Tsifei Chan, cofondateur de la startup Orson.io, a envoyé une lettre ouverte à Emmanuel Macron pour attirer son attention sur les problèmes que connaissent les startups technologiques françaises pour trouver des financements.
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La France est une terre de création et d’innovation. Vous le savez, des milliers de startups françaises se lancent dans l’aventure du numérique avec passion. Cet univers, qui impose de repenser les modèles économiques, de voir grand et de se confronter à la concurrence mondiale, évolue à deux vitesses.
D’un côté, l’innovation française est encouragée par les politiques et connaît un engouement médiatique certain. De l’autre, elle est freinée par les problèmes de fonds car oui, la France semble être le parent pauvre du financement. Vous, Monsieur le Président, avez déjà exprimé cette idée : la France doit prendre sa place dans la compétition mondiale et aider les startups de technologie à se développer.
Mais pour atteindre cette ambition, le rôle des structures d’état est essentiel. Je vous écris, Monsieur le Président, car votre parcours, les engagements que vous avez pris en tant que ministre, puis en tant que candidat à l’élection présidentielle, me laissent espérer qu’il va devenir possible de trouver des financements pour faire les champions de demain et montrer que l’innovation peut être française !
Et il serait temps de faire quelque chose. Aujourd’hui, ni les banques ni Bpifrance ne financent les startups comme elles le pourraient pour les premières, le devrait pour la seconde…
Les banques ne savent pas financer les startups
Quand on soumet un dossier en vue d'obtenir un financement de la banque, celle-ci n’a, généralement, pas de repère sur le modèle économique. Dès que cette demande s’approche des 100 000 euros, ça devient compliqué car les banques financent de la masse salariale et si l’entreprise ne marche pas, la banque n’a rien pour récupérer son argent. Les banques ne savent pas financer les startups et souvent, elles le disent.
Orson.io, une startup comme les autres...
Bpifrance, la banque publique d’investissement, a été créée pour combler ce qui manquait au dispositif de financement des entreprises que les banques ne parviennent pas à satisfaire. Bpifrance a été créée pour dire que l’économie traditionnelle se finance, que l’économie moderne ne se finance pas. Mais en réalité, au regard de notre expérience, on se dit que Bpifrance fonctionne comme une banque traditionnelle.
L’histoire que je vais vous raconter, Monsieur le Président, est celle de nombreuses startups. Nous avons créé, en 2012, la startup Orson.io à partir de constats simples :
- les solutions pour créer des sites internet restent trop complexes et doivent être simplifiées
- il n’existe pas d’acteur français ni européen capable de s’inscrire dans la compétition mondiale des website builders.
Nous avons créé une startup technologique comme il en existe de nombreuses et dont le parcours ressemble à d’autres :
- 2 années de développement en autofinancement intégral
- des trophées et autres prix d’innovation remportés
- une première levée de fonds d’1 million d’euros réalisée en 2016
- une équipe de 12 personnes passionnées par le projet et ses perspectives
- des projets d’innovation qui nous installent dans la cour des grands
- une visibilité donnée à nos solutions par les relais d’opinion.
Le gouvernement nous fait confiance puisque nous sommes partenaires de la French Tech pour les sites web des différents hubs dans le monde depuis plus de 2 ans maintenant. Sur le papier, il semble donc que nous remplissons tous les critères pour obtenir le soutien de Bpifrance.
... mais pas finançable par Bpifrance
Nous avons donc remis notre dossier en septembre 2016, juste après la levée de fonds pour bénéficier de l’avance remboursable liée à cette activité financière. Neuf mois à échanger, neuf mois à nous préparer à la venue de cette aide, neuf mois au bout desquels nous avons reçu…un email qui évoquait le refus du soutien de Bpifrance, sans réelle justification : "Aujourd’hui, malgré l’intérêt de votre projet, nous ne disposons pas de dispositif classique pour intervenir à ce stade sur votre demande", ponctué d’un commentaire qui prêterait à sourire si l’enjeu n’était pas réel : "Je ne me souviens plus si je vous ai déjà répondu suite à vos derniers mails". Bpifrance aurait pu nous le faire savoir neuf mois plus tôt : en plus de ne pas attendre un financement en vain, nous aurions économisé du temps.
Pourtant, dès septembre 2016, Bpifrance évoquait une avance remboursable de 400 à 500 000 euros pour compléter la levée de fonds. Nos investissements techniques et commerciaux intègrent alors cette hypothèse, d’autant que Bpifrance subordonne la finalisation du dossier aux premiers recrutements (réalisés en novembre 2016). Notre startup a alors investi lourdement pour acquérir la notoriété suffisante et mettre la fusée en orbite en attendant le booster Bpifrance, en vain.
Nous avons découvert que comme les banques traditionnelles, Bpifrance vit sans risque et ne mise pas sur les entreprises dont le modèle n’est pas sécurisé. Notre dossier était jugé intéressant avant que le couperet ne tombe finalement : "nous ne pouvons pas le financer". Et, cerise sur le gâteau, comme dans une agence bancaire, notre dossier est confié à une personne référente. Cette personne a un pouvoir de vie ou de mort sur celui-ci. S’il n’est pas accepté, il ne semble pas exister de recours possible. Frustrant.
En conséquence nous allons aujourd’hui être obligés de réduire la voilure ou de chercher des financements à l’étranger. Une hérésie pour nous qui avons fait le choix de la France pour lancer notre projet, le développer et l’exporter sous les couleurs bleu, blanc, rouge. Le made in France a ses limites.
Mais alors… à qui profite l’argent de Bpifrance ?
Bpifrance est perçue comme une solution d’aide au financement des entreprises innovantes. Elle incarne le coup de pouce, l’idéal d’un modèle français qui encourage l’innovation. Or, cette banque ne finance visiblement pas les dépenses immatérielles comme les salaires et dispose de processus d’acceptation fondés sur les modèles traditionnels.
Il est urgent de comprendre que des milliers de startups du numérique recherchent des fonds. Si toutes ne présentent pas des offres susceptibles de s’imposer sur le marché européen ou mondial, la plupart sont les employeurs de demain. Bpifrance devrait être un partenaire naturel pour permettre à ces startups ambitieuses d’accélérer.
Quant à vous, Monsieur le Président, vous semblez vouloir faire ce que vous avez promis aux entrepreneurs. Nous attendons. Voici les questions que vous devez vous poser : que représentent quelques milliers de financements "à l’aveugle" pour permettre à ces startups de créer des emplois en France : quelques dizaines de milliers d’euros par emploi nouveau ? Quelques dizaines de millions pour enclencher une réelle dynamique et fabriquer les champions de demain dans tous les domaines des nouvelles technologies ?
Nous voulons croire qu’il est toujours possible en France de dire "Sky is the limit". Mais il y a urgence à lâcher les chevaux et à faire preuve de pragmatisme.