Un esprit sain dans un corps sain. Cette citation de Juvénal n’aura jamais été tant d’actualité. L’alimentation des Français évolue, de nouvelles tendances se forment autour d’une nourriture saine, maîtrisée, respectueuse de notre environnement et de nos besoins. Mais cela ne signe-t-il pas la fin du plaisir gustatif, jusqu’ici si cher aux Français ?

Alors que la cuisine française et ses chefs sont admirés et imités dans le monde entier, les Français semblent depuis quelques années tiraillés entre une réputation à tenir de bons vivants, aimant la viande rouge et le bon vin, et une envie irrépressible de préserver leur santé en mangeant sain. Certains arrivent à trouver un équilibre en consommant raisonnablement et équitablement viande, poisson, produits laitiers, céréales, légumes et fruits. D’autres, à l’inverse, optent pour de nouvelles pratiques alimentaires, en adéquation avec leurs valeurs, leurs croyances, et parfois leurs besoins.

C’est ainsi que les régimes sans gluten, sans lactose, sans fructose, le végétarisme, le végétalisme, le véganisme, le crudivorisme, le frugivorisme et bien d’autres se développent partout dans le monde. Inconnus de la plupart des consommateurs il y a encore quelques années, ces régimes stricts ont trouvé leur public. On estime ainsi à 5 millions le nombre de Français adeptes du sans gluten, dépassant de loin les 600 000 personnes réellement intolérantes ou allergiques. 10% de la population française envisagerait de son côté de devenir végétarienne.

“De la même façon que le 20e siècle a vu se développer des pathologies centrées sur les interdits sexuels, nous voyons, au 21e siècle, se développer des pathologies centrées sur les interdits alimentaires ”, pense ainsi le Dr Jean-Philippe Zermati, nutritionniste et cofondateur du Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids.

La faute à qui ?

Mais comment en sommes-nous arrivés là, dans un pays dont le repas gastronomique est inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité ?

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Les raisons de ces nouvelles modes alimentaires sont diverses, et tout à fait légitimes. La santé, d’abord, mais aussi la protection de l’environnement, celle des animaux, et la peur des scandales alimentaires qui se multiplient. Si l’on se souvient des épisodes de vache folle, de grippe aviaire, des tartelettes Ikea contaminées aux matières fécales ou de l’affaire Spanghero, les messages alarmistes et parfois anxiogènes se multiplient également autour des problèmes engendrés par la consommation excessive de viande et de charcuterie, susceptible d’augmenter le risque de cancer du côlon, aux métaux lourds contenus dans certains poissons ou encore aux pesticides que l’on retrouve dans les fruits et légumes.

Au final, 66% des consommateurs jugent probable le risque que les aliments nuisent à leur santé. Des inquiétudes qui n’ont pas échappé aux industriels. Au delà de la multiplication des produits bio, sans gluten, sans oeufs, sans laitages ou sans matières grasses dans les commerces, on assiste également à l’émergence d’épiceries et de restaurants qui font la part belle aux nouveaux modes de consommation.

Insectes et viande sans viande

Les acteurs de ce changement vont toujours plus loin. Chacun travaille aujourd’hui à dessiner un futur alliant technologie et nouvelles habitudes alimentaires. Les insectes font ainsi, petit à petit, leur arrivée sur le marché français. Peu caloriques, riches en protéines, en oméga 3 et 6, en vitamines B1, B2 et B12 mais aussi en minéraux, en fer et en calcium, ils auraient l’avantage de répondre en partie aux problèmes environnementaux et économiques auxquels nous devons faire face. Plusieurs acteurs se spécialisent donc désormais dans l’entomophagie, à l’image des fermes Big Cricket Farms et Entomo Farms aux États-Unis, ou de la startup française Jimini’s, créée en 2012 et qui commercialise des insectes à déguster à l’apéritif, ou en remplacement de farines.

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Autre innovation notable : la viande sans viande. Encore embryonnaire en France, le marché se dessine peu à peu depuis quelques années. Et si plusieurs acteurs de l’agroalimentaire comme Herta et Fleury Michon se sont déjà lancés sur le marché avec des steaks à base de fèves, pois chiches ou maïs, d’autres essaient d’aller encore plus loin. C’est le cas par exemple des startups américaines Beyond Meat et Impossible Foods. Cette dernière, dans laquelle ont déjà investi Google Ventures, Tony Fadell et Bill Gates, développe ainsi un burger 100% végétal contenant blé, huile de noix de coco et pomme de terre, et dont la texture saignante est rendue possible par une protéine récupérée dans les racines des légumineuses.

Enfin, et sur le même principe que le steak synthétique fabriqué par le scientifique Mark Post en 2013, à partir de cellules souches de vache cultivées en laboratoire, le groupe de recherche israélien SuperMeat développe actuellement un projet de viande artificielle. Créé à partir de cellules animales, celui-ci devrait voir le jour d’ici 2021.

Les initiatives de ce type se comptent aujourd’hui par dizaines : oeufs sans poules, mayonnaise sans oeufs, dessert sans lait ou encore vin sans raisins. Ce dernier, développé par la startup californienne Ava Winery, permettrait ainsi de transformer de l’eau en vin en seulement 15 minutes, en mélangeant eau, éthanol et composés aromatiques. Enfin, le lait de vache sans vaches commence à faire son chemin avec "Perfect Day”, qui développe depuis 2014 un lait conçu avec du sucre, des graisses végétales, des protéines de lait, des vitamines et des minéraux, le tout en éprouvette. Celui-ci, qui devrait être commercialisé d’ici fin 2017, ambitionne d’avoir le même goût, le même aspect et les mêmes qualités nutritionnelles que le lait de vache naturel.

L’équilibre, clé de l’alimentation du futur ?

La nouvelle tendance serait donc désormais de maîtriser, retravailler et faire évoluer chaque produit pour y évincer toute forme de mauvaises graisses, de sucres, de sel, de pesticides, de céréales raffinées ou de toute autre substance susceptible d’être mauvaise pour notre santé ou le bon fonctionnement de la planète. Mais alors toutes ces nouvelles pratiques et tendances alimentaires sont-elles sur le point de remplacer la nourriture, la vraie, celle qui nous fait saliver ?

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Certainement pas, répond Benoît Crespin, auteur du livre “La cuisine du futur, c’est maintenant !“, qui préconise une alimentation future oscillant entre santé, écologie et surtout plaisir. Pour le restaurateur, se priver de certains produits dans leur intégralité est une hérésie, la clé reposant sur un retour aux sources alimentaires avec des produits de qualité, locaux ou issus de circuits courts, mais surtout de saison.

Si certaines innovations tendent à se développer afin de répondre à un besoin de durabilité de la nourriture, elles ne remplaceront ainsi jamais intégralement les produits basiques tels que la viande, les légumes, les fruits et les céréales. Il est nécessaire de trouver un juste équilibre entre tradition et innovation, qui passera, selon Benoît Crespin, par une éducation du grand public et des acteurs de la foodtech à la recherche d’une alimentation saine et de repas savoureux.

Et le plaisir dans tout ça ?

Interrogé par ce dernier dans son ouvrage, le directeur général adjoint de Sociovision, Rémy Oudghiri, ancien directeur du département Tendances et Prospective d’Ipsos, insiste quant à lui sur l’importance de l’alimentation comme source de réconfort des hommes, au delà des bienfaits “santé” qu’elle peut leur apporter. Face à une pression sociale et économique forte, la nourriture permet aux consommateurs de lâcher prise, en s’alimentant sans complexe.

Un avis que partage le Dr Zermati, qui insiste sur le caractère anxiogène d’un repas sans plaisir : “ la nourriture est un régulateur émotionnel. Nous mangeons aussi pour nous réconforter et c’est quand nous sommes réconfortés que disparaît l’envie de manger, parce que nous sommes rassasiés, explique-t-il, avant d’ajouter, notre corps sait ce qui est bon pour lui. Peut-être que cette petite envie de salé ou de sucre correspond à un besoin de l’organisme… Sauf qu’il devient impossible d’entendre ce signal quand on croit devoir se soumettre à tous les messages venus de l’extérieur ”.

alimentation plaisir

Le plaisir semble donc bien être une véritable nécessité dans le processus alimentaire, et ça, les Français l’ont bien compris. 59% d’entre eux considèrent aujourd’hui encore l'alimentation comme un plaisir plus qu'une nécessité. Plus impressionnant, 58% des prosumers (consommateurs influenceurs) estiment que la nourriture peut être aussi agréable que le sexe. 46% des femmes lui préfèreraient même un bon dîner au restaurant.

Les Français cherchent à profiter des innovations pour mieux manger tout en conservant un véritable plaisir gustatif et de nombreuses innovations commencent à voir le jour en ce sens. À l’image de la Taste Buddy, une cuillère capable de rendre les aliments plus sucrés ou salés en bouche grâce à la stimulation des papilles par un faible courant électrique. Créée par le professeur Adrian Cheok, celle-ci devrait permettre, à terme, de transformer intégralement le goût des aliments pour aider les consommateurs à manger plus sainement sans perdre le plaisir de la dégustation. Tromper ses sens pour nous permettre de mieux manger, sans frustration, pourrait bien devenir une véritable tendance. Une invention israélienne permet déjà de transformer l’eau en jus de fruits. Ou plutôt de faire croire à notre cerveau que l’eau est en fait un jus de fruits grâce à un gobelet qui exhale des arôme de pommes, d’oranges ou encore de citrons. Le simple fait d’agir sur l’odorat, responsable à 80% du goût, permet de donner aux consommateurs la sensation de boire un jus de fruits, et non de l’eau. Bientôt, les enfants mangeront leurs salsifis en pensant que c’est une barre de chocolat.

On voit donc bien qu’aujourd’hui, si la notion de plaisir semble avoir été mise de côté pendant quelques années au profit d’un capital “santé” à respecter à tout prix, les acteurs de la foodtech, qu’ils soient restaurateurs, entrepreneurs, ingénieurs, ou nutritionnistes, cherchent à remettre le plaisir gustatif au coeur de leurs innovations. Pour notre plus grand bonheur, le plaisir a encore de beaux jours devant lui.

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