Frimake, Leepse, Glowbl, Hoop… Les startups proposant des initiatives pour lutter contre l’isolement des étudiants et recréer du lien se multiplient. En temps de pandémie, certaines d’entre elles, qui ne se destinaient pas à cette frange de la population, se sont positionnées sur ce créneau. Des partenariats entre startups et universités ont même fleuri pour lutter contre l'isolement d'une partie des jeunes français·es. À première vue, ces solutions semblent séduisantes. Pourtant, les principaux concernés ne sont pas toujours de cet avis.
Solutions "naïves ou survendues"
Ainsi, les étudiantes déplorent le marketing et la communication qui tournent autour de ces solutions. "Les plateformes de visioconférence et rencontres virtuelles ne recréeront jamais le lien social de la vie réelle, contrairement à ce qui est souvent promis" , regrette Naïl Klioua, étudiant en droit à Lyon 3 - qui a créé un partenariat avec la startup Glowbl pour mettre la solution à disposition des jeunes de l’université - et membre de l’association MIFA. Je ne suis pas contre ces initiatives, mais vendre cela comme un outil génial qui va mettre fin à l’isolement des étudiants, c’est soit naïf, soit survendu" . Il insiste aussi sur le caractère temporairement attractif de ces solutions, puisque "on l’a bien vu, tout le monde faisait des apéros Zoom pendant le premier confinement, et on a vite arrêté" .
Même son de cloche du côté du secrétaire général de l’association étudiante Corpo Lyon 3 : "Quelles que soient les solutions technologiques utilisées, rien ne vaut les relations en présence, où l’on a moins de mal à suivre les échanges" . Ce dernier préfère relever l’utilité de certaines startups dans le domaine de l'alimentation notamment : "TooGoodToGo est par exemple une super application pour permettre aux étudiants d’économiser, mais il n’existe pas de solution miracle sur certaines formes de précarité, notamment concernant le lien social" .
"Je comprends qu’il faille vendre sa solution aux investisseurs pour se développer, mais je trouve agaçant, voire gênant, de faire de la précarité des étudiants un argument marketing" , avance Naïl Klioua.
Chez Glowbl, on affirme pourtant que cette communication sert aussi à faire connaître la solution aux étudiants qui veulent s’en emparer : "Nous n'avons pas utilisé la situation comme un argumentaire de vente. Dans notre cas, en proposant le service à Lyon 3, nous ne visions pas la croissance, mais la souveraineté numérique" , rétorque la startup.
Autre problème : les étudiant·e·s ont souvent la sensation de se voir proposer des solutions sans même avoir consulté leurs besoins réels en amont. "Résultat : les initiatives sont souvent hors sol et ne répondent pas à une demande de leurs part" , résume Naïl Klioua, en évoquant l’usage de certaines plateformes d’échanges notamment. La plateforme de visio Glowbl a justement créé un partenariat avec les associations étudiantes de Lyon 3 pour tenter de comprendre les attentes de ces derniers et y répondre.
"Pour engager des démarches à destination des jeunes, dans lesquelles on pense bien faire, il est primordial d’aller sur le terrain pour évaluer le besoin de la cible en question, explique ainsi Laure Gueguen, coordinatrice du projet solidaire "Du beurre dans leurs épinards", qui offre des paniers de première nécessité aux étudiant·e·s. Il faut aussi faire très attention à la façon dont on les aborde, car les étudiants n’osent souvent pas demander de l’aide, donc il faut dédramatiser cet aspect-là également" .
Le problème de la précarité numérique
Les startups qui disent s’adresser aux étudiants en mal de lien social connaissent une autre difficulté : toucher leur cible. "Un étudiant qui est isolé de base et ne parle à personne, ou un autre qui vient d'arriver sur Lyon et n’a encore aucun ami, n’oseront sûrement pas aller sur ce genre de plateformes" , insiste le secrétaire général de l’association étudiante Corpo Lyon 3. "En attendant, les étudiants isolés restent isolés, puisqu’il est par définition très compliqué de toucher ces populations et de nouer du lien dans ce contexte de crise sanitaire, ajoute Naïl Klioua. Et cela n’est pas un sujet secondaire, deux étudiants ont fait des tentatives de suicide en janvier dans notre université. Mais, selon moi, le véritable problème réside dans la réponse à ces événements, avec les consultations psychologiques de la fac saturées, pas dans les solutions proposées par des startups ".
Enfin, ces applications technologiques ne peuvent pas non plus toucher toutes les personnes victimes de précarité numérique. Ce phénomène, s’il n’est pas chiffré, est pourtant largement répandu selon de nombreuses associations étudiantes. "Avant le Covid-19, beaucoup d’étudiants comptaient sur la bibliothèque universitaire pour avoir accès à une connexion internet… Ils n’avaient pas les moyens financiers d’avoir un abonnement Wifi chez eux, alerte le secrétaire général de l’association étudiante Corpo Lyon 3. La généralisation des cours à distance a isolé et peut-être même fait décrocher des étudiants qui n’avaient pas le matériel ou la connexion nécessaires à l’utilisation d’outils de visioconférence", conclut l’étudiant, ajoutant que certains jeunes, jonglant entre leurs cours et un 30 ou 35h pour subvenir à leurs besoins, n’auront, de toute façon pas le temps d’aller sur des plateformes comme Frimake ou Leepse, qui aident à se faire de nouveaux amis.