issus d’une vente à titre professionnelle, sa position s’agissant de ceux issus d’une vente occasionnelle nous paraît contestable. La vente occasionnelle de bitcoins par un particulier ne constitue pas en soi une activité. Imposer ces gains dans la catégorie des BNC ne nous semble pas adapté à ce type d’opérations. Il existe, à notre sens, un régime beaucoup plus adapté que celui des BNC et qui consisterait à imposer le gain selon le régime des plus-values sur cession de valeurs mobilières des particuliers. Cette piste avait d’ailleurs déjà été évoquée par le Sénat dans son rapport de 2014 au terme duquel il avait considéré qu’en l’absence de qualification juridique du bitcoin, il était permis de considérer qu’il pouvait être assimilé à un bien meuble.
À ce titre, il convient de souligner que la transmission à titre gratuit de bitcoin donne lieu au paiement de droits de mutation à titre gratuit. Or, ces droits ne concernent que le transfert de biens meubles ou immeubles. De même, les unités de comptes virtuelles stockées sur un support électronique entraient dans le patrimoine du contribuable taxable à l’ISF parmi les "droits sociaux, valeurs mobilières, liquidités, autres meubles". Autant de règles qui conforteraient une imposition dans la catégorie des actifs mobiliers, générant ainsi une imposition au taux de 19% après déduction de certains abattements auquel s’ajoutent les prélèvements sociaux désormais au taux de 17,2%.
Le bitcoin et les autres cryptomonnaies ont très mauvaise réputation parmi les banques, soumises à des obligations très strictes en matière de lutte contre le blanchiment. Au moindre doute, elles ont le devoir d’en informer Tracfin sans avoir à en aviser le client. Seule une poignée de banques se montrent plus ouvertes et acceptent d’étudier le dossier sous réserve de leur fournir une traçabilité parfaite de "l’origine de l’origine des fonds".
Faut-il vendre ses bitcoins lorsque l’on en détient beaucoup suite à de fortes plus-values ?
Il est toujours difficile de faire entendre à un adepte du bitcoin qu’un cours élevé justifie une prise de plus-value, tant le sentiment d’adhésion est fort alors même que son cours ne repose sur aucun actif réel.
Cependant il semble tout à fait recommandé aux investisseurs qui ont profité de l’énorme plus value offerte d’alléger leurs positions et de matérialiser des gains qui restent à ce jour virtuels et totalement exposés à des risques de pertes violentes. D’autant qu’avec la hausse récente, les bitcoins représentent parfois plus de 50%, voire 90%, du patrimoine des heureux détenteurs. À ce stade, vendre une partie de ses positions est une question de diversification, indépendante de l’évolution ultérieure du bitcoin.
Quelles évolutions possibles pour le cours du bitcoin?
En faveur d’une prolongation de la hausse :
- Le succès du bitcoin est autoréalisateur, la flambée du bitcoin est à présent connue du monde entier et l’appât du gain est susceptible d’attirer un nombre croissant d’investisseurs. Le Chicago Board of Exchange (CBOE) et même le Nasdaq, ont d’ailleurs annoncé la création d’un "contrat futur" dans les mois à venir.
- La valorisation des actifs cotés est importante et les investisseurs qui redoutent une nouvelle crise financière sur les marchés pourraient être tentés de stocker une partie de leur patrimoine sur une classe d’actifs située en dehors du système.
- Protocole informatique mis en application grâce à la technologie de la blockchain, le bitcoin, encore plus que l’or, est l’actif supra-étatique par excellence, loin de la défiance que les citoyens peuvent avoir vis à vis des États et des banques centrales.
A contrario :
- La forte spéculation dont il fait l’objet actuellement pourrait s’inverser et la chute être violente, le bitcoin ne reposant sur aucun actif réel et fondamental pour atténuer sa baisse.
- Sa volatilité actuelle est environ dix fois supérieure à celle de l’or.
- De plus, les États ont déjà commencé à réfléchir à la façon de réglementer l’utilisation des cryptomonnaies.
Est-il judicieux de diversifier son portefeuille en investissant en bitcoin, que certains appellent déjà une nouvelle classe d’actif ?
Il est aujourd’hui coûteux d’investir dans le bitcoin pour les investisseurs qui n’en détiennent pas et restent observateurs étonnés jusqu’à ce jour, mais deux approches sont possibles :
- Continuer à regarder le train passer, en attendant d’en savoir plus, de voir apparaître une régulation des États, ou bien que la bulle éclate. Mais c’est aussi prendre le risque de passer à coté d’un phénomène très important issu la technologie blockchain.
- Prendre le train en marche, avec un timing non idéal et le risque de voir le cours dévisser aussi fort qu’il est monté.
Dans l’environnement actuel de taux bas, considérons qu’il est possible de gagner environ 2% par an avec de faibles risques sur son patrimoine financier classique. Dès lors, dans une optique de diversification, il serait envisageable d’investir sur les bitcoins et autres cryptomonnaies entre 1% et 3% de son patrimoine financier de rendement, à condition de pouvoir tout perdre.
En effet, compte tenu du phénomène qui se déroule sous nos yeux, prendre une option pour rentrer dans un marché à très fort potentiel en risquant "seulement" une année d’intérêts et sans aller piocher dans son patrimoine, semble être un ratio performance/risque acceptable pour prendre le train en marche. Idéalement, il conviendra de rentrer en plusieurs fois sur le marché pour lisser le cours d’entrée. En toute hypothèse, et à l’image de Goldman Sachs qui recommande désormais à ses clients de ne plus ignorer le bitcoin, le phénomène des cryptomonnaies fait désormais partie intégrante de notre paysage financier.