Pour beaucoup, l’informatique reste un domaine encore largement masculin et ultratechnique. Résultat : le secteur, en pleine évolution, peine encore à se diversifier.
Dans le film War Game, sorti en 1983, un jeune hacker enfermé dans sa chambre frôle le déclenchement d’une troisième guerre mondiale en simulant en jeu vidéo. Dans Millenium, c’est une jeune prodige informatique introvertie et vivant en marge de la société qui incarne l’héroïne de l’enquête. Bref, l'informaticien reste encore, dans les mentalités, un petit génie boutonneux passant ses nuits à enchaîner les lignes de codes sur un écran dans l’imaginaire populaire.
Des produits mal adaptés au «vraies gens»
Une caricature qui persiste malgré les efforts des entreprises de la tech pour montrer un visage plus diversifié. Or, les conséquences de ce cliché sont désastreuses. Ce stéréotype détourne ainsi certaines personnes brillantes du secteur de la tech, s’inquiète un article du New York Times. Les femmes en sont les premières «victimes». Elles ne représentent que 11% des diplômées en STIC (sciences et technologies de l’information et de la communication) et à peine 17% des startups ont au moins une femme parmi les fondateurs, selon le site TechCrunch.
A l’inverse, «les garçons qui ont peu de relations sociales sont eux naturellement orientés vers les maths et la science informatique», observe Yonatan Zunger, un ex de Google qui a lancé récemment sa start-up Humu. «Or, l’informatique ne se résume pas à créer des lignes de code, mais doit s’attacher à résoudre les problèmes des gens», explique-t-il. Ce qui implique de comprendre comment ils vivent et interagissent avec leurs appareils. Prenez l’assistant vocal Amazon Echo ou de Google Home : il faut être capable d’imaginer toutes sortes de situations, comme une mère de famille débordée ou un ado qui cherche de l’aide pour ses devoirs. Encore pire : ce manque d’empathie amène à des choix malheureux : «La Silicon Valley passe beaucoup plus de temps à inventer des applications pour livrer de la nourriture haut de gamme qu’à imaginer des moyens de réduire la faim dans le monde», déplore le New York Times.
«Le hacker est devenu l’idéal-type de l’informaticien»
La représentation du métier d’informaticien n’a pourtant pas toujours été celle-là. Dans les années 1970, les pionniers de la programmation informatique étaient des femmes et leurs effectifs augmentaient même plus rapidement que ceux des hommes, rappelle Isabelle Collet, auteur de l’étude «La disparition des filles dans les études d’informatique : les conséquences d’un changement de représentation». Un décrochage s’observe en 1980, où le nombre de femmes ingénieurs en informatique commence à chuter alors même que de plus en plus de filles se dirigent vers les études scientifiques en général.
Selon Isabelle Collet, c’est l’arrivée des micro-ordinateurs dans les foyers qui a profondément modifié les représentations. «Le hacker est devenu l’idéal-type de l’informaticien», explique la chercheuse. «Ces hackers, tels qu’ils sont décrits dans les récits de science-fiction, nourrissent des fantasmes de pouvoir, de maîtrise absolue de l’univers, culturellement éloignés de l’univers des filles».
Plus de qualités sociales, moins de métiers techniques
Les qualités relationnelles sont pourtant de plus en plus recherchées par les entreprises de technologie, en témoignent les nombreuses offres d’emploi de community manager, data scientist manager ou développeur social design. Selon une étude menée par David Deming, un professeur de l’université de Harvard, le nombre de jobs nécessitant à la fois de qualités intellectuelles et sociales a augmenté de 12% entre 1980 et 2012 tandis que ceux basés uniquement sur des compétences mathématiques (comptables, statisticiens, technicien en biologie…) a baissé de 3,3%. Alors que le codage représente encore le summum du génie informatique aux yeux du public, il ne représente que 20% des métiers du secteur et il est généralement réservé aux salariés en début de carrière.
Créer en équipe, l’atout réussite d’une startup
La prise de conscience est aussi palpable chez les entrepreneurs du web. Selon une étude de First Round Capital, les startups fondées par une équipe affichent des performances 163% supérieures à celles des startups créées en solo. Les incubateurs ou accélérateurs ne misent d’ailleurs plus que sur des projets portés par au moins deux cofondateurs. «Et il y a une bonne raison à cela : si vous n’êtes pas capable de convaincre une seule personne de rejoindre votre équipe, pourquoi un investisseur le ferait ?», corrobore Jonathan Levitre,, fondateur de l’application MyTwist. «Même si vous pouvez faire tout le travail vous même, un associé c’est quelqu’un avec qui brainstormer, quelqu’un qui vous empêche de prendre de mauvaises décisions ou qui peut vous remonter le moral quand les choses vont mal», conclut l’entrepreneur.