La majorité des startups se lancent autour d’une idée assez vague (la plupart du temps mauvaise). Celle-ci change considérablement au cours des trois premières années d’activité (si la société survit). Ce qui ne change pas, en revanche, ce sont les hommes (ou les femmes) aux manettes – les fondateurs. Pour citer Paul Graham, ils sont au projet ce que la localisation est à l’immobilier : une invariable avec laquelle on devra composer.
Or les hommes comptent davantage que l’idée – comme pour tous les grands-œuvres, la maestria des architectes l’emporte sur la qualité du matériau. Un business model parfait opéré par une équipe de maladroits finira dans le fossé, tandis qu’un business model ingrat opéré par une équipe de durs à cuire aura sa chance (exemple illustratif : Amazon).
Il faut des gens intelligents (bien sûr), ultra-déterminés (le plus important), si possible amis (attention : mieux vaut une amitié basée sur le business qu’un business basé sur une amitié), capables de conjuguer arrogance (pour poursuivre une idée folle) et humilité (pour accepter le retour du marché, et s’ajuster en conséquence) aussi naturellement qu’ils respirent.
En somme, des oiseaux rares.
Il faut ensuite lancer vite – très vite – un premier prototype. L’écueil le plus dangereux dans l’entrepreneuriat (et peut-être plus largement dans la vie en général) est d’attendre que les astres soient alignés, le marché chauffé à blanc, et l’idée polie au carré pour enfin se jeter à l’eau.
Suggestion : si vous attendez ce merveilleux concours de circonstances, installez-vous confortablement là où vous êtes – car cela n’arrivera jamais, et vous allez attendre longtemps.
Mark Zuckerberg n’imaginait pas le Facebook d’aujourd’hui lorsqu’il mit en ligne le trombinoscope de Kirkland House à Harvard. On lance toujours dos au mur, à l’aveugle, ou par accident (souvent les trois en même temps). C’est une erreur commune – mais une erreur monumentale – d’imaginer qu’une startup est la réalisation d’une idée géniale.
L’étincelle ne surgit qu’une fois les mains dans le cambouis, à force d’ajuster ceci et de trafiquer cela, car le produit ou le service n’existe réellement qu’au contact de ses utilisateurs : c’est là qu’il commence à vivre et prendre forme.
Inutile de s’attacher contre vents et marées au plan initial : une fois déroulé, on découvrira souvent qu’il est complètement bidon. L’obstination bornée paie dans certains domaines (par exemple le sport ou la politique), mais les startups sont une autre histoire — une histoire d’improvisations dans l’urgence.
Nombre de startups percent le jour où elles commencent à faire quelque chose de différent du plan initial — de parfois si différent qu’on croirait avoir affaire à une autre entreprise (par exemple Airbnb). Comme tout sous les cieux, la survie d’une petite affaire (une condition préalable à son succès) n’est pas conditionnée par sa brillance mais par son adaptabilité.
Il faut donc savoir évoluer – c’est-à-dire changer d’idée, voire de métier. Le plus difficile n’est pas de discerner la meilleure idée lorsqu’elle se profile, ni de la saisir : le plus difficile est d’abandonner sa première idée.
Comment s’y résoudre ? En se fiant à ceux qui vous font aussi sûrement qu’ils vous défont : vos utilisateurs. S’ils applaudissent le virage stratégique, les probabilités de réussite sont de votre côté. S’ils vous boudent ou s’en vont, peu importe vos convictions, battez en retraite et réajustez le tir.
Voilà pourquoi il faut cesser la gamberge, mouiller le maillot et coûte que coûte lancer son prototype : le feedback recueilli auprès des premiers utilisateurs sera le meilleur que vous obtiendrez jamais. Parce qu’ils étaient là avant les autres, votre startup est aussi leur startup. Ils ont donc leur mot à dire, et vous le devoir d’écouter, puis d’implémenter.
Souvenez-vous (car c’est plus vite dit qu’accompli, et très facile à oublier lorsqu’on rêve de succès) : vous êtes là pour les servir – pas l’inverse.
Pour qu’une startup parte sur orbite, il faut des utilisateurs maintenant — pas dans six mois ou un an. Ce groupe de pionniers est généralement restreint : s’il étaient plus nombreux, un autre entrepreneur aurait flairé le bon coup, et déjà répondu à la demande. Paradoxe du business : la meilleure idée est souvent celle qui au début paraissait la pire — c’est la raison pour laquelle tous vos concurrents l’ont négligée, et qu’existe l’opportunité.
Croissance phase un, mode d’emploi : convertir un noyau d’initiés. L’évangélisation d’un plus vaste marché vient ensuite (c’est la phase deux).
Surtout, ne pas mettre la charrue avant les bœufs. Il y a ces startups où tout est parfaitement léché, peaufiné au pixel près. Seul problème : elles n’ont pas d’utilisateurs — seulement des fondateurs qui dépensent des fortunes dans l’espoir du grand soir. Et puis il y a ces startups à la Craigslist ou Leboncoin : pas les plus belles, mais de loin les plus populaires.
C’est sympathique d’être beau, mais beaucoup plus profitable d’être utile.
Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. Concevoir un joli site internet n’est pas une opération complexe — ils sont des milliers (des millions) à savoir le faire. En revanche, mettre sur pied un service plébiscité par ses utilisateurs relève de l’exploit — et là on ne voit plus grand monde au balcon.
Tout cela sonne bien sûr très simple en théorie. Mais si en théorie il n’y a pas de différence entre la théorie et la pratique, en pratique il y en a une. Des business plan qui fonctionnent sur le papier, il y en a plein. Des business plan qui fonctionnent dans la réalité, il y en a moins.
Parce qu’il est courant de perdre de vue l’évidence quand on pédale le nez dans le guidon, s’entourer de seniors — entrepreneurs et investisseurs expérimentés — se révèle d’un inestimable secours pour propulser les jeunes pousses vers les étoiles. Mais attention : il faut les choisir soigneusement, et défendre bec et ongles son pré carré. Les conseillers sont là pour assister la navigation, pas pour s’installer dans le siège du pilote (or c’est souvent leur dessein secret).
En dépit de leurs impressionnants curriculums, ne pas négliger la capacité de destruction de certains entrepreneurs émérites qui, peut-être grisés, perdent un jour pied avec la réalité (on retrouve cette même « capacité de destruction » dans nombre de sociétés cotées en restructuration, lorsque arrivent tambours battants de nouveaux managements).
Il faut toujours changer un jeu gagnant — a fortiori dans une économie hyper-compétitive.
Les fondateurs de startups sont souvent jeunes, inexpérimentés et naïfs — on l’observe notamment lorsqu’il s’agit de lever des capitaux. C’est un monde dur dehors. Ne pas se laisser berner par les dégaines « à la cool » en vogue dans l’industrie : business is business (c’est-à-dire gros sous et mauvais coups).
La valeur économique d’un business traditionnel se calcule généralement en assignant un multiple aux profits ou aux capitaux investis (dettes et capitaux propres), tandis que la valeur économique d’une startup se rapporte au potentiel de marché qu’elle peut raisonnablement espérer capturer.
Plus il y a d’argent en jeu, plus la meute de loups vous pistera à la trace, aux aguets de la première vulnérabilité venue (par exemple un manque de cash) pour vous croquer. Ne les sous-estimez pas : ce sont des professionnels, et vous encore des amateurs. On revient sur terre le jour où le téléphone sonne, et qu’un avocat d’affaires s’annonce.
S’il faut en effet s’entourer de seniors pour progresser, il faut aussi veiller à rester seul maître à bord — et ne pas troquer son royaume pour un cheval, ou son business pour du capital.
Mieux vaut apprendre à vivre sur un fil (adieu salaires, gloire et privilèges), car un business tient bon (et défend son indépendance) tant qu’il reste de l’argent dans les caisses. Comme il n’y en a jamais beaucoup dans celles des startups, il s’agira d’être économe, et de l’investir judicieusement pour ne pas risquer d’indexer sa survie à la générosité d’autrui.
Une fois les étages de la fusée en place, ne manque que le lubrifiant et le kérozène — c’est-à-dire de la chance et de la persistance. Parce qu’un succès découle nécessairement de la rencontre d’une circonstance et d’un talent, qu’importe le second si la première fait défaut : on rejoindra alors le (toujours plus fourni) bataillon des génies incompris.
Or on ne provoque la circonstance heureuse qu’à force de persistance (sans doute la vertu la plus sous-estimée des entrepreneurs, toutes époques et industries confondues). C’est simple : pour que quelque chose finisse par tomber, il faut secouer un maximum de cocotiers.